Mon premier est un petit menuisier de campagne, un peu sabotier, un peu constructeur de clapiers. Il se laisse séduire par le national-socialisme sans trop savoir pour quelles raisons véritables sinon que le Front Populaire lui paraissait une menace. Il y voit surtout une belle opportunité et devient Ortsgruppenleiter, fonction à mi-chemin entre le maire et le chef du lieu désigné par le parti. Un matin, des camions de la Wehrmacht déposent devant son échoppe des machines-outils réquisitionnées en France occupée et offertes en Alsace annexée à un aspirant cacique du parti. C'est le début d'une saga industrielle qui s'étendra sur plusieurs générations.
Mon second est le benjamin d'une fratrie dont tous les membres ont déjà un avenir tout tracé : la succession du père à la ferme pour l'aîné, l'apprentissage pour le puîné, le mariage pour la cadette. L'Alsace est un territoire annexé et à ce titre les hommes jeunes sont incorporés de force dans la Wehrmacht. Walter est trop jeune et il reste provisoirement à la ferme du père, mais il rêve d'une autre vie. Les nouvelles autorités de la province annexée proposent aux jeunes gens, encore civils, de se porter volontaires pour la Waffen SS, contre la promesse d'un vaste domaine agricole en Pologne ou en Ukraine une fois la guerre finie. Walter y voit la chance de sa vie et demande la signature du père pour rejoindre la SS. En réponse, il reçoit une raclée à coups de manche de râteau dont il se souviendra encore un demi-siècle plus tard : « Jeune idiot, tu partirais à la guerre volontairement alors que tes deux frères y sont, contre leur gré ! »
Mon troisième est un incorporé de force dans la Wehrmacht, un « Malgré-Nous ». Lors d'une permission, il décide de ne plus rejoindre son unité engagée en Ukraine car les alliés débarquent en Normandie et ne sauraient tarder à libérer l'Alsace. Il se cache dans la forêt et un voisin bûcheron se charge de lui porter des provisions. Un tir de distraction de soldats allemands qui s'ennuient dans une casemate le blesse légèrement, il regagne la maison de ses parents où le médecin de famille le soigne, dans la discrétion la plus totale car il est un déserteur.
Mon quatrième et sa femme vivent des jours paisibles entre leurs vaches et leurs cochons. Un soir d'automne, à la nuit tombante, deux jeunes gens hagards, affamés, trempés, frappent à leur porte. Ils sont italiens, parlent un peu le français, mais pas le dialecte alsacien. Ils portent des restes de ce qui étaient des uniformes de l'armée française ; ils se sont évadés d'un stalag (1) en Allemagne. Arrivés en Alsace, donc pour eux en France, ils frappent à la mauvaise porte et le lendemain sont arrêtés par la Feldgendarmerie (2) allemande ; ils n'ont certainement pas bénéficié d'un régime de faveur. Mon quatrième et sa femme ne sont pas nazis, ils sont simplement prudents et ne veulent pas d'ennuis.
Lui, est porté sur la bouteille mais consomme surtout à domicile. Quand le vin fait son effet, il se décide toujours à aller faire un tour au café pour un dernier verre et donner son avis sur tout. Pour rien au monde, il n'aurait accepté de contribuer à enrichir le cafetier qui était un des membres du NSDAP (3). Ce jour là, pour aller au café et en parfaite connaissance de cause, il met un béret basque que les annexants ont proscrit. En très peu de temps le ton monte et les noms d'oiseaux fusent. Il a beaucoup plus d'humour que le cafetier qui le fait arrêter pour port de coiffe interdite et propos séditieux visant le Führer. Cela ne devait pas voler bien haut en matière de critique politique. Il n'empêche que Tonton, c'était son surnom, se retrouve pour quelques semaines au camp du Struthof.
J'imagine sans mal la perplexité des prisonniers politiques du camp et peut-être même celle de la garde-chiourme SS devant cet étrange résistant. Selon les récits, Tonton, une fois les américains présents, s'installe avec une hache au café pendant que le cafetier se cache en attendant des jours meilleurs dans le réduit qui sert habituellement à fumer les jambons et les saucisses. De guerre lasse, Tonton se serait contenté de fendre en deux le comptoir du bistrot à coups de hache avant de retourner, sans doute calmé, cuver chez lui.
