Manifester contre l'extrême-droite n'est plus vraiment à l'ordre du jour et permet tout au plus de se faire plaisir et de se rassurer à moindre frais. L'heure est aux décisions sérieuses et ne souffrant pas d'ambiguïtés. L'heure n'est plus aux tergiversations et aux finasseries. L'heure n'est certainement pas non plus au ralliement autour du président-candidat. L'heure est venue de barrer la route à la droite extrême. Pour deux raisons.
D'abord montrer qu'il reste une majorité d'hommes et de femmes qui non seulement ne partagent pas les idées nauséabondes et mortifères de cette engeance et ne s'en remettent ni à l'Evêché ni à un homme providentiel pour les contrecarrer.
Ensuite, parce que nous avons besoin de nous rassembler et de faire bloc face à eux et à leurs alliés, dont certains comme Ciotti, Retailleau, Wauquiez, Peltier et autres Aubert avancent désormais à visage découvert.
Ce n'est pas l'énergie du désespoir qui doit nous rassembler pour conjurer le sort que certains réservent à la démocratie. Il faut inviter les incontinents verbaux qui ignorent ce dont ils parlent à se taire. Il est parfaitement insupportable d'entendre dire que nous vivrions déjà sous un régime dictatorial et que le président Macron en serait le grand instigateur. A crier au loup, on finit par se tromper de bataille et surtout d'adversaire et ne plus faire une claire distinction entre un adversaire politique et un ennemi mortel. L'imbécillité politique, c'est cela et il serait prudent que nous prenions l'habitude d'appeler un chat un chat et un chien un chien ; nous gagnerions en clarté et nous ne perdrions plus notre temps.
Il n'est pas trop tard pour mener bataille, mais elle ne se gagnera pas en démonstrations derrière nos banderoles une fois le mal fait. Et il est grand temps de réinvestir le champ de bataille des idées et de contrer pied à pied les pseudos-argumentaires de la droite extrême. Force est de constater que bien du retard a été pris et que bien des accommodements ont été acceptés par certains, y compris et surtout par ceux pour qui l'action politique n'est qu'une succession de coups politiques et de jeux de verbe. Et l'entourage du président Macron n'a pas échappé à cela. De plus, le président Macron n'a pas échappé à cela quand il a envoyé un Darmanin servir de faire valoir à Le Pen, quand il a laissé, encouragé sans doute, son ministre de l'Education et sa secrétaire d'Etat aux universités laisser entendre que les “islamo-gauchistes” seraient, tels des coucous, en train de faire leur nid dans les universités.
Il y a quelques années, je me suis rendu dans un hypermarché entouré de sa galerie marchande. Des milliers de personnes fréquentent ces lieux chaque semaine. Dans l'entrée unique de l'hyper, au vu de tous, et sans qu'aucun client ne puisse y échapper, un énorme présentoir vertical fonctionnant comme une affiche, avec une vingtaine d'exemplaires d'un même livre : Destin français de l'écrivailleur Zemmour. L'installation est restée en place pendant deux semaines. L'action était concertée, calculée même. J'ignore combien de ventes cette gracieuse publicité a pu générer dans le rayon librairie du magasin, mais une chose est certaine, des milliers de passants ont vu le livre avec son titre et le nom de son auteur et quand quelques temps après, par le hasard du "pitonnage" devant leur téléviseur, ils sont tombés sur une émission en traitant, il est probable que leur attention a été retenue car le message subliminal était passé.
Dans le kiosque Relay de la gare voisine, la revue Eléments, véritable distillat de la droite extrême, est exposée sur un présentoir auquel personne ne peut échapper. Devant mes protestations, la jeune femme qui tient le kiosque me fait comprendre que je ne suis pas le premier à protester, mais qu'elle ne peut rien y faire car les ordres qu'elle reçoit sont très précis sur ce point.
Ni le livre, ni la revue ne sont interdits et leurs auteurs, de même que l'éditeur, n'ont enfreint aucune loi et peuvent par conséquent offrir leur prose à qui veut bien l'acheter. Cela relève non seulement de la liberté d'édition de la presse mais plus généralement de la liberté d'expression. Toutes des libertés que nous sommes prêts à défendre bec et ongle. Ce n'est donc pas sur le terrain de l'interdiction, de la récrimination et de la censure que la bataille se mène. Cependant, force est de constater que la pensée nauséabonde trouvait d'étranges...Relay, des complicités et des connivences qui expliquent sans doute pour une part la lente instillation du pire dans les esprits.
Alors ne nous trompons pas de batailles et encore moins sur les principes qui doivent les fonder. Emmanuel Macron peut être désigné comme un adversaire politique par certains, mais l'ennemi politique ce sont bien les tenants de la droite extrême. La bataille politique est d'abord une bataille des idées, elle se mène au grand jour et à visage découvert avec des mots, puis elle se solde dans les urnes et certainement pas sous forme d'invectives et de finasseries et de sophismes.
Pendant trop longtemps nous avons voulu assimiler et réduire la droite extrême à ses nervis aux crânes rasés, Doc Martens et battes de base-ball qui aimaient parader et ratonner en queue de cortège des rassemblements FN, faire le coup de poing chaque fois que possible et hurler leur rage et leur haine dans un virage du Parc des Princes. Trop souvent, nous ne voyions dans la droite extrême que la grossièreté du soudard de Montretout et aujourd'hui l'imbécillité heureuse de son héritière. Les premiers sont le bras armé de cette droite, les seconds sa façade électorale.
