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Billet de blog 4 juin 2023

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AU NOM DE LA TERRE de Edouard Bergeon

Il y a des films qu'il est toujours à propos de voir et de revoir...

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" Au nom de la terre " relate la vie d'une famille d'éleveurs, qui après avoir élevé des caprins, entame une reconversion dans la volaille de chair qui a la vocation en principe de nous nourrir.

S'agit-il d'un film sur les difficultés de la vie d'un éleveur et de sa famille ? D'une mutation d'activité ? S'agit-il de nous montrer les difficultés de la transmission d'une génération à l'autre ? S'agit-il de l'histoire d'un agriculteur fragilisé par son endettement et qui sombre dans la dépression jusqu'à mettre fin à ses jours ? S'agit-il d'une saga familiale ? Il s'agit de tout cela à la fois.

Guillaume Canet/Pierre Jalreau a repris l'exploitation agricole familiale. Non pas en héritage mais en fermage. La formule permet au fils de reprendre la ferme familiale tout en payant un loyer au père et lui assurer ainsi un revenu qui complète une retraite souvent modeste. La cession ne se fait pas vraiment de gaieté de cœur et Rufus incarne à merveille ce père taiseux et pudique jusqu'à être avare d'affection.

Au delà des caractères et des tempéraments se sont également deux conceptions de l'économie de la ferme et des réponses à trouver pour pérenniser l'activité que Rufus/Jacques Jarjeau voit en termes de manches retroussées et Pierre davantage en entreprise qui s'adapte. Sous le regard affectueux et expressif du fils et petit-fils Anthony Bajon/Thomas Jarjeau, la ferme est passée de l'élevage de moutons à celui de chevreaux dont le rendement devenu faible contraint à une nouvelle activité. Pierre commence un élevage de poulets de chair qu'il envisageait en alternance avec ses chevreaux quand l'étable est momentanément vide en fin de saison.

C'est un autre temps qui s'annonce. Poulavie propose un équipement pour automatiser une salle d'élevage permettant d'engraisser 20 000 poulets en quelque semaines. Un sous-traitant ou allié de la même société propose en même temps la nourriture, aux ingrédients tenus secrets, et les poussins, tout en s'engageant à la reprise des poulets gras et à leur livraison à l'abattoir, qui probablement est lui aussi une succursale de Poulavie. L'investissement est financé par une banque, qui peut être le principal actionnaire de toute l'opération par sociétés enchevêtrées. Par ailleurs, le prix de reprise du poulet engraissé comme le prix d'acquisition du poussin et celui de la nourriture peuvent être fluctuants. Même dans le cas où un prix minimum est garanti à l'éleveur, il n'a en réalité aucune prise véritable sur la vente du poulet aux consommateurs. Le miracle promis par Poulavie peut donc ne pas se produire et même a toutes les chances de virer au cauchemar. Ce modèle économique est celui de l'élevage intégré, qui, avec des variantes, fait supporter toutes les charges et tous les risques au producteur et tous les profits à l'intégrateur.

J'ai aimé ce film. Il s'inscrit dans une suite de films, qui de Petit paysan à Roxane nous incite à dresser l'oreille quand les agriculteurs élèvent la voix et nous ralentissent parfois par leurs manifestations. Ces films nous invitent à ne plus voir seulement dans nos assiettes ce qui réjouit ou déçoit nos papilles, mais des hommes et des femmes dont l'activité assure notre subsistance.

J'ai aimé ce film. Il montre que la vie à la campagne n'est pas seulement bucolique et les paysans d'aimables figurants parfois un peu irascibles dont nous sommes tous des descendants à un degré ou un autre. Ils sont des hommes et des femmes qui comme ceux des ateliers et des bureaux veulent vivre d'une rémunération digne de ce nom.

J'ai aimé ce film. Je l'ai aimé pour Rufus, Guillaume Canet, Veerle Baetens , Anthony Bajon et Samir Guesmi. Leur ton et leurs regards sont justes et ils s'effacent derrière leurs personnages qui sonnent vrais. Veerle Baetens/Claire est à l'image de ces femmes de la campagne qui tout en étant présentes dans l'activité de l'exploitation, ont un emploi extérieur qui permet de suppléer aux ressources parfois insuffisantes et assurent le moral de la troupe. Thomas sera-t-il éleveur à son tour un jour ou sera-t-il ingénieur-agronome, ni trop loin, ni trop près de la tradition familiale ? Pierre saura-t-il trouver grâce aux yeux de son père muré dans ses certitudes dont toutes ne sont pas sans fondements ?

J'ai aimé ce film. Je l'ai aimé pour sa contribution et ce qu'il aurait pu dire de plus mais que nous pouvons faire nous-même en modifiant notre regard sur le monde rural qui ne se résume pas à des pâturages et ses hôtes qui atterriraient comme par enchantement dans nos assiettes.

J'ai aimé ce film. Je l'ai aimé car il est une invitation à se souvenir. Une invitation pour ceux qui ont côtoyé ou connu le travail à la ferme mais également pour le citadin qui ne voient que les paysages défiler quand il prend la route ou le TGV et pour qui les mastodontes de couleur rouge qui vont et viennent dans les champs ne sont que les symboles indiscutables d'une prospérité supposée.

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