Elles, elles sont les filles de leurs pères qui ont leurs cartes de membre du NSDAP en poche après avoir tant attendu depuis 1936, depuis plus tôt parfois, en écoutant, en secret mais avec enthousiasme, le Führer à la radio. Les pères ont vibré quand il avait demandé à son auditoire s'il préférait du beurre ou des canons. Leurs filles sont inscrites au Jungmädelbund (4), puis au Bund Deutscher Mädel (5) pour en faire des citoyennes saines et pures. Elles sont trois jeunes filles ; une amitié profonde, une camaraderie idéologique surtout, continuent de les lier après la guerre. L'une d'entre épouse un allemand de son âge, un homme d'une grande bonté et à l'esprit clair, mais qui à ses yeux à al quallité d'petre allemand. Une autre épouse un fils de milicien qui accueillera toujours très volontiers dans son café les gendarmes du canton à la recherche de nouvelles fraîches et d'informations.
Eux, ils sont incorporés de force dans l'armée allemande, classe d'âge après classe d'âge, et envoyés sur le front russe car, si on les avait affectés en France, ils auraient pu déserter ou fraterniser. Comme beaucoup de soldats de la Wehrmacht, nombreux sont les « Malgré-Nous » qui meurent sur les différents fronts de l'Est ou reviennent estropiés et malades. D'autres ne reviennent jamais et leurs familles ne peuvent leur donner une sépulture.
Mes deux oncles maternels, que je n'ai pas connus, sont morts là-bas, l'un abattu par une sentinelle russe car, malade, il ralentit la progression de ses camarades prisonniers qui le soutiennent, l'autre est probablement déchiqueté par un obus russe en Roumanie. Sans preuves incontestables de leur mort, mon grand père croit à leur retour jusqu'en 1972. Il décide alors subitement de procéder au partage officiel de ses terres entre ma mère et ma tante et, à la question :« Pourquoi maintenant ? Cela ne pressait pas », il répond qu'il sait désormais que ses fils Albert et Alfred ne reviendront plus et il sort de la pièce. Pendant toutes ces années, il n'a jamais évoqué ses fils et quand la commune avait fait ériger un monument aux morts, il s' était opposé de toutes ses forces à l'inscription du nom des siens. Le maire et son conseil municipal, par compassion sans doute, avaient consentis et aucun nom n'a été gravé dans la pierre.
Le frère aîné de mon père meurt quelques mois après son retour du front, il meurt de maladie, de faiblesse, peut-être d'une envie de ne plus vivre.
Mon père est fait prisonnier par les soldats russes et interné dans un camp près de Moscou à Tambov. Il en revient affaibli par les privations, le froid, le manque de soins et avec une solide aversion pour les armes à feu et le football. A Tambov, les gardiens russes organisaient des matchs de foot, gardiens contre prisonniers, pour mettre fin à leur ennui. Ils contraignent les prisonniers non sélectionnés à être spectateurs debout et à jouer les supporters sous peine d'un coup de crosse de fusil dans le dos. Mon père décède à 53 ans des séquelles de sa détention, il n'a plus jamais mis les pieds dans un stade.
Les gardiens russes m'ont peut-être privé sans le savoir d'une belle carrière de footballeur professionnel. Des privations de mon père et du besoin qu'il a éprouvé pendant le reste de sa vie d'accumuler des boîtes de conserve pour ne jamais plus manquer, il me reste une propension à accumuler à mon tour non pas des vivres mais des livres et des films. Son aversion pour les armes à feu m'a privé pendant toute mon enfance des armes factices dot les enfants sont friands pour jouer à la gue-guerre ou aux cow-boys pour affronter les apaches et les sioux. Il fallut inventer mon armement dans mon imaginaire; en même temps que l'imitation par des bruits de bouche du chuintement des balles tirées.
Un autre encore s'engagea dans la Waffen SS et fit presque toutes les campagnes de la division Das Reich jusqu'à Oradour-sur-Glane. En 1954, il est condamné à mort par un tribunal à Bordeaux pour haute trahison et pour les exactions commises, puis sa peine est commuée en peine de dégradation nationale et interdiction de séjour en France à vie. Il est accueilli à bras ouverts par une association d'anciens SS qui veille à ses besoins en Sarre. L'hebdomadaire Paris Match retrouve sa trace en Allemagne et à l'occasion d'une interview ce dernier ne regrette rien. Il était l'oncle d'une des trois jeunes filles évoquées précédemment.
