Par l'odeur du lynchage alléché, Maître Briggs, courtier, loueur et peut-être un peu usurier, accompagné de son épouse sans doute un peu dame patronnesse, cancanière et membre de quelque ligue de belles vertus affichées, aiment faire leur promenade du soir à la nuit tombée dans leur bonne ville.
M. et Mme Briggs portent propre sur eux et leurs plaisirs sont modestes et pudiques. Ils ne connaissent pas les débordements de leurs concitoyens qui dès la nuit tombée se livrent aux joies de la danse, à l'ivresse des sens et des plaisirs subtils des amours adultères, en consommant les meilleurs bourbons. Ils ne sont pas davantage à l'image des Reeves, fermiers qui après une journée de labeur prennent le frais sous le porche d'entrée de leur modeste demeure en s'adonnant à la douceur de leurs rocking-chairs.
Val Rogers/E.G. Marshall est banquier et notable local qui se désespère des difficultés de son fils Jack/James Fox à trouver sa place, autant dans l'affaire familiale que dans la construction de son couple et d'une famille. Jack est mal marié et aime depuis l'adolescence Anna/Jane Fonda qui s'était mariée avec Bubber.
Bubber/Robert Redford est le fils des Reeves ; il purge une peine d'emprisonnement au pénitencier de l'Etat dont il s'évade en compagnie d'un autre détenu. Les Reeves apprendront l'évasion de leur unique fils par le colportage filandreux de Briggs qui se livre ainsi au seul véritable plaisir que nous lui connaissons. Il se chargera de la même manière de conseiller à Edwin Stewart/Robert Duval de rendre service à son patron en lui révélant la liaison de son fils Jack avec le belle Anna.
Calder/Marlon Brando et sa femme Ruby/Angie Dickinson sont les pièces rapportées de cette communauté. Calder a accepté la fonction de shérif de la ville que Val Rogers lui a fait confier. Le temps de gagner suffisamment d'argent pour racheter la ferme de ses parents.
Ainsi toutes les pièces du puzzle, mais surtout de la tragédie à venir, sont rassemblées. Monsieur Briggs présent à tout instant et toujours une allumette prête à être frottée pour allumer les mèches à la main, en est un personnage aussi discret que central. Il met le feu puis se délecte des flammes qui ne seront pas que symboliques à la fin du film.
Les braves gens ont ceci de particulier qu'ils peuvent être d'agréable compagnie tant que les digues ne sont pas rompues ou que les vannes ne sont pas ouvertes. Affables et tout de sagesse et de bon sens pétris en temps normal, lls donnent alors libre cours à leurs instincts profonds et s'autorisent aussitôt à dicter leur loi, y compris au shérif qui l'incarne dans la ville. Le pire n'est dès lors plus à craindre, il devient la règle.
Bubber ne représente un danger pour personne, il était un homme jeune qui ne trouvait ni sa place, ni sa voie au grand désespoir de ses parents. Robert Redford prête ses traits et son regard un peu perdu à ce délinquant, presque juvénile et qui le reste même après sa condamnation. Evadé à quelque mois de sa libération car n'en pouvant plus de son incarcération et de la misère morale et matérielle du pénitencier, il ne représente pas davantage de menace qu'avant son incarcération, même si une rencontre pendant sa cavale s'est soldée par une mort accidentelle , mort du fait de son complice d'évasion d'ailleurs.
La poursuite impitoyable de Arthur Penn est l'histoire d'une chasse à l'homme destinée à satisfaire une espèce de rage haineuse dont l'ostracisme social et même racial n'est pas absent. Le shérif Calder interprété par un Marlon Brando taiseux mais ferme est un contrepoint aux esprits échauffés par l'alcool et ...la chaleur de la nuit.
En regardant le film d'Arthur Penn, il était inévitable de convoquer le souvenir de Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison. A un an d'intervalle dans la seconde moitié des années 60, au Texas pour le premier, dans le Mississippi pour le second, les esprits s'échauffent dans la nuit autour d'un fait divers. Sur fond de préjugés et de tensions les hommes sont capables du pire. Films d'ambiances pour les deux, très pessimiste pour ce qui de celui d'Arthur Penn avec une lueur d'espoir cependant pour celui de Norman Jewison ; dans les deux lucidité et force reviennent à Marlon Brando et Sydney Poitier qui incarnent la loi.
Puis le cinéma s'éloigne et laisse la place à des faits divers qui ont défrayé la chronique ses dernières années. Revient alors en mémoire l'affaire Richard Roman devenue l'affaire Didier Gentil du nom de deux marginaux accusés tour à tour du viol et du meurtre d'une petite Céline de sept ans à quelques centaines de mètres de la Motte-du-Caire dans les Alpes-de-Haute-Provence. Une quasi- émeute lors d'une reconstitution dans les rues de la bourgade valut à Maître Henri Leclerc, défenseur d'un des protagonistes, une agression physique qui restera dans annales de notre Histoire judiciaire.