Cessez donc de dire du mal des gens riches, vous ne savez pas ce qui pourrait vous arriver. Parfois, le destin frappe à l'improviste et vous pourriez être subitement concernés, sans vraiment l'avoir voulu. Ce serait d'ailleurs bien fait pour vous, on pourra vous prendre au mot en vous invitant à apporter votre contribution quand il s'agira de faire payer les riches.
Ne secouez pas la tête, ni en signe de dénégation, ni pour manifester votre approbation, il n'est pas loin le temps où certains d'entre vous achetaient régulièrement et avec délectation le magazine mensuel Burda car vous y trouviez toujours un patron à découper et que cela était votre petit plaisir hebdomadaire. Même si aujourd'hui c'est plutôt le dépeçage des oligarques qui est devenu tendance et si ce sont les actionnaires qui se gavent de dividendes que vous vous plaisez à clouer au pilori.
Je vous vois déjà froncer des sourcils et contracter spasmodiquement vos muscles frontaux et votre glabelle, cette petite ride entre les yeux que le poète appelle la ride du lion, se figer légèrement. Vous êtes mécontent et, à me lire, la moutarde vous monte déjà au nez. Oser parler des patrons, des oligarques et des actionnaires sans les agonir d'injures, sans leur trouver tous les défauts et les vices de la terre et sans les vouer aux gémonies ! N'est-ce pas la preuve que c'est un macroniste patenté qui ose une fois de plus prendre la parole, qui plus est en un lieu réservé aux vrais progressistes et où il n'a rien faire ?
Les patrons sont ces curieux personnages que le destin a frappés et qui gagnent tellement d'argent qu'on ne compte plus leurs revenus au mois, mais à l'année ; on ne parle d'ailleurs plus de salaire, mais plutôt de rémunération, non pas parce que cela fait plus chic, mais parce que leurs rentrées d'argent sont si diverses qu'il fallait un substantif plus englobant. Salaire de base et compléments variables, primes, avantages en numéraire ou en nature, jetons de présence et frais de représentation ou simplement de fonctionnement pour toujours être mieux à même de profiter pleinement des salaires...de base, tout cela constitue l'ordinaire d'une rémunération solide, enviable et enviée, toujours recherchée.
Ces rémunérations peuvent atteindre des montants...astronomiques que le commun des mortels a quelques difficultés à se représenter. Pour cette raison, nombre d'abonnés à Burda ont estimé que le simple calcul du nombre de Smic que peuvent représenter certaines rémunérations était bien trop abstrait. Ils se sont ingéniés à mettre au point une représentation plus matérialisée, plus parlante, de ce que peut être la vraie fortune.
Il fallut d'abord choisir un patron qui parle à l'imaginaire. Pas un obscur artisan devenu chef d'entreprise par opiniâtreté ou quelque petit rentier ayant vaguement hérité de puits de pétrole d'un oncle établi au Texas ou de poules aux œufs d'or d'une grand-mère particulièrement économe. Il fallut un patron, un vrai, par forcément bedonnant et fumant le cigare, un capitaine d'industrie au regard transperçant et au bronzage intégral en toute saison. Un de ceux qui invite ses amis sur un yacht en toute saison et qui le matin pour aller au bureau est plongé dans la perplexité quand il d'agit de choisir entre la Bentley ou la Porsche ; à moins qu'un chauffeur personnel dorme en permanence sur le tapis de l'entrée. Il faut ensuite mener une enquête minutieuse pour connaître la réalité de sa fortune. Si à cette occasion vous découvriez quelques oublis de déclaration au fisc ou quelques comptes dissimulés au Luxembourg ou aux Îles Caïmans, ce serait même pain béni ; un riche c'est toujours malhonnête, sournois même et vicieux parfois.
Ce n'est qu'à ce moment que la magie peut commencer à opérer : il faut convertir sa rémunération annuelle en une image parlante. Par exemple en un nombre de billets de 10 euros. Ainsi les 2 698 020 euros que Carlos Ghosn avait gagnés en 2016 auraient représenté 269 802 billets de 10 euros. A la réflexion, nous restons encore trop dans le nombre forcément très réducteur et abstrait, en plus il rapetisse la fortune alors que c'est du grandiose, du phénoménal que nous exigeons.