Elle est jeune, belle et a la vie devant elle. Volontaire et toujours souriante de l'avis de tous, elle respire la joie de vivre. Elle s'est rendue au bourg voisin à bicyclette, mais ce soir-là, elle ne rentre pas. Ses parents sont très inquiets. Le lendemain matin, on retrouve son corps et son vélo en contrebas d'un talus ; elle a été violée, puis la brute qui a abusé d'elle l'a jetée dans le ravin avant de dégoupiller la grenade qui la déchiquette. Sous ses ongles, les enquêteurs retrouvent des traces de peau. Ces lambeaux de peau sont ceux d'un homme noir, d'un G.I. de l'armée américaine qui vient de libérer la région. L'officier-enquêteur est un soldat noir qui reviendra plus tard pour faire savoir aux parents de Suzanne que l'assassin de leur fille a été condamné à mort.
Mon dernier est paysan, produisant un peu de tout et vivant de presque rien. Eleveur et cultivateur, il pratique comme la plupart des paysans du canton, à cette époque, une agriculture de subsistance que complètent parfois le bûcheronnage en hiver et l'extraction de grès des Vosges dans l'intersaison. Un jour, pendant la fenaison, toute la famille charge du foin sur une charrette dans une prairie à la lisière de la forêt. Un mouvement dans les sous-bois proches attire leur attention ; en s'approchant, croyant avoir affaire à un animal blessé, le paysan découvre deux soldats habillés de tenues d'aviateurs de l'USAAF (6). Leur avion a été abattu et ils ont marché pendant des nuits, se cachant le jour pour ne pas être capturés. Cette famille les prend en charge, les enfouissant dans le foin pour les ramener à la ferme puis les cacher dans le fenil. Ils y passent de longues journées pendant des semaines, jusqu'à la nuit tombante. Le soir, ils partagent repas et veillées avec la famille. Quand l'armée américaine se présente à l'entrée du village, la fermière rend aux deux aviateurs leur uniformes raccommodés, rafistolés au mieux et repassés. Je ne l'ai pas vu de mes yeux n'étant pas encore né mais il en était certainement ainsi car il ne pouvait pas en être autrement. Ils peuvent enfin rejoindre leurs compatriotes sains et saufs. Ils ont beaucoup plus de chance que les deux soldats italiens deux ans plus tôt.
Un vieux voisin, à l'oeil exercé et grand taiseux, avait recommandé un jour au père de surveiller ses fils et d'éviter qu'ils mâchent une gomme bizarre en public. Cela peut attirer dangereusement l'attention sur eux. On n'appelait pas encore cette gomme du chewing-gum.
Tous les autres sont des braves gens, pas trop courageux, se gardant de toute imprudence et attendant des jours meilleurs. Chacun a ses raisons et, chaque dimanche, ils se rendent au temple ou à l'église en bons chrétiens.
Pendant les longues soirées d'hiver, à l'occasion des veillées, de soir en soir, d'année en année, les langues se délient et l'Histoire, la petite, celle qui continue à vivre dans les esprits, celle des témoins et celle des acteurs, se transmet. Déformée, lacunaire parfois, mais toujours redressée, rectifiée et complétée. Il n'y a pas d'enjeux, pas de règlements de comptes, pas de polémiques, la parole aide à s'approprier les histoires vécues d'une communauté qui s'est trouvée au cœur d'une tourmente. L'Alsace forge en ces moments sa mémoire et son identité. Une défiance à l'encontre de tous les irrédentismes y compris politiques y trouvent sans doute sa source.
Certains soirs d'hiver, quand il neigeait et gelait à pierre fendre, mon père nous parlait de Minsk, de l'hiver russe, de la terreur dans leurs rangs quand« les orgues de Staline » tiraient leurs salves rugissantes. Là encore, j'écoutais avec attention ; j'avais besoin de savoir et de comprendre. Ecouter, entendre, savoir, comprendre. J'avais douze ou treize ans et je me demande parfois quelle est la part de vrai et quelle est la part de transfiguré dans ce dont je me souviens. Peu importe d'ailleurs. Les veillées ne taisaient pas le passé et le transmettaient du mieux qu'elles le pouvaient à tous ceux qui voulaient bien l'entendre.
