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Billet de blog 8 avril 2024

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CE QUE LA TRAGEDIE DU RWANDA M'A ENSEIGNÉ

La question est désormais à l'ordre du jour dans le Pays de Jérusalem, dès maintenant, et avec une intensité plus grande encore quand les armes se tairont, ce que nous devons exiger immédiatement.

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CE QUE LA TRAGEDIE DU RWANDA M'A ENSEIGNÉ

Le déni de réalité est un système de défense inconscient qui nous permet de ne pas nous confronter à ce qui nous est insupportable. Il peut également procéder d'une volonté de dissimuler la vérité et être une tentative de manipulation des hommes et de l'opinion publique plus généralement. Du déni de  réalité à la dénégation pure et simple le glissement est souvent rapide.

A l'évidence, et le rapport de Vincent Duclert le démontre amplement, la France a joué un rôle plus que trouble avant, pendant et dans les mois qui ont suivi le génocide des Tutsis du Rwanda d'avril à juin 1994.

A l'évidence, ceux étaient les initiateurs de la politique qui a été menée en notre nom au Rwanda ont mobilisé tous les moyens à leur disposition pour nous cacher la réalité de cette politique et, plus grave encore, pour dissimuler leur responsabilité dans le génocide qu'ils ont laissé se commettre.

J'avais suivi comme nous tous ces événements dans la presse. Autant qu'il se pouvait en fait. C'est un peu plus tard que j'ai lu les trois livres écrits par le journaliste-écrivain Jean Hatzfeld :

  • Dans le nu de la vie, paru en 2001, aux éditions du Seuil
  • Une saison de machettes en 2003, aux éditions du Seuil
  • La stratégie des antilopes en 2007, aux éditions du Seuil

Ils permettent non seulement de prendre la mesure de l'ampleur des crimes commis, mais également de leur gravité extrême, car s'inscrivant dans une campagne orchestrée délibérément par un gouvernement en place contre une partie de sa propre population contre laquelle il a instrumentalisé l'autre partie.

Le premier livre recueille la parole d'hommes et de femmes tutsis que leurs voisins hutus ont du jour au lendemain traqués, martyrisés et assassinés. Le second recueille la parole de génocidaires détenus au pénitencier de Rilima. Le dernier entreprend de raconter la difficulté de reprendre la vie entre voisins hutus et voisins tutsis, entre les bourreaux de la veille et ceux et celles, qui ont survécu aux machettes.

Dans les trois cas, Jean Hatzfeld a inscrit son travail dans un temps relativement long pour aller au plus près de ce que bourreaux et rescapés ressentent au plus profond d'eux-mêmes, puis confient en toute confiance.

C'est ce troisième livre qui m'a fait retenir ma respiration tant l'enjeu qu'il contient a quelque chose d'universel. Au lendemain du massacre, génocidaires et victimes ayant survécu redevenaient des voisins, habitant les même villages, dans des maisons côte à côte, travaillant des terres voisines et fréquentant les mêmes commerces ou les mêmes écoles.

Quel oubli apaisé peut-il y avoir, quel pardon une femme peut-elle accorder à un homme qui a tué son mari à coups de machette ? Quel regret sincère et crédible cet homme peut-il exprimer en s'adressant aux enfants de sa victime ? L'enjeu de la Réconciliation pour que la vie continue et qu'un nouvel avenir commun et en bon voisinage se dessine.

Cette réconciliation passe nécessairement par une désignation claire et sans équivoque de celui qui a été le bourreau et de celui qui est la victime. La question s'est posée pour le Cambodge et les massacres organisés par les khmers rouges ; elle s'est posée après les campagnes d'épuration ethnique dans l'ancienne Yougoslavie ; elle a été au centre de la vie sociale et politique de l'Afrique du Sud une fois Nelson Mandela libéré et la politique de l'apartheid abolie.

Elle est désormais à l'ordre du jour dans le Pays de Jérusalem, dès maintenant, et avec une intensité plus grande encore quand les armes se tairont, ce que nous devons exiger immédiatement.

De la présence de la France et de son armée, il n'est pas question dans les livres de Jean Hatzfeld. Cette autre question, je la découvrirai, pour ma part, avec le témoignage de Guillaume Ancel dans Rwanda, la fin du silence, aux éditions Les Belles Lettres. Ce livre relate une suite d'évènements vécus à hauteur de l'officier en « opérations extérieures » qu'il était. Il n'est pas un rapport d'enquête exhaustif, d'autres en seront chargés plus tard avec des bonheurs divers.

Le mérite et l'intérêt du livre de Guillaume Ancel est, à mon sens, autre. C'est une des premières fois qu'un officier de notre armée parle librement de son engagement dans un conflit qui nous engage tous si nous continuons à penser que ce à quoi participent nos soldats se fait en notre nom. Il en parle sans lyrisme, sans auto-satisfaction déplacée, sans plaidoyer pro domo et sans ressentiment. Rwanda, la fin du silence est le livre d'un homme libre qui s'adresse à d'autres hommes libres et aux citoyens responsables d'une grande démocratie.

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