En gibelotte ou en civet, à la moutarde ou en sauce maffé, entier ou démembré et débité, le lapin dans votre assiette accompagné de tagliatelles ou de petites pommes de terre tendres est le meilleur allié de la cuisine et le compagnon inspiré des mauvais jours pour vous faire renaître de vos cendres et régaler vos amis.
En gastronomie et en diététique, le lapin fait partie des volailles. Comme la leur, sa chair est blanche à longues fibres et présente les mêmes qualités nutritionnelles et gustatives. C'est ainsi que le lapin s'est retrouvé en bonne place à l'étal du volailler. Si la poule et la dinde sont bien des oiseaux, le lapin reste toutefois quant à lui un mammifère, du moins de son vivant. Il cesse d'être une volaille quand il n'est pas d'élevage et quand il est lièvre ou de garenne, il devient gibier.
Une fois sa viande dégustée et ses os léchés, il n'est pas conseillé de donner les restes à votre chat, ni à votre chien d'ailleurs. Si d'aventure ces derniers s'avisaient de ne pas se contenter d'un dernier léchage et se mettaient à les croquer, le pire serait à craindre. Les brisures d'os de lapin et de poulet sont tranchantes et pointues comme des poignards et ces autres de nos meilleurs amis pourraient se retrouver avec des échardes douloureuses, mortelles même, dans leurs gencives, estomacs et intestins. Soit dit en passant, nous-mêmes serons bien inspirés de ne manier les os de la bête qu'avec grande circonspection.
Sauf si vous élevez et abattez-vous même le mammifère à longues oreilles, le civet de lapin dans sa pureté d'origine vous passera sous le nez et vous devrez vous contenter d'une gibelotte sans que vous perdiez vraiment au change.
Mais alors quelle différence avec le civet ? allez-vous peut-être me demander. Elle est infime ...mais de taille. Elle porte sur un seul ingrédient de la sauce qui accompagne la bête : le sang et de préférence son sang, qu'il convient de récupérer à l'abattage et dont vous retarderez la coagulation en lui adjoignant un peu de vinaigre blanc ou balsamique.
Le lapin en gibelotte se dispense de cet ingrédient quasiment introuvable dans le commerce, mais que les plus avisés d'entre nous remplacent par du boudin noir à base de sang de cochon. Il suffit de l'écraser avec une fourchette en le diluant dans le vin. La principale fonction du sang ou du boudin noir ajouté est la consistance et la couleur sombre qu'il donne à la sauce. Il est probable qu'il modifie également le goût de la sauce, mais je ne l'affirmerai pas, n'y ayant jamais recours. D'autres utilisent le sang recueilli pour en faire une préparation appréciée par certains, en tout cas en Auvergne : la sanguette et plus largement en Occitanie (la sanqueta).
La sanguette est en effet une spécialité à base de sang dont seraient friands les fins becs d'un grand quart Sud-Ouest de la France. Le sang de poule, de canard, de lapin et même d'agneau entre dans sa composition. Cette galette, qui mêle persil, ail et échalote finement hachés ajoutés au sang vinaigré, est frite dans une noix de graisse d'oie.
La préparation du lapin en civet se fait au vin rouge alors que celle de la bête en gibelotte se fait au vin blanc sec. J'utilise pour ma part un Côte du Rhône pour le premier, un Sylvaner d'Alsace pour le second.
Le lapin vous est souvent proposé en entier chez le fermier ou à l'étal du boucher ou du volailler. Dépouillé, éviscéré et exsangue, il n'en reste alors que sa chair et ses os. Il peut se cuire ainsi, paré et agrémenté de diverses manières, paresseusement allongé sur le flanc dans un grand plat que l'on glisse au four comme on le ferait d'un vulgaire poulet. Cette préparation n'a pas ma préférence, je ne m'y attarderai donc pas.
Le volailler peut également vous le proposer découpé ou à la découpe. Découpé, vous vous retrouvez avec deux pattes arrières, deux gigolettes, trois ou quatre morceaux de râble et probablement un thorax avec ses côtes, sans compter foie, coeur et rognons. De quoi nourrir toute la famille si ses membres trouvent un accord pour satisfaire les préférences de chacun. J'ai choisi de longue date d'acheter mon lapin à la découpe et opté la plupart du temps pour quatre ou six pattes arrières.
Subitement un souvenir assaille ma mémoire. Mon aïeul élevait lui-même ses lapins et tuait le lapin le samedi soir en vue de sa préparation le dimanche. Nous laissions sa carcasse mâturer une nuit entière avant de le passer à la cocotte. Pour le faire passer de vie à trépas, il aurait pu lui faire le coup du lapin, c'est à dire un grand coup dans la nuque du tranchant de la main, s'il avait été karatékara. Plus prosaïquement, il se contentait de lui briser les cervicales à l'aide d'un court mais lourd bâton.
Avant cette assassine opération, il dépoussiérait ses poils. Une fois la mort constatée, il dépouillait la bête en retournant son pelage comme un gant après l'avoir décapitée. Mon aïeul décapitait après avoir incisé l'artère carotide pour recueillir le sang. Je crois me souvenir que notre voisin, peut-être plus adroit, ne décapitait pas l'animal et en retirait la peau avec celle de la tête toujours surmontée par ses longues oreilles.
