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Billet de blog 15 mars 2023

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L'EXCRÉMENT DANS TOUS SES ÉTATS

Rendons-nous à l'évidence, éliminer tout ce que nous enfournons en quantité largement inutile et que notre organisme n'assimile pas, occupe de longs moments dans nos vies et est une préoccupation récurrente.

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Rendons-nous à l'évidence, éliminer tout ce que nous enfournons en quantité largement inutile et que notre organisme n'assimile pas, occupe de longs moments dans nos vies et est une préoccupation récurrente. Nous avons d'ailleurs bien raison de nous en soucier, car celui qui n'élimine pas...

Napoléon aurait dit un jour à Talleyrand: « Monsieur, vous n'êtes qu'un tas de m... dans un bas de soie ! ». J'ignore si cela est vrai, on prête tellement aux hommes de pouvoir, grands ou petits, adulés ou détestés ! Je retiendrai simplement, que l'excrément a mauvaise presse, qu'il a inspiré bien des métaphores et qu'il mérite une réhabilitation. Non pas pour glorifier la merde et de proche en proche toujours la choisir au détriment de tout le reste et plus particulièrement des vraies perles, mais pour lui redonner sa juste place et toutes ses lettres de noblesse.

Les jardiniers, les agriculteurs, les touaregs, quelques civilisations africaines font honneur aux excréments des herbivores dont la consistance n'est pas spécialement rebutante sans être ragoutante pour autant, mais dont l'odeur souvent imperceptible peut même être avenante. Ainsi, l'odeur du crottin de cheval est plutôt flatteuse pour nos narines et je vous invite à visiter une écurie après vous être défait de tous les préjugés que l'histoire des écuries d'Augias auraient pu faire naître en vous. Ce d'autant plus que ces écuries que Hercule envisageait de nettoyer étaient en réalité des étables.

L'excrément est également d'une diversité lexicale extraordinaire : bouse d'éléphant ou pétoulette de biquette, fiente de pigeon ou guano d'albatros, laissées de gibier ou pelote fécale de la carpe, étron humain ou tas de merde, fèces pour le naturaliste érudit ou crotte pour le généraliste pressé. Selles pour le médecin et le cavalier et merde pour les généraux d'Empire. M.... ou mot à cinq lettres pour les hypocrites et les prudes, caca ou bolo pour celui ou celle qui fera bientôt une avancée considérable dans son développement et découvrira tôt ou tard les joies de la dialectique. Enfin, matière fécale pour celui ou celle qui aime évoquer, l'air de rien sans trop se compromettre tout en laissant entendre qu'il en connaît un rayon.

Le jardinier émérite et soucieux de fertilisation respectueuse utilise parfois pour ses plantations un mélange d'algues marines et de fumier de cheval soigneusement compostés et harmonieusement dosés, connu sous le nom commercial Or brun dont la dénomination est déjà une promesse de réhabilitation. Le touareg conserve soigneusement les excréments de ses dromadaires qu'il fait sécher et durcir au soleil avant de les utiliser comme combustible pour préparer ses repas ou chauffer l'eau de son thé. Les massaïs d'Afrique orientale vivent de leur bétail dont ils retirent l'essentiel de leur subsistance : le lait, le sang et la viande. Rien ne devant se perdre et tout ayant une utilité,  pour eux également la bouse des bovins sert de combustible, mais aussi de mortier pour colmater les interstices entre les branches assemblées pour construire leurs cases. Mélangée à dose homéopathique à de la latérite, la bouse peut même convenir comme répulsif contre la mouche tsé tsé.

La bouse de vache est très présente dans nos campagnes mais tous les péquenots ne sont pas des bouseux, de même que tous les archéo-ruraux, pas plus que les néo-ruraux d'ailleurs, ne sont des cul-terreux. Vu de loin, du haut d'un immeuble urbain ou par la fenêtre du TGV, la différence n'est pas toujours perceptible, mais elle existe bel et bien aux yeux des initiés. Il n'est pas inutile, à ce stade, de rappeler aux jeunes citadins que l'épinard est plus connu sous le nom de Spinacia oleracea, qu'elle est une plante potagère de la famille des Amaranthaceae et qu'elle n'a strictement rien à voir avec le résultat d'une tonte de pelouse et encore moins avec ce que les vaches abandonnent volontiers derrière elle. Certes, l'épinard partage avec elle couleur et consistance quand il est présenté sous sa forme hachée, mais nos collégiens peuvent le manger sans inconvénient, si on le leur propose à la cantine de leur établissement. Cela, même si sa contenance en fer est moins importante que Popeye ne le laissait entendre.