Alsaciens "Malgré-nous", incorporés de force dans la Wehrmacht
Dans la débâcle de l'armée allemande, mon père et son ami Joseph ont perdu leur unité et se sont perdus. Joseph était plus âgé que mon père, plus expérimenté, plus avisé et il était certainement plus prudent. Joseph, avant d'être incorporé une seconde fois, avait déjà été soldat français. En Biélorussie, il s'était mutilé volontairement en se tirant une balle dans la main ; pour qu'aucune brûlure de la peau ne soit visible, il avait interposé entre le canon de son arme et sa main des gants et deux miches de pain. Mon père n'aurait pas pensé à cela et se serait probablement retrouvé devant une cour martiale pour mutilation volontaire.
Joseph et mon père avaient cru ensuite pouvoir décider que la guerre était finie. Ils s'étaient mis en marche pour rentrer chez eux en Alsace. Pour se rendre de Biélorussie en Alsace, c'est vers l'ouest qu'il faut se diriger ; ils savaient que ce ne serait pas partie facile car si l'Armée régulière russe avançait rapidement sur un front très vaste, ses arrières étaient protégés par des centaines de partisans qui ne portaient pas les allemands dans leur cœur pour des raisons que nous pouvons deviner aisément. Les deux compères avaient marché à couvert, évitant ce qui restait des champs et des villages. Ils avaient abouti à une clairière où bivouaquaient des soldats. Mon père, qui était affamé, s'était levé et voulait se précipiter vers l' unité militaire allemande enfin retrouvée. Bien qu’alléché lui aussi par une odeur de grillade, Joseph l'avait arrêté in extremis ; les canons étaient pointés vers l'ouest, il était donc peu probable que ces militaires soient des allemands, et tous les deux de replonger aussitôt dans les fourrés.
L'aventure avait pris fin quand ils étaient tombés nez à nez avec un groupe de partisans armés jusqu'aux dents et nullement disposés à fraterniser. Ils étaient parfaitement insensibles aux cris des deux soldats en uniforme de la Wehrmacht qui levaient les bras en criant dans un russe approximatif « Fransouski, Fransouski ! » (7). En un clin d'oeil, ils étaient dépouillés du peu qu'ils avaient et s'étaient retrouvés en caleçon pendant qu'un peloton d'exécution se préparait. « Fransouski, Fransouski ! » reprirent-ils de plus belle, sans plus de succès, quand une voix s'est élevée, s'exprimant successivement en russe et en français. Un cavalier en uniforme de l'armée française annula l'exécution et demanda aux partisans de remettre les deux prisonniers à l'armée régulière. C'est ainsi que Joseph et mon père s'étaient retrouvés prisonniers de guerre et avaient été internés pour de longs mois à Tambov.Pendant des années, sans trop savoir comment s'y prendre, mon père essaya de retrouver la trace de cet officier français qui, dans une forêt de Biélorussie, leur avait sauvé la vie. En vain. Cet homme était-il seulement français ? Si Joseph avait eu l'occasion de voir des uniformes de l'armée française, il n'en était rien pour mon père. Peu probant donc. L'un et l'autre parlaient le dialecte alsacien qui était leur langue vernaculaire et même s'ils avaient été scolarisés en français, il est peu probable qu'ils aient été en mesure de distinguer un accent bourguignon ou toulousain de celui d'un officier russe polyglotte.
Agrandissement : Illustration 3
Mon père.
Photo prise le 8 mai 1944 devant la ferme familiale.
La veille de la fin de sa dernière permission.
A moi qui ne suis que le passeur, il me plaît que ce soit un officier français, un représentant de la France, qui ait sauvé mon père, c'est donc cela que je veux croire, vérité historique ou non.
J'avais besoin de savoir et de comprendre. J'avais besoin de cohérence. Enfants, nous nous nourrissions des exploits de Battler Britton, l'aviateur de la RAF britannique qui, aux commandes de son Spitfire, administrait, à notre grande satisfaction, des sacrées raclées aux Messerschmitt et aux Stukas, des aventures du pilote Biggles qui taillait des croupières à l'ennemi honni et de X13 qui terrassait les espions nazis. Les sifflets des locomotives dans La bataille du rail pendant que le boche fusille nos héros valaient pour nous toutes les Marseillaise. Et les sirènes des transporteurs de troupes saluant les saboteurs qui avaient fait taire Les canons de Navarone nous faisaient pleurer d'émotion.