Pas assez parlant à l'imagination ? Certains ont choisi le stade de football comme unité de mesure, d'autres la piscine olympique (peut-être une vague réminiscence de l'oncle Picsou qui prenait des bains dans son coffre-fort et y faisait quelques brasses chaque matin). Mesurer une fortune avec ces unités ne nous mènerait pas forcément assez loin, question indignation. Un parti politique qui fut prophétique jusque dans les années 70 du siècle dernier avait eu une idée originale. C'était encore l'époque des francs et l'unité de mesure retenue était le billet de 10 F. Le Voltaire mesurait 149 mm de long sur 80mm de large. La taille du billet de 10 € ayant diminué, son usage pour notre métaphore est d'autant moins parlant mais il faut désormais faire avec ce que nous avons.
Sachant qu'un billet de 10 euros mesure 12,5 cm sur 6,5, imaginons mettre les 269 802 billets de 10 € de la rémunération de Carlos Ghosn bout à bout. Pour aller de A en B * par l'autoroute A °°, il faut compter 35 km. Les billets de 10 euros qui représentent la rémunération annuelle de Carlos Ghosn, mis bout à bout, couvriraient seulement 33,725 km. Un an de rémunération pour aller à A en étant contraint de s'arrêter sur une aire de repos en attendant une hypothétique augmentation permettant de poursuivre sa route. Il devrait même accomplir une deuxième année de travail pour pouvoir revenir chez lui. Nous voyons immédiatement que sa rémunération n'est pas si importante que cela. Sauf bien sûr s'il nous avait dissimulé quelques ressources.
Vincent Bolloré, avec ses 2 510 138 euros, resterait en rade sur la bande d'urgence sans même atteindre l'aire.
En revanche, si on convertissait les 7,3 milliards de la fortune prêtée à Vincent Bolloré et que l'on mette les billets bout à bout, cela ferait 91 250 km de billets de 10 euros. Alors là, ça cause !!! Deux fois le tour de la terre à hauteur de l'équateur, un petit ruban Paris-Tokyo en plus et il resterait de quoi relier et faire converger de nombreux ronds-points.
Et avec un SMIC, jusqu'où irez-vous ? Vous pouvez ainsi vous amuser et contre mauvaise fortune faire bon cœur. Vous pouvez même raviver vos souvenirs de problèmes d'arithmétique et en cultiver utilement la nostalgie. Toutes les questions subsidiaires sont possibles. Ainsi, combien vous faudrait-il de Smic pour relier Paris à Tokyo ?
Et si vous mettiez bout à bout les billets dans le sens de la largeur, quel résultat ? Ou encore, vaut-il mieux être payé avec des billets pris dans le sens de la largeur ou celui de la longueur ? Vous pourriez même vous improviser ordonnateur de votre propre rémunération en traduisant vos revendications salariales en kilomètres à couvrir accompagnés éventuellement des métaphores qu'il plaira à votre imagination débridée de trouver. Les plus entreprenants d'entre vous pourraient envisager de concevoir des billets de tailles différentes et ainsi obtenir des augmentations sans en avoir l'air. Vous pourriez même stimuler votre imagination en demandant une augmentation en kilomètres ou en exigeant d'être payés en billets de taille réduite de moitié mais à valeur constante. Dans ce cas verriez-vous votre rémunération progresser ou régresser ? Et pour une rémunération et un pouvoir d'achat maintenu quelle est la taille optimale des billets à utiliser ?
Un peu d'imagination, que diable !!!
* C'est volontairement que je ne cite aucune ville et autoroute précises. Si vous envisagez la réalisation d'un tract et sa diffusion, vous trouverez deux agglomérations de votre région distantes de 35 km ou à défaut d'un éloignement plus important. Dans ce dernier cas n'oubliez pas de refaire les calculs afférents afin de rester compréhensible et pour vous éviter que ceux que vous cherchez à convaincre ne regardent que le doigt avec lequel vous avez voulu montrer la lune.