Pour l'anecdote, il fut un temps où, enfants des campagnes, nous évitions de nous rouler dans l'herbe sans prendre quelques précautions car les tâches... d'épinard sont particulièrement résistantes au lavage et nous avions le souci de ménager nos mères, préposées à la lessive avant que les machines à laver ne prennent le relais.

J'ai toutefois le souvenir d'avoir enduit sans scrupule la poignée de la porte d'entrée de mon voisin d'une bouse bien fraîche avant de dévisser l'ampoule de la lampe qui lui permettait de rentrer chez lui la nuit sans encombre. C'était avant l'apparition de la télévision dans les foyers et nous savions nous distraire sans elle.

Dès l'âge de 13 ans, quand les premiers poils se pressaient sous notre nez, jamais assez vite à notre goût, nos aînés nous vantaient tous les mérites du miel mais surtout de la fiente de pigeon. Pour assurer la transformation du duvet en poils et stimuler leur pousse puis les acheminer vers la constitution d'une virile moustache, il y avait une recette efficace et ancestrale qui avait fait largement ses preuves. Il suffisait d'enduire l'extérieur de la lèvre supérieur de miel et l'intérieur de fiente de pigeon fraîche. Le miel avait la particularité de tirer le poils naissant alors que la fiente de pigeon avait celle de le pousser. Les moustaches les plus drues sont celles qui ont bénéficié de ce traitement miraculeux alors que les plus clairsemées sont le signe de carences manifestes.

Un de nos professeurs de français, encore stagiaire à l'époque, nous expliquant avec passion et fougue un passage du Dom Juan de Molière et se désespérant de notre manque de vivacité devant ce qui pour lui était une évidence, s'exclama à bout de souffle : « Et puis merdre... C'est évident pourtant ! ». Elmer, surnom tiré d'un personnage de bande dessinée à qui il ressemblait par son front haut et dégarni, sa calvitie naissante, sa silhouette replète et surtout son côté vibrionnant, venait de commettre un dérapage de prononciation que nous avions amicalement attribué à son courroux plus ou moins feint. Ce n'est que quelques temps après que j'ai découvert, et cela fortuitement, que son merdre tonitruant n'était pas un de ces dérapages dans lesquels nos fougues nous entraînent parfois. Merdre et non pas Merde sortait tout droit de la pièce Ubu-roi de Alfred Jarry dont Elmer nous avait recommandé à maintes reprises la lecture.

Le front sémantique a dans le domaine qui nous intéresse un certain intérêt. Le substantif merde est un emprunt au latin, langue dans laquelle il signifie exactement la même chose, ce qui n'est pas vraiment étonnant. Certains laisseront entendre que cette origine étymologique latine donne déjà à l' excrément sa lettre de noblesse, en tout cas, elle témoigne d'une belle continuité diachronique.

Les dérivations à partir de cette racine latine ouvrent elle-mêmes un bel univers sémantique pour les esprits ludiques. Ainsi pouvons nous être emmerdés par un importun et même, à l'occasion nous emmerder nous-mêmes. De la même manière, si vous avez malencontreusement marché dedans, il faudra penser à vous démerder pour ne pas souiller la moquette. Il vaut mieux encore vous démerder pour ne pas vous trouver, sur un trottoir, nez à nez avec ce qu'il est convenu d'appeler délicatement une déjection canine. Une appellation déférente pour bien marquer notre attachement à l'ami le plus fidèle du citadin moderne même s'il s'agit de son comportement le plus fâcheux.

