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Billet de blog 1 juillet 2023

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SAGA AFRICA

Une Histoire qui ne souffre pas la contradiction ou le doute et qui ne s'apprend pas par cœur car elle s'apprend avec le cœur.

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MON AFRIQUE

Illustration 1

« L'enseignement de l'histoire aux tout petits doit être une suite d'histoires comme en racontent les grands-pères à leurs petits-enfants ».

Ernest Lavisse

L'Afrique. L'Afrique ? Au nord du Sahara, le Sahara au milieu, au sud du Sahara. Chacun de nous a des représentations très personnelles de ce continent avec lequel nous partageons une histoire et avons une mémoire commune. Je suis de la génération de ceux qui avaient les yeux rivés sur une carte Vidal-Lablache. A la parole de notre instituteur, je préférais parfois la rêverie alimentée par ce qu'on appelait encore l'empire colonial français en Afrique. La carte était murale et en permanence sous notre regard, comme si nous devions nous en imprégner. AFRIQUE EQUATORIALE FRANCAISE...AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE. Deux entités territoriales que de nombreuses gravures fournies par les Editions Rossignol venaient illustrer, pour nous donner une image plus prégnante encore de nos « possessions africaines ».

L'Afrique du Nord, en fait surtout l'Algérie, à cause de cette guerre qu'on a tardé à appeler de son vrai nom et qu'on a voulu nous présenter comme la réponse à des actes peu recommandables à mi-chemin entre un irrédentisme aussi minoritaire qu' incurable et un banditisme de grands chemins. La guerre d'Algérie qui a opposé une puissance coloniale à un mouvement de libération nationale nous était présentée comme une succession d'opérations de maintien de l'ordre. Les agissements des algériens étaient qualifiés de manifestation honteuse d'un manque de reconnaissance de la part de ceux qui mordaient la main qui les nourrissait. L'Algérie c'était également des jeunes gens sous uniformes qui partaient là-bas pour...rétablir l'ordre et qui revenaient parfois étrangement silencieux.

Il y avait également Ahmed, le marchand de tapis, de ceintures, de portefeuilles en cuir, de stylos à bille et de montres qu'il portait en rangs serrés sur ces deux avant-bras. Ahmed, ses cheveux noirs frisés, sa petite moustache et son drôle d'accent. Ahmed, régulier comme les hirondelles, en mai et en septembre, à pied dans les rues du village, de maison en maison, des tapis noués en ballot sur l'épaule. Il nous était si familier que nous l'appelions par son prénom et les enfants lui faisaient fête à chaque visite.

Pour moi, l'Algérie c'était également une représentation d'une quarantaine de centimètres sur vingt, sous verre et encadrée, à mi-chemin entre la photographie colorisée et le chromo kitch. Elle représentait un paysage désertique avec une dune, quelques palmiers-dattiers et deux chameliers qui avançaient inlassablement l'un derrière l'autre. Une petite caravane disait mon père. La représentation était fixée au-dessus de la table de la cuisine, elle avait été achetée à Ahmed. Je l'ai eue sous les yeux pendant toute mon enfance et un demi-siècle après je me souviens du moindre détail, jusqu'aux touffes d'herbes éparses qu'étaient sensées brouter les dromadaires et les moutons qui ne figuraient pas sur la gravure.

L'Afrique c'était également le cinéma. Des films de patronage qui relataient la vie des missionnaires dans l'ancien Tanganyka mais surtout les exploits africains de Johnny Weismuller, inoubliable Tarzan dont je pourrais encore imiter le cri si vous me le demandiez. D'autres fictions plus élaborées comme Les mines du roi Salomon ou encore La révolte des Mau-Mau du Kenya complèteront cette lente et étrange stratification de la mémoire. La série télévisée américaine Daktari mettra la touche finale.

Les conquêtes françaises en Afrique font partie du roman national, de même que la colonisation et la décolonisation. Nous partageons cela avec les africains. La Francophonie en est un prolongement et les poussées migratoires d'aujourd'hui en sont un autre.

