Plus que dans Le silence des agneaux, c'est dans The father que le comédien Anthony Hopkins m'a marqué, tant sa composition était puissante. Dans Une vie Anthony Hopkins se contente de prêter ses traits, sa stature alourdie par les ans et son mutisme à un homme qui a véritablement existé.
Anthony Hopkins est Nicolas Winton, courtier à la retraite après une carrière dans une institution financière de Londres, coulant en apparence une retraite paisible dans une campagne verdoyante qui pourrait être dans le Kent. Syllogomaniaque, comme nous le sommes presque tous dès que l'espace habitable ne nous est pas compté, Nikkie a accumulé articles de presse, écrits et objets divers mais il a enfermé dans un tiroir de son bureau une précieuse serviette en cuir renfermant le souvenir de sa vie le plus intense.
Si le grand ménage peut se faire par une belle flambée au fond du jardin, la serviette de cuir mais surtout l'album qu'elle contient, devient centrale dans le film.
Quand Nicholas était encore un homme jeune, en 1938, les nazis étaient déjà au pouvoir depuis 1933 en Allemagne et ils ont annexé l'Autriche et poursuivi leur politique expansionniste en mettant la main sur les Sudètes qui faisaient jusque là partie de la République de Tchécoslovaquie. Comme en Allemagne et en Autriche après l'Anschluss, la chasse aux opposants peut commencer et l'épuration ethnique contre les habitants de confession israélite être mise en oeuvre. Les familles juives, adultes et enfants, se réfugient à Prague et c'est là que ceux que plus tard on appellera les Justes se mettront au travail pour en sauver le plus possible.
Nikkie est de ceux-là. Avec des proches connaissance convaincus et sa mère, elle-même descendante d'anciens réfugiés juifs de l'Allemagne prussienne, ils vont organiser des convois ferroviaires de Prague à Londres qui permettront à près d'un millier d'enfants juifs d'échapper aux rafles exterminatrices des Waffen SS et de leurs complices. Le neuvième convoi n'arrivera jamais en Angleterre et désormais la destination des trains sera vers les camps de regroupement et d'extermination ouverts en Pologne. C'est une conséquence directe de la décision des nazis de passer à la vitesse supérieure contre le juif honni, en passant de l'épuration ethnique aux premières étapes de ce que la conférence de Wannsee entérinera et fera entrer dans l'ère industrielle.
Que faire de cet album conservé depuis des décennies dans cette serviette de cuir ? Elle est le recueil des photographies des centaines d'enfants sauvés et la mémoire des difficultés rencontrées pour leur faire établir des laissez-passer et trouver des familles d'accueil en Angleterre.
C'est Lady Elisabeth Maxwell, l'épouse française du magnat de la presse d'origine tchèque, qui est à l'initiative des rencontres de Nicholas Winton avec les nombreux rescapés qu'il avait contribué à sauver des griffes nazies. L'album témoin sera plus tard remis au mémorial pour la mémoire de la Shoah de Yad Vashem à Jérusalem.
Une vie de James Hawes documente une action à grande échelle entreprise malgré l'inertie de la plupart des Etats par des hommes et des femmes pour soustraire à la barbarie nazie des centaines d'enfants juifs de Tchécoslovaquie. Il documente sans être un simple documentaire dans la forme, en ayant fait le choix de recourir à la fiction pour assurer une reconstitution la plus fidèle possible et en faisant appel à Anthony Hopkins pour en assurer l'interprétation donc la promotion. Il inscrit ce sauvetage dans la longue histoire de ceux qui ont tout fait pour contrecarrer la barbarie dont toute l'Europe était devenue la proie.
Une poignée d'hommes et de femmes pour venir au secours du plus grand nombre possible ou même d'un seul s'il est menacé. Un homme ou une femme qui mobilise des énergies et qui, sans désemparer, organisent la fuite ou la protection de milliers d'autres.
Comme Aristides de Sousa Mendes, diplomate portugais en poste à Bordeaux qui fait délivrer par ses services plusieurs milliers de visas à des personnes fuyant la même barbarie.
Comme Paul Grüninger, ce garde-frontière suisse, qui organise le passage de la frontière de l'Autriche annexée vers une Suisse sourcilleuse, pour des milliers de réfugiés juifs, allant jusqu' à établir les faux en écriture nécessaires pour que leur accueil soit pérenne.
Comme ces paysans du Chambon-sur-Lignon et des communes du plateau du Vivarais en Haute-Loire qui ont accueilli et soustrait des centaines de juifs aux persécutions.
Comme Aracy de Carvalho, diplomate brésilienne qui délivre, dans l'urgence, des milliers de visa pour le Brésil.
Comme Jan Zwartendijk, industriel et consul hollandais en Lituanie qui fournit à la chaîne des visas pour Curaçao dans les Antilles néerlandaises pendant que son collègue japonais, le consul Sugihara signe les visas de transit pour que les fuyards puissent prendre le transibérien.
Comme le Suisse Carl Lutz diplomate en poste à Budapest qui mobilise une véritable armée de fonctionnaires pour organiser protection puis départ du pays pour la Palestine de plusieurs dizaines de milliers de juifs.
Nicholas Winton n'a pas pu recevoir le titre de Juste parmi les nations pour son action contrairement à Aristides de Sousa Mendes et Paul Grüninger. Il était considéré comme juif lui-même car ses parents s'étaient convertis au christiannisme pour favoriser leur intégration dans leur nouvelle patrie. Il sera anobli par la reine Elisabeth II et il a reçu de nombreuses distinctions au Royaume-Uni et en Tchécoslovaquie. Si ses actions étaient connues dans ces deux pays, lui-même ne l'était pas en France, c'est désormais lacune comblée.