Le cinéma a ceci de merveilleux, qu'il complète souvent agréablement le dictionnaire en illustrant ses mots plus richement et surtout de manière plus...parlante que la simple photographie. Essayez donc de représenter efficacement un emmerdeur à l'aide d'une photo ou encore de photographier l'état d'esprit d'un type qui s'emmerde à cent sous de l'heure ! En 1973, Edouard Molinaro a filmé l'action d'un emmerdeur de première pendant 1h et 30 min. en faisant appel au regretté Jaques Brel dans L'emmerdeur . En 1976, dans Cadavres exquis, Francesco Rosi installe, sur la margelle d'une fontaine publique, un Marcel Bozzuffi inoubliable qui, à une question pour savoir ce qu'il faisait là, répond simplement sur un ton d'évidence : « On est là ». Certains y ont vu une représentation de la fainéantise, d'autres simplement celle d'un type qui s'emmerde. Je ne suis pas sûr que le réalisateur ait demandé à Bozzuffi de jouer le fainéant, ce qui aurait été un rôle de composition qui n'est pas à la portée du premier venu. Je penche plutôt pour une directive du genre : « Tu es un gars qui s'emmerde sur une place publique et qui attend que cela se passe ». Les historiens du cinéma trancheront peut-être un jour, s'ils n'ont rien d'autres à se mettre sous la dent.

C'est dans les plaisirs champêtres que j'ai vécu quelques joies intenses et que je puise des souvenirs qui me font sourire aujourd'hui encore. Le résultat de l'excrémentation bovine pose une vraie question : son stockage, sa gestion et son déstockage. Ne faites pas la fine bouche et cessez donc de rouler votre nez en tire-bouchon ! Je parle de chose sérieuse.

A une époque où la stabulation n'était pas encore libre et où nos chères vaches, qu'on appelait pas encore des bœufs par généralisation bouchère, étaient confinées à l'étable six mois par an mais également toutes les nuits de l'année et nourries au foin et au regain, il fallait évacuer leurs déjections deux fois par jour pour renouveler la paille de leurs litières et leur signifier ainsi notre respect en assurant leur confort.

Dans le nord-ouest de l'Alsace et en Lorraine thioise, les bouses mélangées à la paille hachée courte des litières étaient ensuite entreposées en un tas carré devant la maison sur cet espace particulier qu'on appelait parfois usoir, espace relevant du domaine public mais à usage privatif. De l'automne au printemps le cube de fumier se constituait, jour après jour, brouette après brouette. C'est à la hauteur du tas que se mesurait le nombre de vaches à l'étable donc l'aisance du fermier. Au printemps, avant les premiers labours qui précédaient semailles, plantation de pommes de terre ou repiquage de plants de betteraves, le fumier décomposé par la chaleur du compostage était épandu puis enfoui.

Croyez-moi, j'en ai épandu du fumier à la fourche avant que la mécanisation financée par le Crédit agricole dote le paysan des facilités de l'éparpillement par une machine. Cette activité printanière a même inspiré les poètes des veillées d'hiver qui aimaient raconter avec une belle régularité l'histoire de ce cousin énarque en poste dans un ministère parisien venu en vacances chez un parent à la campagne pour prendre l'air et même se rendre utile.

Il s'était vu confié la délicate mission de trier les pommes de terre selon des critères de taille : « les grosses dans le panier de droite, les petites dans la cagette de gauche et la moyenne dans le plateau ». Venant voir le degré d'avancement du travail, quelle ne fut la surprise de l'ordonnateur de la tâche. L'énarque avait une pomme de terre dans chaque main, son regard allant de l'une à l'autre avec une perplexité grandissante. Visiblement la mission confiée était au-delà de ses compétences et il valait mieux lui confier un autre travail.

Son mentor le mit à l'épandage du fumier et force était de constater qu'en moins d'une demi-journée la moitié des monticules de bouse mêlée de paille hachée avait disparu. Cet exploit valut à l'épandeur ce commentaire laconique : « Eh bien, vous autres, quand il s'agit de foutre la m....vous êtes plus fort que quand il s'agit de prendre une décision viable ».

Vous avez deviné que cette agriculture était un peu particulière et que ses tenants ne manquaient pas d'humour quoiqu'on en dise. Elle était la plus répandue à une époque qui n'a plus vraiment cours aujourd'hui même si d'aucuns rêvent de lui redonner une vigueur nouvelle et de restaurer ses splendeurs.

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