Illustration 2

Il y avait surtout l'Ecole qui rassemblait les pièces du puzzle et donnait un sens au tout. L'Histoire de France et non pas celle de la France. La France sacrée, la Mère nourricière dont nous voulions faire profiter la terre entière ; la mère Patrie que nous disions partager avec les peuples d'Afrique. L'Histoire de France, de la Gaule à nos jours, celle racontée par Ernest Lavisse. Le manuel scolaire qui connaîtra cinquante rééditions entre 1884 et 1950 et qui restera entre les mains des écoliers jusqu'aux années 60. Il a sans doute été le manuel scolaire qui a le plus marqué l'esprit des écoliers et des hussards noirs de la République chers à Charles Péguy. Y compris dans les errements et les préjugés qu'il a induits. Une Histoire qui ne souffrait pas la contradiction ou le doute et qui ne s'apprend pas par cœur car elle s'apprend avec le cœur.

Je voulais reprendre le ton d'Ernest Lavisse pour parler de l'Afrique, je lui ai volé ses mots et même des phrases entières. J'ai semé par ci et par là mes propres mots d'enfant comme en écho. Je ne saurai rien de la déportation des hommes et des femmes de l'Afrique dans le Nouveau Monde. Il me faudra attendre longtemps pour comprendre qui étaient et d'où venaient les ancêtres de ma jeune correspondante de Pointe-à-Pitre ou du GI noir à qui ma grand-mère avait fait une omelette au lard en 1945.

Illustration 3

Carte de l'Afrique pour l 'édification de ceux qui douteraient que la colonisation n'avait pas que la préoccupation d'apporter les bienfaits de la civilisation.

Editions Vidal Lablache

Illustration 4

L' AFRIQUE D'ERNEST LAVISSE

LE LAVISSE

Editions 1930

En Afrique, les hommes sont noirs de peau. Les hommes noirs de peau sont des nègres, les femmes sont des négresses et les enfants des négrillons ou des négrillonnes. La France a apporté les bienfaits de la civilisation à l'Afrique. L'Afrique équatoriale française et l'Afrique occidentale française sont la France en Afrique.

Illustration 5

Editions Rossignol

https://www.youtube.com/watch?v=9CD3id6qLZ4

Les nègres ne s'habillent pas trop car il fait très chaud chez eux et comme leur peau est très sombre, ils sont déjà bronzés et ils ne risquent pas des coups de soleil comme nous. Ils sont toujours souriants et aiment boire du Banania au petit déjeuner, car c'est bon.

Comme il fait très chaud, qu'il ne pleut pas tous les jours, que la terre n'est pas très fertile et que les nègres n'ont pas trop l'habitude de se baisser, il n'y a pas tellement de cultures et on pratique surtout de l'élevage de chèvres, de poules et de vaches très maigres. Les nègres ont de la chance car dans leur sous-sol il y a beaucoup de richesses très précieuses comme des diamants, de l'or, du cuivre, de l'étain, il y a aussi du caoutchouc, du coton et des arachides. Malheureusement, ils ne savent pas trop ce qu'ils pourraient faire de toutes ces richesses alors la France les aide en leur montrant.

Dans la plupart des pays de l'Afrique il y a des marchés comme chez nous mais on n'y vend pas des chevaux, des vaches ou d'autres animaux. Sur ces marchés, on vend des hommes et même des femmes parfois. On les attache deux par deux, l'un derrière l'autre en leur mettant un collier et en reliant leurs deux jambes à l'aide d'une corde pour les empêcher de courir et de s'enfuir. On les appelle des esclaves et ils appartiennent à celui qui les a achetés. L'esclavage est une chose abominable, aussi la France ne veut plus qu'il y ait des esclaves dans les pays qu'elle possède.

Cela prouve que la France est bonne et généreuse pour les peuples qu'elle a soumis.

Illustration 6

Savorgnan de Brazza délivre des esclaves

Sur la gravure, l'homme debout près du drapeau hissé s'appelle Pierre Sarvognan de Brazza. Il est un explorateur italien qui aimait tant la France qu'il devint français. Il porte des vêtements blancs et un chapeau en liège recouvert de toile blanche. Deux autres français sont vêtus de la même façon. C'est à cause de la grande chaleur qu'ils sont habillés ainsi. C'est certain qu'ils ont moins l'habitude de la chaleur et craignent plus un coup de soleil ou une insolation que les nègres.

Brazza était un homme admirable qui a beaucoup voyagé dans un pays appelé le Congo. Il ne fit aucun mal aux habitants de ce pays et il leur parlait doucement en leur demandant d'obéir à la France. Quand ils avaient promis, il plantait une grande perche dans le sol et fixait à son sommet le drapeau de la France. Cela voulait dire que ce pays appartenait à la France et que ses habitants allaient obéir et aimer la France.

