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Billet de blog 5 septembre 2022

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LE PRÉSIDENT MACRON, "LE MONDE" ET LEURS COMMENTATEURS

N'y a-t-il pas quelque chose de malsain d'instrumentaliser ainsi la question mémorielle à des fins politiciennes en triturant sans vergogne ce qui a été effectivement dit  ?

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Quels sont les faits qui ont enflammé hier les esprits ? Le président Macron a fait un voyage de chef d'Etat en Algérie. Deux questions étaient à l'ordre du jour de la visite.

La première, ancienne, douloureuse, houleuse parfois, trouve ses racines entre 1830 et 1962, elle est le terrible contentieux né d'une colonisation brutale et d'une décolonisation tout aussi brutale avec son cortège d'exactions qui sont autant de crimes de guerre de part et d'autre.

La seconde a trait à nos relations commerciales avec l'Algérie qui possède dans son sous-sol une ressource dont nous avons grand besoin au moment où la Russie de Poutine exerce un chantage à la pénurie à notre encontre et à l'encontre de tous ceux qui ne se soumettent pas à sa politique impérialiste militaire.

Pour ce qui est de la première question, elle est « en cours de traitement » depuis des années et le président de la République française a inscrit ses pas dans ceux de ces prédécesseurs dans une longue et (trop) lente reconnaissance des faits portant sur des crimes contre l'humanité s'agissant de la colonisation et à mots plus couverts sur des crimes de guerre s'agissant de la décolonisation. Si la qualification juridique « Crime contre l'humanité » pourrait être retenue s'agissant de la colonisation, de toutes les colonisations, la qualification de « Crimes de guerre » pourrait tout autant être avancée s'agissant des actions de l'armée française et de celles du FLN algérien. Ce sont les raisons qui font qu'une réconciliation durable et sans arrière-pensées reste « en cours de traitement », avec des hauts et des bas, des vicissitudes diverses de part et d'autre et des dénis partagés.

Le président Macron n'a pas décrit la colonisation comme une « histoire d'amour » contrairement à ce que certains affirment. Les colonisations, dont celles de l'Algérie, sont des crimes contre l'humanité de ceux qui vivent sur les terres envahies et cela pour la simple raison qu'elles vont toujours de paire avec des spoliations, des atteintes graves aux droits les plus élémentaires et des massacres dès lors qu'il y a résistance (et même parfois en l'absence de résistance). Ce sont ces actes qui valent aux colonisations la possible qualification judiciaire de CRIME CONTRE L'HUMANITÉ.

Le président Macron a dit très précisément : « Vous savez, c’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique. Il faut savoir se fâcher pour se réconcilier. Moi j’essaie, depuis que je suis président, de regarder notre passé en face. Je le fais sans complaisance. Au fond, sur la question mémorielle, sur la question franco-algérienne, nous sommes comme sommés en permanence de choisir. Et il faudrait dire : “Choisissez la fierté ou la repentance.” Moi, je veux la vérité et la reconnaissance.»

En février 2017, celui qui n'était alors que le candidat à la présidence avait parlé de la colonisation en Algérie comme d'un crime contre l'humanité. Il avait dit également : «  Nos deux pays partagent une histoire forte ». Serait-ce trahir sa pensée que de dire qu'il y a une continuité entre ce dernier propos et quand il parle d'une « histoire d'amour qui a sa part tragique » ? N'est-ce pas faire preuve d'une forme de malhonnêteté intellectuelle et même d'un certain parti pris que de voir dans ces deux déclarations une négation du crime contre l'humanité que le candidat avait évoqué et que le président n'a à aucun moment abjuré ?

L'Algérie et la France ont une histoire commune, faite d'amours, de ressentiments parfois de haines partagés qui se sont soldés par un divorce violent dont les rancunes ne sont toujours pas éteintes. Il faut donner du temps au temps disait le président François Mitterrand, le temps de la réconciliation avec le voisin algérien est long, très long alors que nous avons tant de chose à nous dire et à partager.

Quels sont les faits qui ont enflammé les esprits dès le retour en France du président Macron? Le quotidien Le Monde a dépublié la tribune que le politiste Paul Max Morin a écrit et qui dit que « la réduction de la colonisation à une histoire d'amour parachève la droitisation d'Emmanuel Macron sur la question mémorielle ».

Sur le principe, nous sommes bien sûr, comme lecteur, abonné ou non, du Monde en droit de nous interroger sur le retrait d'un article après une première publication. De la même manière les journalistes du Monde le feront certainement. Peut-être même que nos interrogations se rejoindront, peut-être ne seront-elles pas exactement les mêmes. Je me réjouis d'avance d'en prendre connaissance, d'entendre les explications de la Rédaction et du directeur de la publication pour me faire une opinion sereine sur ces questions sans jamais oublier que «  Charbonnier est maître chez soi».

Le quotidien, que j'ai choisi de lire et que je lis avec attention depuis des décennies (il n'est pas la seule source de mon information), n'a ni décidé d'apporter son soutien à Poutine dans son invasion de l'Ukraine, ni apporté ses encouragements implicites ou explicites à annexer militairement Taïwan. Sa rédaction ne dresse de couronne de lauriers à aucun ennemi de l'Etat de droit, ni à l'étranger, ni dans mon pays, je  peux par conséquent  raisonnablement continuer à lui accorder ma confiance.  Je rassure donc tout le... monde : je ne me désabonnerai pas, même si à première vue, j'avais une nette préférence pour le maintien de l'écrit supprimé avec un droit de réponse argumenté accordé.

A première vue, disais-je mais après relecture attentive, en pesant chaque mot et le sens général qu'ils donnent à la déclaration du président, il n'y a pas équivoque ou matière à interprétation : l'idée de fâcheries suivies de réconciliations s'appliquent bien à la période postérieure à l'indépendance quand les deux pays essayaient de trouver leurs marques en vue d'un avenir partagé une fois le divorce  prononcé. Avant l'indépendance, il n'y avait ni fâcheries, ni réconciliations car l'autre n'avait pas d'existence à nos yeux et était sous  notre domination sans savoir voix au chapitre.

Nous sommes dans l'urgence pour ce qui relève de la question de l'approvisionnement en gaz et il n'est sans doute pas sain qu'elle soit mêlée à la question mémorielle. Sans doute eut-il mieux valu que le président Macron l'évite en ne s'exprimant pas sur la question à l'occasion d'une visite à caractère commercial ; le mélange des genres aurait pu, aurait dû être évité.

Par ailleurs , n'y a-t-il pas quelque chose d'indécent d'accuser tour à tour le président de la République de chercher à caporaliser la presse et de chercher noise à la direction d'un grand journal en l'accusant de se comporter comme si elle était aux ordres ? N'y a-t-il pas quelque chose de malsain d'instrumentaliser ainsi la question mémorielle à des fins politiciennes en triturant sans vergogne ce qui a été effectivement dit  ?

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