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Billet de blog 5 mars 2023

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THE FATHER de Florian Zeller

Ce jour là, j'étais accompagné de celui qui voit un parent vieillir et se voit lui-même avancer en âge. Le cinéphile ne pouvait pas ignorer cet autre lui-même qu'il côtoie en permanence et dont il partage la plupart des préoccupations.

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Quelque chose ne tourne pas rond. Anthony/Anthony Hopkins ne comprend pas ce que cet inconnu vient faire chez lui. Quand sa fille Anne/Olivia Colmar revient avec les courses, il lui demande quelques explications sur ce mari surgi de nulle part qui est parti à la cuisine avec le lapin qu'elle vient d'acheter. Mais sous les traits de ce mari, il y a le kinésithérapeute de l'établissement médicalisé dans lequel Anne et son vrai mari ont décidé de le placer.

Quelque chose ne tourne plus rond dans la tête d'Anthony qui est trahi par sa mémoire, qui confond les personnes ou ne les reconnaît plus, quelquefois  pas durablement. Les lieux se superposent, s'entrechoquent et sa lecture simultanément synchronique et diachronique du temps qui passe lui fait perdre ses repères davantage encore. Le docteur Saraï/Ayesha Dharker reçoit Anthony en consultation à son corps défendant. Il attire son attention sur l'état de confusion de...sa fille qui l'accompagne.

The father de Florian Zeller était une pièce de théâtre avant d'être un film. Le film bénéficie incontestablement des approfondissements auxquels le théâtre contraint et de l'unité de lieu qui en est la forme caractéristique. Anthony est un homme qui vieillit et qui en vieillissant voit ses facultés intellectuelles irrémédiablement décliner et vaciller. Anthony Hopkins affichent les affres de la sénescence et de la sénilité avec un talent qui laisse sans voix.

Je suis allé voir le film de Florian Zeller deux fois à 48 heures d'intervalle. La première fois j'étais accompagné et la seconde seul. Comme d'habitude, à la sortie de la séance nous échangeons sur le film ; nos impressions, nos interprétations, nos émotions, nos indignations, nos acquiescements comme nos réprobations sont au centre de nos échanges. Cette fois, si nos émotions étaient intenses et partagées, nous avions surtout besoin de reconstituer la chronologie et les enchaînements de ce que montrent Anthony, sa fille Anne, son gendre Paul et tous ceux qui entourent  le personnage qu'Anthony Hopkins interprète pour nous. Nous avions besoin de cette reconstitution, de mettre de la rationalité comme si nous avions  peur d'être déstabilisés, comme si cela nous permettait de conjurer quelque chose de menaçant pour nous-mêmes.

Y a-t-il une véritable chronologie dans le maelström de ce que nous apprenons de la vie d'Anthony ? Assistons-nous à la lente descente aux enfers de son esprit jusqu'à son placement où sommes-nous avec lui dans cette clinique bienveillante et partageons-nous peu à peu les errements de sa pensée ? Peu importe en définitive car nos interrogations sont déjà le signe de la pleine réussite du film. Nous ne sommes pas les témoins de la confusion de l'esprit d'Anthony, Florian Zeller a voulu nous faire partager et nous faire vivre cette confusion.

Ma seconde séance du même film était un plaisir purement intellectuel que j'ai voulu m'offrir, avec le secret espoir que je percerais le secret de la réussite du film et quoiqu'il m'en coûte je mettrais...de l'ordre dans la vie d'Anthony. Confusément, je pressentais cela comme étant le moyen de...me rassurer et en tout cas de retrouver la maîtrise de ce que sentais s'effilocher à côtoyer le personnage.

A cette seconde séance je pensais être seul et soudain j'ai pris conscience que j'étais deux. Il y avait l'amateur de cinéma, le cinéphile qui ne rechigne jamais à saluer, à encenser même ce qu'il a aimé ou à faire la moue et même à étriller férocement ce qu'il a détesté. Ce jour là, j'étais accompagné de celui qui voit un parent vieillir et se voit lui-même avancer en âge. Le cinéphile ne pouvait pas ignorer cet autre lui-même qu'il ne perd jamais de vue, qu'il côtoie en permanence et dont il partage la plupart des préoccupations.

Oui. Nos aînés comme nous-même vivent en bonne santé physique, la meilleure possible, grâce aux progrès de la médecine et de ce que « Les jours heureux »  nous ont légué. Mais il est un mal insidieux qui se développe parfois et qui n'affecte pas seulement celui qui en est frappé. L'entourage et tous ceux qui l'aiment partagent un fardeau qui est lourd à assumer. Trop lourd pour être porté par la seule famille.

Mon autre moi-même n'était d'ailleurs pas totalement absent lors de la première séance. Il s'était simplement fait plus discret pour ne pas inquiéter le cinéphile et le laisser à la joie de saluer le travail de Florian Zeller et d'Anthony Hopkins.

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