Octobre 1962, la crise dite des missiles de Cuba. L'Union soviétique installe sur l'île de Cuba, à quelques centaines de kilomètres de la Floride, des missiles balistiques. Les Etats-Unis exigent leur retrait immédiat. La tension monte, mais un accord est trouvé : retrait des missiles de Cuba contre retrait de certains missiles de Turquie.
Juin 1963, mise en service du fameux téléphone rouge qui établit une liaison directe entre les Etat-Unis et l'URSS, entre Washington et Moscou, à l'échelon le plus élevé. La guerre froide se poursuit, la dissuasion nucléaire est toujours la clé de voûte d'un équilibre des forces et la course aux armements et aux alliances pour prendre l'avantage sur le camp adverse se poursuit.
Le film de Sydney Lumet est sorti sur les écrans en 1964. Nous sommes en pleine guerre froide entre les deux blocs, au lendemain d'une tension politique qui a été à deux doigts de se transformer en un conflit militaire ouvert. Point limite étrenne à l'écran le fameux téléphone rouge. Il est l'objet principal du film. Il est présenté comme l'ultime recours quand toutes les autres mesures ont échoué.
Le titre original du film est Fail-safe, du roman éponyme de John Harvey Wheeler et Eugene Burdick. Le concept FAIL-SAFE, qu'en français on traduit généralement par « sécurité intégrée », mérite une explication. Toute machine, tout système est susceptible de présenter des failles de sécurité et d'échapper au contrôle de ses initiateurs. De même, l'erreur humaine étant toujours possible, il est nécessaire de la réduire au minimum par des correcteurs automatiques. Ainsi, la lame d'une tondeuse à gazon doit cesser de tourner dès que son conducteur relâche involontairement ou non le levier de commande ; la « pédale de l'homme mort » dans les motrices de trains vérifie que le conducteur n'est ni endormi, ni mort ; les commandes vitales d'un avion sont doublées, voire triplées, pour parer aux défaillances ; les coupe-circuits électriques, les manipulations manuelles susceptibles de se substituer à des automatismes, les analyseurs numériques de pertinence sont autant de mesures de sécurité qui se perfectionnent sans cesse.
L'argument de Point limite est simple. Une erreur technique rend caduque le fail safe mis en place pour garder sous contrôle le groupe de bombardiers de l'US Air Force qui patrouillent en permanence avec à leur bord l'arme atomique pour être en mesure de riposter à une attaque soviétique. Les avions ont reçu par erreur l'ordre de bombarder Moscou et, au-delà d'une limite de leur parcours, ne doivent plus maintenir de liaison avec leur hiérarchie, ni obéir à aucun ordre d'où qu'il vienne ; leur commandement est désormais réputé sous contrôle ennemi. La progression des bombardiers ne peut échapper aux radars russes et les conclusions que les analystes militaires adverses en tirent ne peuvent que déclencher la procédure de riposte. La tension de part et d'autre en est par conséquent au paroxysme.
Le film de Sydney Lumet est un film d'une grande sobriété, dans lequel rien ne vient nous distraire de la gravité de la situation. Pas de dramatisation surjouée, ni d'appels répétés aux postes de combat, de déplacements au pas de course comme dans Le chant du loup de Antonin Baudry qui met en scène, 54 ans plus tard, le même argument à bord d'un sous-marin nucléaire français. Pas d'humour noir, ni de rire jaune ou de propos caustiques ou hilarants pour mieux tailler un costard à l'institution militaire, comme dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick qui traite du même thème.
Le rythme du film de Sydney Lumet reste celui de la parole, des échanges du président avec ses conseillers et subordonnés et du dialogue avec ceux qui représentent le camp adverse. L'interprétation d'un président des Etats-Unis par Henri Fonda est pertinente et les propos tenus le sont tout autant. Sydney Lumet ouvre le dossier de la dissuasion nucléaire, nous invite à nous l'approprier et à nous faire une opinion. Le rythme retenu le permet tout au long du film, sans préjuger de rien et sans nous égarer dans des considérations qui nous en éloigneraient.
Point Limite faisait partie des films diffusés dans le cadre du Cinéma de minuit dans le cycle (mai 1980) consacré à L'Amérique et son président.
[Pour les nostalgiques, Cinéma de minuit, 40 ans, 2000 films, Patrick Brion, éditions Télémaque 2017]
Post scriptum : j'ai revu il y a quelques semaines Le Chant du loup sur une chaîne cryptée. Dans la foulée, j'ai revu Un espion ordinaire. Les piqûres de rappel sont toujours utiles pour reprendre la mesure des risques que les tensions internationales nous font courir.