Tout programme politique présenté à l'occasion d'une campagne électorale, s'il a bien vocation à recueillir l'adhésion du plus grand nombre et à marquer le plus explicitement possible la différence entre les différents prétendants, comporte nécessairement une représentation figée et réductrice des intentions de son auteur. Cela ne les empêche pas de contenir nombre d'indices souvent concordants sur les intention réelles de leurs promoteurs.
Les programmes ont en principe vocation à être mis en œuvre en cas de succès électoral, mais en attendant le succès ils sont au centre de la campagne électorale, ce qui ne met pas ipso facto pertinence, crédibilité et réalisme au centre du débat. C'est ce qui avait fait dire autrefois, non sans cynisme, à Jacques Chirac que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent et les prennent pour argent comptant.
Une campagne électorale ? De quoi s'agit-il exactement ?
Elle est d'abord une occasion de présenter à ceux dont on sollicite l'attention, la bienveillance et in fine l'adhésion ce qu'on propose de meilleur pour eux et surtout de les en convaincre.
Elle est ensuite une occasion de se mettre soi-même en valeur en se présentant sous son meilleur jour et en essayant de persuader l'électeur qu'on est bien l'homme ou la femme de la situation quoi qu'il advienne.
Elle est enfin une occasion unique de mettre en évidence ce qui différencie le candidat de ses concurrents, ce qui ouvre généralement la porte au pire, tant vérité et respect sont alors malmenés. Quel que soit le scrutin, la prime au sortant ou sa mise à l'amende dont on parle quelquefois prennent alors tout leur sens. Aux trois dernières élections présidentielles, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron nous en ont fourni d'intéressantes illustrations. Les électeurs ont écarté de force le premier, le second a choisi de renoncer estimant que les conditions du succès n'étaient plus réunies et le troisième est reparti à l'assaut du ciel bien qu'il n'ait jamais cessé de cristalliser une détestation haineuse tout en se maintenant à un niveau d'approbation tout à fait honorable.
L'élection présidentielle est maintenant du passé et la désignation par les urnes de son vainqueur est désormais sans appel, quoi qu'en pense un des candidats qui a du mal à se plier à l'évidence. Demain ce sont les députés, première ligne du Parlement, qui seront désignés ; nous aurons là également et plus que jamais à séparer par notre vote « le bon grain de l'ivraie ». Car il faut bien le dire, d'aucuns considèrent le Parlement, quelle qu'en soit la chambre, comme une sinécure en attendant mieux, d'autres comme une rente de situation qui leur serait due.
L'Assemblée nationale est, avec l'action que mène le président de la République et le gouvernement, souvent au cœur de l'actualité et focalise de ce fait toute notre attention. Certains se font oublier, en évitant d'y avoir la moindre activité et en allant jusqu'à un absentéisme chronique. D'autres y déploient, surtout en réunion plénière quand les les caméras sont présentes, une hyperactivité qui confine parfois au spectacle carnavalesque. Les mêmes réclament à tout vent la nécessité du débat, en appellent à intervalles réguliers à redonner force et prérogatives à la vie parlementaire pour mieux s'abstenir quand la chambre remplit sa mission ou l'empêcher d'offrir sa plénitude en noyant le débat sous un tombereau d'amendements non pas pour améliorer le projet de loi en discussion mais pour empêcher le compromis de se dessiner.
Cette politique de blocage n'a d'autre fonction que d'inciter ou de contraindre le gouvernement à avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution pour le censurer et s'attribuer tous les mérites soit du retrait du projet, soit de la démonstration que le gouvernement mépriserait l'honorable assemblée et son effort de législateur.
Il aura fallu la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui limite à un seul recours au 49.3 à chaque session parlementaire pour déjouer ce piège infernal et pour que sa répétition ne devienne pas la règle. Dans l'hypothèse de l'absence de toute majorité absolue ne reste alors que l'obligation de construire les compromis nécessaires selon les circonstances.
Il y a plusieurs manières de manifester son anti-parlementarisme tout en sollicitant d'y siéger et d'en faire partie. Empêcher son fonctionnement par des manœuvres qui interdisent tout compromis, dénigrer les membres d'un groupe parlementaire en les désignant tantôt de « godillots » tantôt de députés « playmobil » comme les adeptes de la mélenchonie se plaisaient récemment à le faire, en est une.
Ceux dont la préoccupation permanente est soit de se faire oublier en faisant l'école buissonnière soit de ronronner paisiblement ou en offrant le spectacle de leur suractivité pour faire « le buzz » ne s'honorent pas et n'honorent pas la démocratie et c'est cela qui devra retenir notre vigilante attention pendant la législature à venir. L'éclat à la limite de l'incident que certains semblent régulièrement rechercher n'a qu'un rapport très lointain avec ce pourquoi l'Assemblée existe.
