Robert Merle est décédé en 2004. Il est l'auteur de nombreux romans, de récits, d'essais et même de pièces de théâtre. A ce jour je n'avais rien lu de lui mais j'avais beaucoup apprécié l'adaptation au cinéma de Week-end à Zuydcoote par Henri Verneuil. Henri Verneuil donc, Jean Paul Belmondo, Jean Pierre Marielle, François Périer et Pierre Mondy par la force des choses mais surtout Robert Merle à la source de l'ensemble.
J'avais vraiment apprécié le film et l'histoire qu'il raconte mais sans doute pas suffisamment pour que se produise le fameux déclic qui aurait pu me conduire à lire l'ouvrage dont il s'est inspiré. Si la continuité entre l'oeuf et la poule est toujours clairement établie dans le cas d'un film et du roman qui l'a inspiré, il reste un mystère dans nos comportements tant qu'on aura pas éclairci les raisons pour lesquelles un film ne conduit pas nécessairement à le lecture et pourquoi un roman adapté ne nous conduit pas forcément dans une salle obscure. Cela s'explique sans doute si l'un ou l'autre se sont révélés médiocres mais en aucune manière quand le plaisir était au rendez-vous.
Je dois dire pour ma défense que je suis un lecteur quasi boulimique de tout ce qui traite de l'actualité, d'Histoire et de politique au sens large, mais un piètre liseur de romans au grand dam de mon entourage et avec une vague culpabilité. J'ai alors de temps à autre des espèces de sursauts salutaires qui peuvent aller jusqu'à devenir boulimiques. Je sens que ma très récente et presque fortuite rencontre avec Robert Merle que je connaissais vaguement de nom et de réputation va être un de ces sursauts et que je ne lui échapperai probablement pas avant d'avoir épuisé le sujet et sa bibliographie.
L'aventure a commencé avec Le jour ne se lève pas pour nous un soir après 22h en pyjama, elle s'est poursuivie par un pillage des rayonnages de ma librairie habituelle qui a la bonne habitude (et l'espace suffisant surtout) de ne pas désherber ses étagères sous le prétexte fallacieux qu'un auteur serait décédé depuis 20 ans sans avoir siégé à l'Académie française. J'ignore combien de temps me prendra mon entreprise, ni quel détour elle me fera faire, ni dans quels arcanes elle va me conduire.
Il est peu probable que Le jour ne se lève pas pour nous me conduise à m'engager dans la Marine nationale option submersible. L'amie prodigieuse qui m'a mis sur la piste des sous-marins revenait de Cherbourg où elle avait très accessoirement visité le Redoutable, SNLE en cale sèche dans sa forme de radoub définitive pour cause de retraite. N'ayant pour l'instant pas la possibilité de me rendre sur ses traces pour visiter ce fleuron de notre dissuasion nucléaire, je me contenterai de la visite par procuration d'autres submersibles quasi identiques de Robert Merle et dont le livre évoqué est un fidèle compte rendu.
Dès les premières pages du...Jour qui ne ne lève pas pour nous j'ai compris que j'étais en bonne compagnie et j'ai déjà regretté de ne pas avoir connu Robert Merle plus tôt. En voilà une plume qui manie joliment la langue et qui sait ne pas nous ennuyer alors que, franchement, il doit en falloir de la vie intérieure pour ne pas sombrer dans la neurasthénie quand on passe des semaines, que dis-je, des mois avec les mêmes têtes et confronté aux mêmes manies dans un tube à peine plus spacieux qu'un anneau de scanner médical...La richesse, la précision, les mots et les images de l'auteur offrent cette densité qui font oublier que l'ennui de la vie à bord menace en permanence et cela d'autant plus qu'aucune vue sur l'extérieur, aucune ligne d'horizon ne sont accessibles et que même le jour et la nuit se confondent en permanence.
A quoi peut-on bien s'intéresser dans un sous-marin en immersion furtive permanente pendant deux mois ? D'abord à faire ce à quoi on a été affecté. Ainsi le Pacha commande et ses seconds supervisent, le boulanger boulange, le cuisinier mitonne, l'intendant surveille ses stocks, le prop veille à ce que la vapeur propulse à condition toutefois que l'énergue ait veillé à ce que le réacteur nucléaire qu'il supervise ait produit la chaleur nécessaire.
Au passage nous découvrons qu'un sous-marin nucléaire de même que le porte-avions Charles de Gaule ne sont rien d'autres que des mini-centrales nucléaires comme celles que gèrent EDF. A la différence que le second flotte, le premier est sous la mer et que les dernières sont fièrement campées au bord de l'eau qu'elles utilisent pour se refroidir. L'autre différence est que les deux premières se suffisent à elles-mêmes et tournent en vase clos mais que les dernières sont à la fois le poumon, le cœur et les reins de nos villes, villages et industries.
Une fois que chacun s'est occupé consciencieusement de ce dont il est en charge, il se doit de gérer une promiscuité qui peut devenir pesante mais également une proximité qui est une véritable école de tolérance, d'empathie et de bienveillance.
Robert Merle qui est le Pacha de la mise en scène du livre a choisi de se dépeindre sous les traits du médecin de bord chargé de veiller à la santé, à l'hygiène et à l'hygiène mentale à bord. Il est de ce fait au centre de la toile vers lequel tout converge. Nounou, confesseur, soigneur, coach, père fouettard , il est tout cela mais surtout il peut ainsi avoir la posture crédible d'un narrateur qui sans être sous-marinier et encore moins médecin a pu recueillir avec l'agrément de la hiérarchie militaire et l'autorisation du Ministère de la Défense les confidences et expériences de la vie à bord de quelques dizaines de sous-mariniers avant de se lancer dans l'aventure de la restitution sous la forme d'un livre.