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Billet de blog 29 mars 2020

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#COVID19 - Le virus, l'homme et le protocole

"Avoir l'esprit critique c'est être capable de s'interroger avec exigence et rationalité sur les faits et les relations entre les faits" (Auteur inconnu) "La vérité est fille de discussion et non pas fille de sympathie" (Gaston Bachelard)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

  La polémique autour des recherches du Pr Raoult enfle démesurément depuis plusieurs jours et nombreux sont ceux qui, autorisés ou non, donnent des avis mal documentés et/ou peu honnêtes sur les questions soulevées par le traitement associant l'hydroxychloroquine à un antibiotique et la méthode du Dr Raoult, qualifiés par d'ubuesques opposants de "traitement miracle", "retour à la religiosité", etc.

 C'est l'occasion de revenir - brièvement mais sûrement - sur les tenants et aboutissants de la méthode expérimentale - considérée comme seule et unique méthode scientifique par beaucoup - et des essais randomisés qui font la gloire des laboratoires pharmaceutiques bien plus qu'ils n'établissent les vérités dernières des maladies et des traitements utilisés, comme on va le voir ou le revoir dans les lignes suivantes.

 Rappelons d'abord que l'emploi des statistiques et des études à grande échelle est relativement récent dans l'histoire des sciences, et que d'innombrables découvertes et progrès scientifiques majeurs ont eu lieu à des époques où ces méthodes n'existaient pas, ce qui à soi seul devrait inciter à raison garder.

 Par exemple et non des moindres, Louis Pasteur a bien mis au point un vaccin contre la rage et est devenue une sommité incontestée depuis le 19e siècle sans avoir recours à ces méthodes devenues hégémoniques de nos jours.

 Précisons aussi que l'EBM ou médecine fondée sur les preuves, bible des scientifiques développée aux Etats Unis dans les années 80 à 2000, préconisant des essais randomisés à grande échelle pour l'étude des médicaments, ne résout pas tous les problèmes se posant dans les sciences même si elle est fiable, loin s'en faut.

 En effet, contrairement à ce que suggère le scientisme dominant, on doit en premier lieu rappeler que la science explique le comment et non pas le pourquoi des choses.

 Comme les scientifiques le savent en effet, la question du pourquoi ouvre une chaîne de questions sans réponses, autrement dit le pourquoi du pourquoi et sa réitération ouvrent sur une impasse épistémologique.

 Ainsi, l'objet de la science n'est pas la vérité dernière des faits fondée sur des preuves contrairement à ce qu'induit à penser le scientisme en question, mais plutôt l'utilité des connaissances mises en œuvre, c'est-à-dire leur opérationnalité et les effets ou résultats qu'elles produisent.

 Pour le dire autrement, il y a longtemps que l'instrumentalisme a supplanté le réalisme dans l'histoire des sciences, et que le constructivisme a balayé le positivisme, même si beaucoup ne le savent pas ou ne l'ont pas intégré ou encore l'oublient pour des raisons pratiques de simplification, voire par conformisme, paresse intellectuelle, intérêts personnels, etc.

Tout ceci évoquant la partie psychotique du cadre décrite par José Bleger.

 Autrement dit encore, concrètement, il est avéré qu'on n'observe non pas des liens de cause à effet comme le croit le sens commun - ou comme il est induit à le croire - mais seulement des corrélations entre certains faits et entre certaines variables.

 Cette affirmation est lourde de sens car dès lors qu'on n'a pas affaire aux causes ou vérités dernières des choses mais seulement à des  corrélations, autrement dit à des faits contingents, la probabilité que des variables inconnues ou non prises en compte, donc non contrôlées interfèrent avec les résultats, est vraisemblable et réelle dans de nombreux cas.

 Ceci rappelle entre autres choses que c'est l'impossibilité d'appréhender complètement l'objet qui enclenche la passion du réel et que la vérité ne peut être que mi-dite (Lacan), autrement dit qu'elle est toujours partielle et qu'on n'en a jamais fait le tour, contrairement à ce que laissent croire les fantasmes de toute puissance du scientisme en question.