Trop longtemps, nous avons ignoré un petit univers d'individus très discrets, en costumes de bonne coupe ou en tenue plus décontractée, en tout cas propres sur eux et au langage châtié. Du beau monde qui ne fréquente pas les nervis ou alors de très, très loin. Du beau monde, sorti des meilleures écoles et ayant investi journaux, maisons d'édition et conseils d'administration, clubs et cercles de réflexion. Du beau monde, qui de longue date a lu avec attention les enseignements d'Antonio Gramsci, ce penseur communiste italien fécond et redoutable dont les sbires de Mussolini voulaient empêcher "le cerveau de penser". Ce beau monde avait compris que pour gagner la bataille politique, c'est dans la bataille des idées qu'il faut investir.
Ce beau monde là ne perd pas son temps à gambader autour de la statue de Jeanne d'Arc les 1er mai, à faire des selfies avec l'héritière sur les marchés du Bassin minier du Pas-de-Calais, ni même à rechercher des investitures électorales pour arrondir ses fins de mois. Ce beau monde là édite la revue "Eléments” et alimente en "éléments" de langage, en pensées prêtes à porter celles et ceux qui sont chargés de déblayer le terrain pour eux. Ce beau monde-là a investi la droite classique et s'est fait élire sous des étiquettes plus confortables et plus pérennes pour prendre patience. Ils sortiront du bois quand la mise sera à ramasser et ce ne sont pas les Aubert, Retailleau et Ciotti qui me contrediront.
La grande difficulté, notre grande difficulté est de faire un diagnostic pertinent sur ce que nous vivons, craignons, appréhendons, mais également sur les dénis que les uns et les autres mettons en place (et je n'y échappe évidemment pas).
J'en reviens à ma préoccupation première. Il m'importe que la politique et le débat politique autour des affaires de la Cité retrouvent au plus tôt leurs lettres de noblesse et de la sérénité, ce qui ne signifie en rien le fantasme de restaurer un monde de "bisounours".
Le président Macron se représente pour un second et dernier mandat, ce qui est son droit et cela est même une preuve de courage et de persévérance dont nous avons grand besoin. Ce courage et cette persévérance sont à son honneur et n'ont rien à voir avec la volonté de domination et de pérennisation ad aeternam qui anime les Poutine et autre Orban dont Marine Le Pen est une admiratrice et surtout débitrice. Emmanuel Macron n'est pas sans ignorer que sa majorité parlementaire à l'Assemblée est des plus fragiles (démissions, inconsistance, désertions et ralliements opportunistes) et qu'elle ne sera pas reconduite telle quelle, qu'elle ne doit pas être reconduite telle quelle. Il doit par conséquent dès à présent esquisser les contours d'une majorité nouvelle sur laquelle s'appuyer pour son second mandat. Il n'est pas sûr que les Woerth et Valls en soient les plus utiles recrues.
Cette majorité se trouve à gauche et à droite. Si nous pouvons l'entrevoir pour sa composante de droite, il est beaucoup plus difficile d'imaginer ce qui pourrait bien représenter son aile gauche (du moins pour l' instant, même si l'avenir peut nous réserver des surprises). Telle sera sa problématique au lendemain d'une présidentielle qu'il doit gagner, mais les réponses à ces questions il se doit de les poser et de leur donner des réponses précises, à l'exclusion de tout coup politique pour faire diversion.
Tenter d'empiéter sur les champs de la droite, y compris en lui empruntant par opportunisme certaines thématiques sulfureuses est une manière de tenter d'affaiblir cette droite et c'est toute la vertu que certains prêtent aux jeux de la "triangulation". Le problème est qu'on ne gagne pas toujours à ce jeu car si un poisson dévore un autre poisson, il s'en nourrit et peut s'en intoxiquer.
Ce qui nous offre les garanties nécessaires ce sont les principes de droit qui fondent la Vème République. L'action du Conseil constitutionnel d'une part, le contrôle du Conseil d'Etat d'autre part, la liberté de la presse et la séparation des pouvoirs sont autant de garanties. Il nous appartient de compléter cette force et cette vitalité de notre démocratie par nos engagements dans les organisations de la société civile, associations et syndicats et surtout de leur donner corps et vie. C'est également notre appartenance à une communauté politique internationale comme l'Union européenne qui nous offre un minimum de garantie. Notre contribution à une alliance militaire come l'OTAN procède de la même manière à la nécessaire appartenance à cette communauté, à condition d'y jouer pleinement notre rôle.
Le moment était-il venu de rêvasser sur les tripatouillages constitutionnels et les jeux de numérotation-dénumérotation de la République ? Que ceux qui le pensaient y songent. Les amis polonais et hongrois de Marine Le Pen n'ont pas passé leur temps à tirer des plans sur la comète et amuser la galerie, ils ont directement sapé ce qui est le coeur de la démocratie en s'attaquant à la liberté de la presse et à la séparation des pouvoirs.
Voulons-nous la même chose en France où le magnat de la presse Bolloré a déjà préparé le terrain avant même de propulser Eric Zemmour ?