Créer c’est Résister, résister c’est Créer.
« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » Cette pensée du poète Hölderlin, souvent citée par Edgard Morin et reprise en exergue de plusieurs articles inspirés par la crise actuelle, trouve sa résonance dans le péril qui nous occupe aujourd’hui. La Culture est, selon moi, « ce qui sauve », de la sidération. C’est elle qui dans les pires moments de notre histoire a contribué à renouer les liens d’humanité et de résistance. Je repense à ces femmes extraordinaires dans les camps de la mort qui, comme Charlotte Delbo, Marie-Claude Vaillant Couturier, Marie Josée Chombart de Lauwe et tant d’autres, récitaient les pages des grands auteurs pour donner à leurs camarades la force de résister.
Ce qui fait la richesse et l’identité de notre pays, c’est bien sa culture, ce bien irremplaçable qui éclaire nos consciences et les chemins de la liberté. Elle irrigue toutes nos activités humaines, nous permet d’aller à la rencontre de l’autre, et nous aide parfois à supporter l’insupportable.
« Créer c’est résister, et résister c’est créer » écrivait en 2010, à l’âge de 93 ans, Stéphane Hessel, cet éternel jeune résistant, dans le livre « Indignez-vous ». Il lançait cet appel, après avoir fait l’état des lieux de notre société néo-libérale qui, avec méthode, a démembré nos acquis sociaux et tout le socle des réformes profondes du programme du Conseil National de la Résistance qui mettait l’homme et son bien-être au-dessus de toute autre considération. Dix ans après ce constat, l‘accélération du démembrement de nos services publics aura été de pair avec l’accélération de la rotation du capital, de la mondialisation et de la marchandisation de nos espaces de vie.
Pour lutter contre le désastre d’une pandémie hors de contrôle le premier ministre pour justifier un confinement de toutes les activités « non essentielles » de la culture entre autre, clame haut et fort que « ce n’est pas le moment de relâcher la bride ! » Ce qui nous éclaire une fois de plus sur ce phantasme de toute puissance qui consiste à vouloir tenir en laisse le peuple en décrétant des mesures de confinement et la fermeture des lieux de culture sans consultation des élus locaux et des professionnels concernés. A ce jour, des milliers de spectacles, de représentations de toutes les disciplines artistiques, sont annulées. Des milliers d’artistes et d’organisateurs vont devoir renoncer à des créations qui ont demandé des mois de préparation dans l’enthousiasme. Des dizaines de milliers d’intermittents, de techniciens, d’administrateurs sont privés d'activité, des dizaines de milliers d’espoirs et de désirs se sont envolés, sans oublier les publics et toutes les activités liées à l’organisation de ces manifestations. Il est difficile d’estimer tous les dommages collatéraux dans les territoires, dans les villes, dans les villages, dans les quartiers, dans les cités, dans les foyers, dans nos consciences, dans la vie de tous les jours, des sinistres qui s’annoncent durables et destructeurs.
Il y a eu d’autres temps où des ministres comme André Malraux ont eu le courage de faire d’autres choix pour vivifier notre patrimoine culturel en mobilisant les énergies des créateurs et des publics et donner à la culture toute sa place. Cette politique n’était pas ponctuelle, dictée par une « crise », mais s’inscrivait dans le long terme, comme une mission naturelle, essentielle au bien-être du citoyen.
Aujourd’hui, force est de constater qu’aucune parole audible n’apporte de solutions à la hauteur de ce désastre systémique, si ce n’est du saupoudrage, comme l’aura été cette idée du chèque culture distribué à la jeunesse, à l’image des chèques cadeaux offerts à la clientèle des supermarchés. Aucune volonté de saisir l’occasion pour réunir l’ensemble des acteurs de la culture pour envisager, dans la concertation, une refondation de ses missions. Le président se donne des allures de mécène généreux en distribuant, des compensations qui n’auront qu’un temps.
Il est temps de convoquer les « états généreux de la culture » où pour envisager cet autre monde que nous sommes en droit de rêver, la culture sera un service public au même titre que la santé. Un service public où la rentabilité ne sera plus la priorité, le nombre d’or qui mesure « la place de cerveau disponible » du consommateur, pour citer la phrase emblématique du patron de TF1. Rappelons qu’à sa création, TF1 était la première chaîne nationale appartenant au service public, avant d’être bradée au privé pour en faire ce que nous connaissons aujourd’hui : un instrument de diffusion d’une sous-culture formatée et asservissante soumise aux lois des indices d’écoutes et du marketing. Aujourd’hui toute la création audiovisuelle est soumise à un cahier des charges drastique qui n’autorise aucun écart et permet de contrôler les contenus idéologiques et leurs formes. Ce formatage à l’image de la production industrielle s’inscrit dans une dynamique concurrentielle mortifère entre les chaînes où les publics ne sont que des parts de marché.
Les « états généreux » convoqueront toutes les voix qui dénoncent la faillite de ce modèle de société pour élaborer une nouvelle constitution où la culture sera une priorité, comme moyen de résistance aux virus de toutes sortes qui dénaturent la condition de l’homme et de son environnement.
En attendant ces « jours heureux », je ne peux m’empêcher de citer le poète en résistance Robert Desnos qui écrivait en 1942, aux heures les plus sombres de l’occupation nazie, porteuse du virus de la haine :
« Du fond de la nuit, nous témoignons encore de la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »
Frank Cassenti / cinéaste et musicien
PS Je vous invite à faire un tour sur le site des Mutins de Pangée, un collectif de cinéastes engagés, qui viennent de mettre en ligne plusieurs de mes films dont CHANGER LE MONDE qui a été retiré de l’affiche des salles d’Art et d’essai. Soutenons-les !