 Comme conséquence de ce qui précède, le fait qu'il y ait des groupes témoins ne change bien entendu rien à la probabilité de variables inconnues ou non prises en compte dans les études réalisées.

 De même, le fait que ces études portent sur des grands nombres de patients n'y change rien non plus.

 On voit bien ainsi que la formalisation mathématique, statistique et méthodologique des recherches est une armure commode mais ne règle pas les problèmes et difficultés évoqués.

 Ce constat est confirmé par de nombreuses recherches portant sur la pluralité des facteurs et catégories de facteurs impliqués dans certaines pathologies ou états morbides, autrement dit sur la complexité des chaînes d'implication réelle ou supposée, alors que certaines études visent un seul facteur ou quelques-uns d'entre eux.

 Il est confirmé également par la coexistence de plusieurs produits et/ou traitements pouvant être efficaces pour une même pathologie ou pour plusieurs d'entre elles, de même que par la coexistence de plusieurs médecines et plusieurs branches ou spécialités à l'intérieur même de la médecine conventionnelle notamment.

 Ainsi, pour le COVID19 par exemple, certaines recherches privilégient l'éradication du virus tandis que d'autres tendent à montrer que ce n'est pas le virus qui tue le patient mais le système immunitaire déclenchant une tempête de cytokines.
Autres facteurs, autres traitements, potentiellement ou réellement.

 Il est confirmé également par l'existence de présupposés (voir les travaux de Duhem-Quine par exemple) et de biais d'étude dans la plupart des recherches sans que ceux-ci soient nécessairement identifiés et sans que leur impact soit nécessairement évalué.

 Il est enfin confirmé par des scandales récurrents concernant certains produits phares pendant un certain temps, pourvus d'une AMM, tout ceci prouvant aussi s'il en était besoin que la méthode des essais randomisés n'est pas infaillible et invitant à une modestie dont sont manifestement dépourvus les détracteurs du Pr Raoult.

 Il est à noter également que l'exigence d'utiliser des groupes témoins ou placebo, auxquels aucun produit actif n'est administré pose un problème éthique et déontologique majeur lors d'études portant sur des pathologies létales dans un grand nombre de cas comme le COVID19, c'est-à-dire pendant la crise sanitaire actuelle.

 Dans ces conditions, il est surprenant de voir les tenant des essais randomisés à grande échelle manquer de modestie et de scrupules quant au bien-fondé supposé exclusif de leur méthode, i.e. aux garanties supposées exister grâce à ces seules méthodes.

 Ces turpitudes les amenant à fustiger le Pr Raoult sont d'autant plus inacceptables qu'ils semblent avoir oublié aussi tout d'un coup le sacro-saint principe de réfutabilité des hypothèses qui fonde la scientificité des théories, des thèses et des expérimentations qui les accompagnent, pour tous les chercheurs.

 Plus prosaïquement, dans un contexte de crise où le devoir des médecins est de donner aux malades le meilleur traitement disponible à l’instant T (D. Raoult) certains critiques patentés font figure de maniaques de la méthodologie ou de technocrates des sciences pour lesquels recherches à grande échelle et protocoles en nombre comptent plus que les réalités cliniques de terrain.

 Pour finir par la cerise sur le gâteau, on apprend ici et là que sous couvert de déontologie méthodologique, les médisances et calomnies de certains servent surtout à protéger leurs intérêts personnels, c-à-d leurs chances de remporter la compétition opposant chercheurs et laboratoires entre eux, ceci passant entre autres choses par l'aval des politiques.

 A cet égard, sachant que la chloroquine est non brevetable donc non rentable, une question pertinente est de savoir pourquoi Mme Buzyn, ex-ministre de la Santé et épouse du Directeur de l'INSERM, a soumis ce produit à ordonnance avant de quitter son Ministère et quelques semaines avant la crise du COVID19 - curieuse coïncidence - alors qu'il était en vente libre depuis de nombreuses années.

 En tout état de cause et pour finir, nul doute que des laboratoires et chercheurs planchant frénétiquement sur la recherche de molécules lucratives, voient d'un très mauvais œil la chloroquine, ceci expliquant la haine déferlant contre le Pr Raoult beaucoup plus sûrement que sa non-orthodoxie méthodologique.

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