Il est peu probable que le président Macron obtienne demain une majorité absolue à l'Assemblée, elle sera donc relative. Si après- demain est un autre jour, demain l'heure est de choisir, dans tous les camps, des hommes et des femmes qui feront « le job » et d'écarter les farceurs, les opportunistes et tous ceux qui pensent d'abord à se servir plutôt qu'à servir.
Plus difficile à faire qu'à dire cependant, car nous sommes là cruellement renvoyés à nous-mêmes et à notre légèreté parfois. Demain, quand nous serons dans l'isoloir nous aurons le choix entre le plat du jour que s'empressent de nous proposer avec force surenchère certains ou le vote à la carte. En notre âme et conscience, selon nos valeurs et espérances certes, mais davantage encore selon notre intime conviction pour ne pas avoir à en rougir le surlendemain.
Puis viendra le temps de la mise en œuvre des programmes. Puis viendra inévitablement l'heure de mettre à l'épreuve de la réalité les mirifiques promesses et redistributions dont certains ont fait rêver les plus crédules d'entre nous. Si FI et les amis de Mélenchon, car ne nous y trompons pas, ils entendent se tailler la part du lion dans l'alliance électoraliste aux 650 mesures plus mirifiques les unes que les autres, conquerraient une majorité absolue avec leurs alliés du scrutin du jour, il est loin d'être certain que ces derniers aient la force et la volonté de les contenir dans leurs divagations politiques.
Plusieurs échéances nous attendent dès les semaines à venir. Des échéances très concrètes comme la préparation de la campagne de chauffe de l'hiver prochain avec ce que cela signifie en termes d'approvisionnement en gaz et de coût. Les menaces que représentent l'autocrate russe sont toujours présentes et exigent sur le plan international une vigilance absolue. La pandémie de la Covid n'est pas jugulée malgré la pause relative actuelle et peut redémarrer de plus belle avec son cortège de mesures à prendre et d'une part de contraintes. De la même manière, nous aurons collectivement à faire face à la terrible menace par l'arme alimentaire que Poutine brandit et qui touchera une partie non négligeable de l'Afrique ainsi que nos voisins les plus proches de la rive sud de la méditerranée.
La réforme sur la retraite reste à l'ordre du jour. Indépendamment du détail des mesures que les uns et les autres préconisent, c'est de son bien- fondé qu'il faut d'abord juger. Peu importe que l'équilibre des comptes ne soit pas immédiatement menacé, en la matière il vaut mieux ne pas avoir à agir dans l'urgence. Ce d'autant plus que se profile dans un très proche avenir un autre train de mesures à prendre pour assurer la dernière partie de la vie de nos aînés de plus en plus dépendants de notre solidarité donc de notre attention.
L'heure n'est pas au repli sur soi derrière des frontières que certains rêvent étanches comme une espèce de nouveau rideau de fer. L'heure n'est pas davantage aux mesures teintées de souverainisme et d'entre-soi. L'heure européenne est plus d'actualité que jamais et bien davantage encore qu'hier. La question de son élargissement géographique quel qu'en soit le calendrier et l'heure de l'élargissement de ses compétences aux questions de défense sont à l'ordre du jour.
Afin d'éviter tout malentendu, il n'est pas question de simplement élargir les frontières de cette Union européenne pour en faire un nouveau pré carré, ou pire une espèce de ghetto protecteur, et d'inventer ainsi une nouvelle autorité. L'heure est à une Europe souveraine et indépendante de nos alliés nord-américains et capable de prendre langue et de la préserver, y compris avec ceux qui représentent une menace économique ou militaire.
Cela implique une vision claire des enjeux géopolitiques et une capacité à se mouvoir dans un environnement international qui exclut les postures idéologiques. Même si la diplomatie et la question des alliances relèvent plutôt, par une convention propre à la Vè République, du président de la République, elles doivent concerner davantage le Parlement désormais. Politiquement, c'est par sa représentation nationale que les Français, dans la diversité de leurs sensibilités, pourront se rassembler pour que la politique retrouve toutes ses lettres de noblesse.
J'ignore ce que le président Macron entendait par « une autre manière de gouverner », mais je crois savoir quelles sont les attentes de beaucoup d'entre nous pour les cinq ans à venir. En tout cas, je sais quelles sont les miennes. Je n'attends pas d'un président de la République l'indécision ou la procrastination mais qu'il exerce sa fonction dans sa plénitude, mais seulement dans cette plénitude et sans réduire le gouvernement à un simple bras armé et la représentation nationale à une chambre d'enregistrement ou un décorum dont seule la chambre parfois dite haute, mais dont les membres ne sont qu'indirectement élus, viendrait à nuancer ou à corriger les excès ou les approximations.