La peau de lapin était ensuite remplie de paille bien sèche pour conserver tout son volume au fourreau. Derme et épiderme pouvaient ensuite sécher à l'air libre et la peau être clouée sur une porte de grange pour être revendue plus tard à un marchand ambulant qui pratiquait surtout le troc d'ailleurs : peaux de lapin et petites ferrailles contre pièces de vaisselle en faïence.
Je m'étais souvent posé la question de connaître quel pouvait être l'usage des peaux de lapin ainsi collectées. On m'a laissé entendre que c'était la fourrure qui intéressait stylistes et fourreurs pour confectionner revers et bonnets. La peau de lapin comme substitut bon marché au vison en quelque sorte. J'en ai conclu que le lapin devenait du faux vison ou du renard en toc pour abuser les belles ; par extension, je compris bien mieux plus tard le sens de l'expression : « C'est un socialiste en peau de lapin », en parlant de certains élus qui s'étaient fait passer pour ce qu'ils n'étaient pas. J'ai appris plus tard, que pendant longtemps les peaux de lapin étaient également utilisées, une fois broyées, comme ingrédients de certaines colles au même titre que les os broyés d'autres bêtes pouvaient l'être. Cette colle naturelle était utilisée pour les collages délicats en maroquinerie, en marqueterie et en lutherie. De la même manière cette matière première gluante entrait dans la composition de peintures dont elle favorisait l'adhésion à tout support.
Je n'ai pas l'intention de poursuivre avec une recette particulière de la préparation du lapin ; elles abondent sur internet et Ginette Mathiot en offre quelques unes particulièrement précises et fiables dans son excellent « Je sais cuisiner » chez Albin Michel. Je me contenterai de dire que le faux-civet ou la fausse-gibelotte ont ma préférence.
Faux-civet car au vin rouge, mais sans le sang, fausse-gibelotte parce que le Syvaner est remplacé par un Côte-du-Rhône. Les autres ingrédients, à savoir lardons (fumés pour certains, salés pour d'autres), oignons hachés, bouquet garni, gousses d'ail, feuille de laurier, champignons de Paris entiers (à défaut de girolles à la saison), peuvent librement migrer de l'une à l'autre préparation. Je flamberais au Cognac les morceaux de lapin revenus et dorés dans de l'huile d'olive et je n'hésiterais sans doute pas à leur réserver le même traitement si j'optais pour la gibelotte. Pour ce qui est du civet, il m'arrive parfois de préparer la viande en marinade au vin avec ses plantes aromatiques. Affaire de goût et surtout d'inspiration du moment. J'ai pour ma part une appétence toute particulière envers les tagliatelles pour accompagner le lapin mais je conçois parfaitement que d'autres garnitures puissent avoir votre préférence.
Je me tairai maintenant sur les préparations du lapin de garenne et du lièvre pour m'attarder quelques instants sur le faux-lièvre. Cette spécialité germanique a été joyeusement mise en scène dans Karambolage, l'émission de télévision qui œuvre fort joliment pour le rapprochement des cultures allemande et française sur Arte. L'épisode est toujours disponible sur YouTube.
Le faux-lièvre d'Outre-Rhin est simplement un pâté de viande à base de chair à saucisse de porc mélangée avec du bœuf ou du veau haché, de l'ail, de l'oignon et du persil finement ciselés. Avec un œuf entier, un peu de farine et de pain de mie humide et écrasé, ce pain de viande trouve une fermeté et une consistance qui le rendent prêt à la cuisson. Je glisse parfois dans cette pâte de viandes une belle poignée de semoule de couscous ou de perles de semoule Moughrabieh libanais. Il est possible également d'y enfermer un chapelet d'oeufs durs (sans leurs coquilles, il va de soi).
Après l'avoir mis au four à 160° pendant une petite heure et fait revenir à la poêle pendant une dizaine de minutes, il ne vous reste plus qu'à confectionner une sauce brune à base d'un roux de farine allongé d'une lampée de vin de Madère. Le faux-lièvre se déguste accompagné de petits pois et carottes ou simplement une bonne batavia, comme il vous plaira.
Il me plaît toujours de m'éloigner du sujet qui m'occupe et quand une association m'est offerte sur un plat, je ne m'en prive jamais. Du lapin qui se fait volaille, au faux lièvre qui est veau et cochon, c'est d'une enjambée primesautière que je saute sur la poule sans os.
Si le lapin est une volaille, la poule sans os n'a rien à voir avec la famille des léporidés et encore moins celle des gallinacés. Elle est un plat de quenelles de pommes de terre en Alsace, une farcidure à base du même tubercule en terre limousine.
Avec une proportion de 2/3 de, vraie bien sûr, purée et de 1/3 de pommes de terre débitées avec une râpe à parmesan il convient de constituer une pâte onctueuse à laquelle l'oeuf complet, un doigt de farine, l'ail écrasé, la ciboulette délicatement ciselée, la noix de muscade et le poivre noir donneront sa texture définitive et surtout son goût.
La poule sans os est en quelque sorte l'équivalent corrézien de la quenelle de pommes de terre alsacienne. Elle est moulée comme elle à la main en boules, rarement en cigares, parfois à l'aide d'une louche et d'une cuillère, puis pochée à l'eau. Une fois bien égouttée, on la fait revenir à la poêle dans un filet d'huile d'olive avant de déguster poule ou quenelle avec une scarole ou une trévise du jour.