Traiter des cons et de la connerie en général est une affaire sérieuse. Suffisamment sérieuse pour ne pas être confiée à n'importe qui, et encore moins à un con autoproclamé ; à la rigueur, un con dans le déni peut faire l'affaire. J'ignore dans quelle catégorie vous vous placez, mais je crois pouvoir affirmer qu'il y a certainement plus con que vous. Vous pouvez en toute tranquillité accorder crédit à ce que je dis, je sais de quoi je parle. Je suis moi-même un con repenti, de fraîche date certes, mais venu à résipiscence avec conviction et persévérance même si, de temps à autre, je suis assailli par quelques fulgurances mal contrôlées qui me font dire : « Tiens, je croyais que cela m'était passé, mais je vois qu'il y a de beaux restes. »
S'avisant de l'inscription « Mort aux cons » sur la jeep du capitaine Raymond Dronne qui commandait la Nueve (9ème compagnie du Régiment de Marche du Tchad), le général De Gaulle aurait dit : « Vaste programme ! ». J'ignore si c'est vrai, on prête tant au général. Quoiqu'il en soit la qualification « con » est sur toutes les lèvres comme une sorte de facilité qu'on s'accorde. Elle est certainement celle dont on affuble ou dont on s'affuble soi-même le plus fréquemment. Quelle conne je suis ! Qu'est-ce qu'il est con, celui-là ! Arrête de faire le con ! Faut-être un peu conne pour faire cela ! Il n'y a pas plus con que lui !
Petits, sales, gros, vieux ou vrais, les cons ont toujours eu la cote et je ne vous parle pas des vrais faucons. Les cons ne cessent d'inspirer le cinéma. Tantôt ils volent en escadrille, tantôt ils pavoisent pour qu'on les remarque plus facilement. Parfois ils reçoivent même à dîner et à d'autres moments ils cherchent à rivaliser avec la lune ou plus prosaïquement avec un balai. Les cons osent vraiment tout. Cependant, penser qu'il y a une corrélation certaine entre l'apparence physique et la connerie est un abus ; croire avoir discerné une vraie tête de con est une vue de l'esprit et revient à s'engager dans une voie sans issue.
Etre con n'est pas donné à chacun, certains d'entre nous font des efforts louables et brillent dans ce domaine, quand d'autres sont à la peine. On ne naît pas con, on le devient à force de patience et d'efforts renouvelés. Il n'y a rien de pire qu'un con envieux qui jalouse plus con que soi. Le con envieux est souvent hargneux et a une tendance certaine à défendre un territoire dont il a le plus grand mal à fixer les frontières, tant il déborde parfois.
La connerie a trouvé à se spécialiser, dans la politique parfois, dans le cinéma souvent. C'est dans le 7ème art que le con trouve le plus facilement à s'exprimer et quelques chefs-d'oeuvres portés sur les écrans des dernières années sont là pour le prouver. Ce n'est ni Jan Kounen, ni Mickaël Youn qui me démentiront. Je suis sûr que Vincent Lindon vous le confirmera de son côté et baissera honteusement les yeux, si vous évoquez devant lui Mon cousin.Qu'est-ce qu'il avait l'air con de pédaler sur sa Motobécane pour la faire démarrer alors qu'il était à sec !
Au café du Commerce, le bastringue a toujours été la scène où les cons se donnent volontiers rendez-vous et ils y font leurs numéros les plus prestigieux. Certains s'y produisent en One man show à heure fixe aux alentours de 18 h, d'autres y sont en représentation permanente, tous y jouent avec conviction leur propre rôle. Ainsi, un jour, alors que la conversation roule sur la conquête de l'espace, un des commentateurs habituels du lieu émet des doutes sur un exploit qui lui paraît démesuré, en tout surfait. Revenant sur les affirmations de la NASA qui avait annoncé qu' en 1969, un premier homme avait posé un pied sur la lune, il met sérieusement en doute la réalité de l'exploit qui à ses yeux est impossible. Joignant le geste à la parole, il montre la pendule derrière le comptoir, puis à l'autre bout de la salle une publicité pour un quelconque breuvage et assène doctement : « Comment voulez-vous viser juste pour aller sur la lune alors qu'elle se déplace sans cesse ! ».
Le plus étrange était les cinq paires de yeux, ceux du patron du lieu inclus, qui allaient de la pendule au mur voisin à plusieurs reprises avant d'opiner gravement du chef. Le con du jour venait de faire pour un court instant quelques adeptes. Pendant un court instant, j'ai cru à un mouvement d'humour, une sorte de répétition générale d'un sketch d'une comique généralement vêtue de rouge. Non, nous étions dans l'expression d'une opinion gravement appuyée sur celle du public des lieux. J'ai compris ce jour là comment naissent les fake-news dont certains se sont fait une spécialité et comment rire au dépens des autres, en faisant fortune.
Je me suis laissé dire que les cons envisageaient de renouer avec la vieille tradition d'élire un roi, tradition à laquelle ils avaient renoncé pendant deux années consécutives faute de candidats, rapport aux gilets jaunes et quelques uns de leurs soutiens qui disaient à qui voulaient l'entendre que la guillotine allaient bientôt ressortir de son emballage. Cela prouve au moins que la connerie n'est pas une denrée périssable et qu'il n'est pas nécessaire de recourir à la salaison ou à la fumaison pour la conserver et pour qu'elle refleurisse à la moindre occasion.
La connerie a le droit de s'afficher et de s'étaler au grand jour ! Aussi longtemps qu'elle ne mange pas de pain et qu'elle n'envisage pas de ressortir des oublis de l'Histoire la guillotine et couper la tête à ceux qui lui déplaise puis de la promener sur une pique en pensant avoir fait œuvre utile. Alors ne boudez pas votre plaisir tant qu'il y en a (du plaisir comme de la connerie). Chacun fera de sa connerie ce qu'il lui plaira d'en faire. Vous également en avez le droit et vous pouvez même me prendre pour un con. Je vous rendrai aussitôt la pareille et nous serons quitte !
Il existe deux catégories de cons. Ceux qui sont irrémédiablement cons et qui, sauf miracle, se sont installés dans une sorte de persévérance satisfaite. Puis viennent les cons circonstanciels dont la connerie s'affiche de temps à autre ou dans des contextes ou domaines précis. Contrairement au premier groupe qui est imperméable à toute influence et à toute remédiation, les manifestations aléatoires de connerie sont plutôt saisonnière, en fonction des variations de la pression atmosphérique ou même du cycle lunaire.
Les cons de la pleine lune sont souvent très romantique, alors que les nuits sans lune les rendent plutôt méditatifs. J'ai bien dit « les cons de la pleine lune » et non pas évoqué les comportements d'un con installé, à la pleine lune. Les seconds traversent le temps, égaux à eux-mêmes qu'il pleuve, vent ou neige.
Quand un con médite c'est toujours quelque chose d'étrange à voir et qui mérite le déplacement. Le con circonstanciel a une tendance certaine à s'améliorer comme un fromage qui s'affine dans une cave dédiée, un vin qui vieillit dans un fût de chêne ou un fruit qui mûrit. Vous l'avez remarqué c'est dans cette catégorie des intermittents de la connerie que l'auteur de ces lignes croit raisonnablement pouvoir être classé.