Même en uniforme allemand, Curd Jürgens était un homme bon, juste et honorable. Tout comme mon père quand, un soir après la classe, il m'avait convoqué devant le livre de lecture du CM2 qu'on venait de nous remettre. Un chapitre couvrant deux pages du livre traitait du massacre d'Oradour-sur-Glane ; il comportait en bas de page une petite illustration gravée de quelques centimètres carrés représentant une église en ruines. Je lus l'histoire du village martyrisé en silence sous l'oeil attentif de mon père et nous en avons parlé, longuement. Le soldat de la Wehrmacht, dont l'uniforme avait une croix gammée au bras, qui me faisait honte et que je n'aurais jamais osé présenter à mes amis Battler Britton ou Biggles, parlait en vrai patriote, en vrai français.
Le dimanche suivant, au camp du Struthof (8), nous sommes restés plusieurs heures et mon père me serrait contre lui en m'expliquant. Nous y sommes retournés de nombreuses fois, sans dire un mot, comme quand je déambule tout seul dans le village martyr d'Oradour-sur-Glane dans la Haute-Vienne. Les lundis soir, nous allions au cinéma parfois. Nous regardions ensemble des films relatant des moments de la guerre du côté allemand. Des films que les Britanniques, qui avaient la haute main sur la censure cinématographique, autorisaient et qui n'étaient pas des films de propagande. La censure prêtait au soldat ennemi d'hier des sentiments humains et préparait ainsi l'avenir sans l'insulter. Mon père avait lui aussi besoin de comprendre et de construire une cohérence. Aujourd'hui je me souviens et je sais et personne ne m'en contera.
Cette guerre est finie mais la paix ne semble faire que des pauses. Sournoise, la guerre pointe parfois à nouveau son sale museau comme elle le fait encore en Yougoslavie ou en Ukraine.
(1) Stalag : abréviation de Stammlager : camp ordinaire pour prisonniers de guerre.
(2) Feldgendarmerie : police militaire allemande
(3) NSDAP : National Socialist Deutscher Arbeiterpartei : en clair, le parti nazi.
(4) et (5) Jungmädelbund, Bund Deutscher Mädel : ce sont deux associations de jeunes filles encadrées par des adultes membres et militants du parti nazi. La première regroupait les jeunes filles dès l'âge de 8 ans, la seconde à partir de 14 ans.
(6) USAAF : United States Army Air Force
(7)Fransouski : traduction sonore de "Français" en russe. Tout alsacien incorporé de force apprenait ce mot magique qui lui sauverait la vie en cas de capture.
(8) Un seul camp de concentration sur le territoire français, celui du Struthof-Natzweiler dans les Vosges. Il servit principalement de camp d'internement pour les résistants des territoires occupés par le nazis. Un salopard, plus SS que médecin, y puisa la matière à ses expérimentations criminelles.
La photographie " familiale " a été prise en 1940. Elle rassemble mes grands-parents maternels, ma mère debout et ma tante assise sur la luge (qui fut la mienne quinze ans après). Le jeune homme est un de mes oncles disparus, l'autre oncle, sans doute, était le preneur de la vue. Ils n'avaient pas encore été incorporés dans la Wehrmacht et envoyés sur le front de l'Est, ce qui est advenu une année plus tard. Qui a fait avec amour l'encadrement de cette simple photographie ? Ma grand-mère ? Ma mère ? Ma tante ? Le souvenir en est perdu.
La photographie " militaire " n'est pas datée. Probablement, fin 1941, début 1942. Elle a sans doute été prise pendant la période du RAD (période militaire probatoire) car il est peu probable qu'elle aurait échappé à la destruction sur le front, pendant l'équipée du retour Joseph dans les forêts biélorusses ou la détention à Tambov. Mon père est le beau jeune homme à droite. Je n'ai jamais pu identifier ses camarades.
La photographie du soldat seul représente mon père le 8 mai 1944 devant la ferme familiale à l'occasion de sa dernière permission le jour de son retour en Biélorussie. Deux jours de voyage à l'aller, six heures avec ses parents et deux jours pour retourner dans son unité. A son arrivée sur le front, il est relevé de ses fonctions par l'officier prussien dont il était l'aide de camp. Celui-ci avait découvert entre temps que mon père était originaire de l'arrondissement de Saverne et, plus de trente après, il n’avait pas oublié l’affaire de Saverne de 1913 du temps de l’Alsace-Lorraine rattachée à l’Empire allemand.
Les deux photographies sur lesquelles mon père figure ont au grand maximum deux années d'écart. Il n'est sur la seconde déjà plus le même homme que sur sur la première.