Procédons d'abord à une clarification sémantique comme nous l'avons précédemment fait pour la choucroute afin de nous entendre. Choucroute désigne simultanément le chou blanc lacto-fermenté et le plat culinaire dont il est l'ingrédient vedette. Il en est de même pour le Couscous qui est à la fois le nom d'une merveille de l'art culinaire et la désignation de sa graine.
Au commencement, était le grain de blé ; le minotier le concassa et obtint des éclats. Cela ne lui plut pas vraiment, mais il s'en accommoda. Au second jour, il a plu et l' humidité de l'air, mouilla le grain ; il le concassa malgré tout et ce qu'il obtint lui plut davantage. Le boulghour était né, le minotier en était satisfait et il proposa aux libanais d'en faire leur taboulé. Au troisième jour, alors que le minotier s'ennuyait, son regard se posa sur un grain de boulghour. Il se dit qu'il pourrait le concasser plus fin encore ; Il obtint de la farine très poudreuse, elle ne lui plut pas vraiment, alors il l'offrit à un boulanger qui passait par là. A lui de se débrouiller pour en faire quelque chose ; la levure n'étant pas encore apparue, il fabriqua un pain sans levain. Le pain azyme et l'hostie étaient nés. Le judaïsme et le christianisme n'allaient pas tarder à sortir des limbes.
Le minotier aurait pu prendre un repos bien mérité et s'en tenir là, mais il n'était pas homme à renoncer. Le quatrième jour, sur ses meules en pierre, il remit du grain bien humide, puis concassa tant qu'il put à la main. Le boulghour apparut, mais le minotier moulut encore et encore. Comme il était un homme sage qui savait tirer leçon de son expérience, il s'arrêta de moudre avant la farine. Le cinquième jour, il médita sur ce qu'il laissait couler doucement entre ses doigts. Moins fine que la farine mais plus délicate que le boulghour, la semoule était née et cela lui plut. Il en offrit à tous les passants qui s'en réjouirent.
Un berbère famélique, comme beaucoup de montagnards, vint à passer, assis sur le dos de son âne, et s'arrêta net, par la curiosité guidé. Il mangeait souvent des légumes et de la viande de mouton, mais avait toujours cette sensation de faim en lui, même très peu de temps après son repas. Celui-ci ne tenait pas assez au ventre. Quand il vit la semoule, il s'enchanta et ses yeux se mirent à briller, alors il esquissa joyeusement quelques pas de danse au son de deux Alloun. Cette semoule de blé dur allait assurément faire son bonheur et apaiser sa faim.
Le grain du couscous n'est pas le grain de la semoule. Le grain du couscous est fait de grains de semoule agglomérés par la grâce des mains des femmes. A partir de semoule à gros grains uniformément mouillés d'eau légèrement salée et d'un saupoudrage de semoule très fine, des paumes adroites roulent de petites boulettes de grains de semoule.
A l'aide d'un premier tamis à grosses mailles, puis d'un second aux mailles moindres, enfin d'un troisième à mailles fines, grumeaux puis semoule non agglomérée sont éliminés. Ce qui reste dans le dernier tamis est un grain de couscous reconstitué. Il ne reste alors plus qu'à recommencer les mêmes gestes avec ce qui était resté inutilisé. Les grains de couscous sont prêts à être cuits à la vapeur de suite ou à être séchés au soleil pour le lendemain.
Kououss...kous, kououss...kous, la graine roule à l'infini sur le métal de la bassine. Cette longue mélopée, rythmée par des mains expertes, a donné son nom au plat et inspiré au berbère famélique mais poète à ses heures sa plus belle chanson : J'aime les mains d'une femme dans la semoule. Quelques siècles plus tard, à Toulouse, un barde amateur de jazz en adapta les paroles et en fit une chanson d'amour.
Pour réussir un bon couscous, il faut beaucoup, beaucoup d'amour et un peu de temps. Parfois, les soirs d'été, à la nuit tombée, si vous vous approchez d'un supermarché, en dressant l'oreille, vous pouvez entendre le bruit de la graine qui roule et les murmures langoureux des employées qui préparent le couscous que vous trouverez en rayon le lendemain... Non, je rigole perfidement.