Un jour, une troupe d'esclaves passe dans un village ou notre drapeau était hissé. Brazza la fait arrêter et dit : « Partout où est le drapeau de la France, il ne doit pas y avoir d'esclaves ». Il demande qu'on enlève aux esclaves leurs colliers et les cordes qui lient leurs jambes. Deux de ces pauvres gens qui viennent d'être libérés sont si heureux qu'ils font mille cabrioles.

Cela prouve vraiment que la France est bonne et généreuse pour les peuples qu'elle a soumis.

Illustration 7

La reddition de l 'Emir AbdelKader 

Editions Rossignol

Le Sahara est le plus vaste désert de la terre, il y a du sable et des cailloux partout. Quand il y a un peu d'eau, des palmiers-dattiers poussent et forment une oasis. Les oasis attirent les hommes bleus qui vivent dans des tentes et élèvent des dromadaires qui sont des sortes de chameaux mais à une seule bosse. On les appelle les touareg et ils sont nomades c'est à dire qu'ils se promènent d'oasis en oasis pour faire boire leurs bêtes et cueillir des dattes. Quand il y a un seul de ces hommes, il s'appelle un targui.

Au nord du Sahara, il y a l'Algérie, la Tunisie et le Maroc. Leurs habitants sont les arabes et ils ont la peau plus claire que les nègres mais plus foncés que la nôtre. En Algérie, il y avait un chef respecté qui s'appelait Abdelkader, il vivait dans une smala qui est une sorte de camp de tentes que ses habitants déplacent continuellement. Il était très courageux et résistait à nos soldats qui réussiront à prendre sa smala et à le faire prisonnier. Un jour il deviendra malgré tout l'ami de la France dont il a compris les intentions bienfaisantes pour son pays.

Cela prouve une fois de plus combien la France est bonne et généreuse pour ceux qui savent reconnaître ses mérites.

Les arabes sont des guerriers très braves qui arrivent toujours au grand galop de leurs chevaux. Ils sont vêtus de grands manteaux blancs qu'on appelle un burnous. Il y eut de grandes batailles en Algérie que la France gagnait toujours à cause du courage de ses soldats même quand ils étaient moins nombreux que les arabes. C'est ainsi que cent-vingt-trois français furent attaqués par quinze-mille arabes au fort de Mazagran mais ils se découragèrent après trois jours devant la vaillance de nos soldats. En souvenir de tant de vaillance de nombreuses villes de France donnèrent le nom du fort à une rue.

Bientôt toute l'Algérie est soumise à la France et plus de cinq-cent-mille français iront s'installer en Algérie. Ceux qui s'installèrent ont défriché les broussailles et asséché des marais. Ils ont développé les cultures et donné du travail aux arabes. Pour s'amuser entre eux et faire un peu d'humour, les nouveaux fermiers qu'on appelait les colons aimaient dire qu'ils faisaient suer le burnous à leurs ouvriers agricoles. La France a embelli les villes anciennes et créé de nombreux villages là-bas.

Illustration 8

Elle a aussi créé des écoles. Sur la gravure vous voyez les écoliers français et arabes côte à côte. Ceux qui sont habillés comme vous, ce sont les petits français, ceux qui sont vêtus de burnous blancs sont des petits arabes. Les petits arabes sont de bons petits écoliers qui apprennent aussi bien que les petits français et ils font d'aussi bons devoirs. La France veut que les petits arabes soient aussi bien instruits que les petits français.

Là encore, notre France s'est montrée bonne et généreuse.

Illustration 9

Editions Armand Colin

Beaucoup plus tard, les pays de l'Afrique se sont dit qu'ils aimeraient bien essayer d'être comme la France, avoir un président à eux, une armée comme nous et un beau drapeau comme celui de la France. La France leur a dit que c'était bien, mais que ce ne serait peut-être pas aussi facile qu'ils le pensaient et qu'il valait mieux attendre encore un peu.

Au bout d'un moment, le jour est enfin venu et la France est partie avec parfois quelques bousculades tant les pays de l'Afrique étaient impatients. La France a dit à tout le monde qu'elle conserverait son amitié à chacun en souvenir des beaux moments passés ensemble et qu'elle serait toujours là pour eux en cas de besoin.

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