Au-delà de l'effet d'annonce, le projet d'Emmanuel Macron ressemble à un yaca.
En d'autres termes, malgré son apparente simplicité, la proposition en question ouvre une boite de Pandore.
Notons que les fonctionnaires subissent régulièrement des évaluations formelles et informelles comme tous les salariés, l'idée d'impacter leur salaire donc de les discriminer financièrement sur la base de ces évaluations, étant seule nouvelle.
Cette idée risque de rendre l'exercice particulièrement périlleux, car toucher les gens au portefeuille n'a absolument rien d'anodin que ce soit pour les récompenser et surtout pour les punir.
La rémunération est en effet un élément clé des relations de travail, impactant chaque salarié(e) de manière vitale dans sa jouissance.
Autrement dit, agir sur cette variable pour obtenir les comportements souhaités, revient à jouer avec la zone la plus sensible de la motivation à travailler en contrepartie d'une rémunération source vitale de bien-être.
Comprendre par là que des privations pécuniaires sur petits et moyens salaires en particulier, peuvent engendrer des frustrations difficilement supportables, des fantasmes de persécution, etc... le risque étant réel de démotiver au lieu de motiver, sans parler des ressentiments, rancœurs, désirs de vengeance, etc... face à l'injustice ou l'arbitraire réels ou ressentis comme tels.
En d'autres termes, si des systèmes de récompenses-punitions sont nécessaires et existent de toute façon, il faut examiner la nature des récompenses/punitions en question et leur pertinence par rapport aux buts recherchés.
En l'occurrence, si des récompenses pécuniaires sous forme de primes etc.. ne présentent pas de difficultés particulières à condition d'être faites suivant des règles à la fois claires, justes et honnêtes, des punitions du même ordre présentent des risques de stigmatisation, de développement de conflits et de dégradation des conditions de travail, comme cela vient d'être évoqué.
Les états d'esprit engendrés par de telles punitions risquent de dégrader l'ambiance et les relations de travail, ce qu'il ne s'agit pas de négliger.
De ce point de vue, des actions pédagogiques sont bien plus recommandables que des sanctions disciplinaires, y compris et surtout pécuniaires.
Tout cela est d'autant plus vrai que les salaires des fonctionnaires étant souvent modestes et perçus comme socialement inéquitables, des sanctions financières représenteront une double peine pour beaucoup d'entre eux, quelles qu'en soient les raisons.
Il faut voir aussi qu'au travail, de nombreux salariés sont de fait mis en compétition entre eux, symboliquement et concrètement, ceci ayant comme contrepartie des rivalités jamais très saines.
Par conséquent, utiliser la rémunération comme moyen supplémentaire d'incitation ou de répression, donc indirectement de concurrence entre eux, peut augmenter les risques d'inconduites et de dérapages divers et variés.
Par ailleurs enfin, Mr Macron semble ignorer la difficulté qu'il y a à évaluer "le mérite" d'un professionnel, c'est-à-dire à l'objectiver, le chiffrer, le comparer avec d'autres professionnels de la même catégorie, etc...
Ordonner et classer sont des buts respectables pour l'administration, mais cependant difficiles et peu évidents à atteindre, s'agissant de personnes.
Autrement dit, à moins d'opter pour un simplisme de pure forme, des conventions dans lesquelles "on fait comme si" le mérite était un fait simple, découpable en variables, une première question est d'abord : qu'est-ce que le mérite ?
En fonction de quels critères est-il question de l'évaluer transversalement et/ou pour chaque profession ?
Cette question simple également en apparence, est en réalité complexe dans de nombreux métiers.
En gros et au risque de provoquer des levées de boucliers, on remarquera déjà que plus une profession est intellectuelle, donc moins elle porte sur des faits objectivables, plus il est difficile et pointu de juger ou noter les agents.
En effet, les professions intellectuelles engagent des choix épistémologiques pas toujours conscients mais souvent sources de divergences et d'incompréhensions.
Autrement dit, la neutralité n'existant pas dans les sciences humaines en particulier, cela donne lieu à d'importantes variations d'évaluation.
Ensuite, à supposer que des critères puissent être clairement et univoquement définis, les questions concernant les juges sont centrales également.
Autrement dit, qui sera chargé de juger qui ?
D'une manière générale, pour qu'un jugement soit objectif et fiable, il vaut mieux - c'est un euphémisme - que les juges soient parfaitement qualifiés d'une part, et indépendants d'autre part.
En effet, les évaluations en interne à une entreprise ou institution, sont souvent entachées d'erreurs liées à la subjectivité des personnes, à des croyances ou critères personnels sans base objective sérieuse, et aussi parfois à des conflits d'intérêts directs ou indirects entre acteurs.
C'est pourquoi en général, on obtient un plus haut degré d'objectivité et de fiabilité (ou fidélité inter-juges) en recourant à des professionnels extérieurs.
Par conséquent de ce qui précède, une autre question est de savoir si Mr Macron a les moyens de la politique qu'il envisage de mettre en œuvre.
En effet, si le but est d'inciter les salariés à être irréprochables, encore faut-il que les évaluateurs le soient également, donc que soient appliquées des règles éthiques strictes au niveau des procédures.
Or, connaissant l'état du budget de la France, il semble que sur ce point également, Mr Macron et d'autres membres du gouvernement veulent que la France et les Français vivent au dessus de leurs moyens.