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Billet de blog 30 avril 2020

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Covid 19 : Libertés et contraintes en période de pandémie

"La liberté individuelle n'est nullement un produit culturel" (S. Freud)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Paradoxalement, la liberté ne consiste pas à faire ce que l'on veut, contrairement à l'idée suggérée par ce mot.
Autrement dit, "faire ce que l'on veut, tout ce que l'on veut, rien que ce que l'on veut" relève d'un fantasme de toute puissance et non pas du monde réel.
En effet, qu'on le veuille ou non et qu'on le sache ou non, notre liberté est toujours conditionnée, déterminée, limitée etc., par des facteurs endogènes et exogènes (physiques, psychologiques, sociaux,...) qu'il nous appartient d'identifier.

Autrement dit, en fait comme en droit, une limite importante de la liberté réside dans le principe de responsabilité.
En effet, être responsable c'est répondre de nos actes et décisions à la fois psychologiquement (pour nous-mêmes), socialement et juridiquement. Toute décision ou choix rationnel suppose en effet de (re)connaitre nos capacités, mais aussi nos limites, intérieures et extérieures.
Dans un état de droit en particulier, toute liberté a pour contrepartie des devoirs et obligations dont nous devons répondre d'une manière ou d'une autre, ce qu'il s'agirait pour certains de ne pas oublier ou méconnaître.

Par conséquent, dans une société comme dans tout groupe social (famille, entreprise, etc.), liberté et responsabilité ne sont pas antagonistes mais complémentaires ou dialectiques. Elles marchent ensemble, autrement dit, l'une ne va pas sans l'autre.
On doit donc renoncer à la pensée binaire et complexifier la réflexion, si l'on veut comprendre ce qu'il y a à comprendre.

Le principe de responsabilité éclaire aussi que liberté et contrainte ne sont pas antagonistes, car être responsable c'est rendre compte, expliquer et justifier nos actes et décisions le cas échéant.
La contrainte sociale est importante parce que nous sommes des êtres sociaux, interdépendants les uns des autres.
En effet, nous ne pouvons (sur)vivre que grâce à une organisation sociale comportant des règles et par conséquent des contraintes visant à observer ces règles.

On voit bien ici que liberté et contrainte sont l'endroit et l'envers d'une même problématique, celle de la raison et du jugement.
Et on retrouve l'idée que le négatif est constitutif de la rationalité, parce qu'il est réel avant d'être pensé.
La structure de la pensée correspond en effet à celle du réel, c'est pourquoi éliminer le négatif comme l'ambitionne la pensée positive est un leurre.
Autrement dit, par exemple, le oui n'a aucun sens indépendamment du non. Le langage est un système sémiologique de valeurs contenant le positif et le négatif, le synonyme et l'antonyme, comme le monde réel contient le jour et la nuit, le fort et le faible, etc.

Comme conséquence de ce qui précède, le confinement vécu comme une privation de liberté par certains, est au contraire l'exercice d'une liberté pour d'autres, acceptant cette contrainte imposée de l'extérieur parce qu'ils l'estiment justifiée.
L'adhésion aux arguments d'une décision transforme la contrainte en choix même si pour beaucoup de  gens, s'occuper de manière sédentaire à domicile n'est pas chose facile ou commode.

Tout cela ne signifie pas bien entendu qu'il n'y a pas d'autres questions comme celle de savoir si le confinement était indispensable et s'il n'y avait pas de meilleures solutions pour limiter la propagation du virus.
A ce sujet, il ressort que les pays ayant testé massivement et isolé les personnes positives, ont évité le confinement généralisé et s'en sortent mieux que les autres, c-à-d avec beaucoup moins de décès notamment.
De ce point de vue on ne saurait ignorer que la responsabilité du gouvernement est engagée dans la gestion de la crise et que des procès vont sans doute avoir lieu dans l'après mais c'est un autre sujet, la question du confinement s'étant posée dans les circonstances déterminées sur le plan logistique en particulier (manque de masques, de tests, de respirateurs, de places dans les services, etc.) .

Parmi d'autres contraintes envisagées, le pistage et le traçage sur nos téléphones qui permettrait de suivre l'évolution de l'épidémie, est a priori une mesure de bon sens faisant intervenir l'IA pour nous aider à (sur)vivre au mieux pendant la crise.
Toutefois, un enjeu important est que cette application soit parfaitement conçue afin d'empêcher des fuites de données privées.
A cet égard, le problème n'est pas technologique mais à nouveau rationnel et éthique, car ce sont des agents humains qui auront la responsabilité de faire en sorte que cette application remplisse bien son rôle et nul autre.

Or en ces temps de crise non seulement sanitaire mais aussi sociale et économique, où la défiance vis-à-vis des gouvernements et des politiques néolibérales atteint des sommets, la confiance est devenue chimérique.
En tout état de cause, idéalement, il conviendrait que l'utilisation de cette application ne soit pas obligatoire mais librement consentie, à supposer que ça n'anéantisse pas son intérêt.

Tout cela étant, pour que l'on comprenne bien le présent propos, d'autres remarques s'imposent.
Tout d'abord, contrairement à un autre fantasme courant, la science n'est pas toute puissante pour la principale raison qu'elle est un outil dans les mains des hommes. Il n'y a donc rien de particulier à craindre ou à attendre de la science en elle-même, mais bien davantage de son utilisation par l'homme.

Le scientisme comme croyance que la science peut apporter toutes les réponses et solutions dont l'homme a besoin, est un leurre, en particulier. Parce que les réponses et solutions en question, sont d'abord et avant tout d'ordre éthique, avant d'être d'ordre scientifique ou technologique, ce qu'il s'agirait de bien voir.

Autrement dit, les choix de société auxquels nous sommes confrontés et que nous devons faire, ne dépendent pas de la science mais de nous-mêmes, c-à-d de nos valeurs éthiques et morales essentiellement.
Pour reprendre le terme générique, c'est à l'homme et à lui seul de savoir par exemple s'il veut ou non protéger la planète sur le plan écologique notamment, et de s'organiser en conséquence en prenant toute la mesure de ce choix et de ses conséquences.

Ainsi, il est absurde et vain de croire que des outils comme l'IA sont infaillibles, par exemple, et qu'ils peuvent se substituer à l'humain pour prendre les décisions essentielles, ou encore que l'homme trouvera toujours de nouveaux instruments pour réparer les erreurs ou les fautes commises au plan éthique, c-à-d au niveau des projets sociétaux.
Autrement dit, au point où nous en sommes avec le néolibéralisme, l'homme est parfaitement capable de s'autodétruire en ne prenant pas les décisions qui permettraient la survie de la biodiversité et de l'espèce humaine elle-même, voire en les prenant trop tard, c-à-d après que des points de non-retour climatiques ou autres soient dépassés.
En d'autres termes encore, l'homme est parfaitement capable de s'autodétruire s'il abuse de sa liberté mal comprise comme c'est le cas dans l'idéologie libérale dominante, et s'il continue de sous-estimer les contraintes qu'une liberté authentique implique au plan écologique en particulier.

En conclusion, il est bien entendu impossible d'aborder toutes les questions en rapport avec le sujet évoqué, c'est pourquoi le présent billet n'a pas d'autre ambition que d'éclairer certains points et d'apporter des éléments de réflexion.

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