Un plat roboratif et philosophique
Un plat a retenu toute mon attention et je me livre rituellement avec amusement à des calculs de prix de revient par tête et par repas. L'opération s'est toujours révélée concluante : un prix de revient par repas bas pour un plaisir inégalé. L'ingrédient le plus onéreux est comme vous vous en doutez la viande, mais son prix est fonction du morceau. Ainsi le jarret avec os, toujours très savoureux, coûte de l'ordre de 10 euros le kg pour 19 euros la macreuse à pot-au-feu (prix relevé au rayon boucherie d'une enseigne de la grande distribution et portant sur du bœuf charolais). J'ai calculé que le pot-au-feu que j'envisage me reviendrait à quelques 60 euros, ce qui porte le repas à quelques cinq euros. Pour un plat plantureux qui se décline sur trois services pour quatre personnes. Mais il est possible en réduisant les viandes de se régaler pour bien moins. Le maintien et même l'augmentation du pouvoir d'achat empruntent des sentiers impénétrables à première vue et se nichent souvent dans les détails.
Le pot-au-feu est ma véritable poule-au-pot. Plutôt plat d'hiver ou de temps frais, le pot-au-feu est un plat de viande de bœuf bouillie. Oie ou boeuf en pot-au-feu et poule au pot ont beaucoup de point commun. Le principe des trois mets est identique : la viande est bouillie en bénéficiant d'aromates et le bouillon est appelé à aromatiser les légumes qui accompagnent les viandes. Une sorte de migration des goûts, des saveurs et des parfums : un plat hautement philosophique en quelque sorte.
Le temps de cuisson d'un pot-au-feu est de 2 à 3 heures dans un faitout et de la moitié de ce temps dans un auto-cuiseur. A vous de voir, selon que vous êtes pressé et disposé à sacrifier une partie de votre plaisir ou prêt à toutes les patiences pour régaler davantage vos papilles.
Trois groupes d'ingrédients déterminent le résultat : les aromates, les légumes et la viande. Le dernier groupe doit retenir toute votre attention car il conditionne la réussite du mets. Sans aller jusque chez l'éleveur pour rôder autour de la bête en lui tâtant les flancs, l'encolure ou la cuisse et sans aller jusqu'à envisager de vous tailler une petite macreuse sur place, quelques règles s'imposent.
Les muscles ne se ressemblent pas, certains sont à fibres courtes, d'autres à fibres longues. Les viandes sont plus ou moins maigres, mais le gras n'est pas présent dans la même proportion ni disposé de la même manière sur tous les morceaux. C'est l'entrelacement avec la fibre musculaire qui confère son caractère gélatineux à la viande.
Il faut donc choisir sa viande avec soin en combinant une viande gélatineuse avec une autre plus sèche, voire même avec une troisième en la choisissant selon la longueur de sa fibre. Puis intervient votre goût personnel pour l'un ou l'autre morceau. Il devient alors utile de savoir distinguer d'un coup d'oeil ses caractéristiques sans vous laisser seulement guider par l'étiquetage. Deux clés pour exercer votre œil et développer votre expérience personnelle. Le gras de la viande peut être de couverture ou intramusculaire. Les bouchers parlent de viande plus ou moins persillée selon la densité des filets de gras interstitiel. Cela n'a strictement rien à voir avec le persil, herbe condimentaire. C'est ce gras intramusculaire qui donne le caractère gélatineux au morceau. Un même muscle peut être plus ou moins pourvu de ce gras interstitiel selon la partie considérée, ainsi parlera-t-on de tailler tantôt un beefsteak dans la macreuse, le jumeau, la bavette ou le rumsteak.
La viande de bœuf se grille et ce rôtit, se mijote ou se bouillit, dans le bœuf qui est souvent une vache tout est bon comme dans le cochon.
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Les prix varient selon le morceau, au kilogramme :
Plat de côte : gélatineux
Gîte : nerveuse 12,50 € sèche
Paleron : 14,80 € gélatineuse
Jarret : 10,80 € gélatineuse
Macreuse à pot-au-feu : 18,80 € sèche
Basse côte : 14,90 € gélatineuse
Jumeau à pot- au feu : 14,80 € gélatineuse à fibres courtes
Jarret avec os : 9,80 € gélatineuse
Une queue débitée en petits cylindres.
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Jarret de bœuf avec son os à moelle
Le persillage est bien visible
Légumes et viande de bœuf sont les ingrédients de base d'un pot-au-feu réussi. Il vaut mieux choisir sa viande chez un boucher digne de ce nom et éviter les grandes surfaces qui vous la vendent en barquettes sans autre précision que la mention Pour pot-au-feu. Un étiquetage pour le moins obscur qui laisserait presque entendre que Pot au feu ou Bourguignon seraient des parties du bœuf. Nous marquons parfois une préférence pour l'un ou l'autre morceau, c'est l'expérimentation qui devra guider vos pas et vous permettra de vous faire votre propre idée pour choisir votre viande. Un vrai boucher peut être de bon conseil en sachant toutefois qu'il conseillera toujours la viande qu'il a en rayon ou en réserve.
La qualité de la viande et sa cuisson déterminent la réussite de votre pot-au-feu. Deux accompagnements le mettront en valeur : la quenelle de moelle et le raifort. Le reste relève de traditions familiales, à savoir une salade de céleri à la sauce rémoulade ou une salade de carottes cuites mélangées à de l'oeuf dur. Parfois les deux à la fois.
La recette que je vous propose est conçue pour quatre ou cinq personnes autour de la table, pour au moins 2 repas et même quelques prolongations. Il faut les ingrédients suivants :
Deux kg de différents morceaux de bœuf (en combinant macreuse, jarret par exemple), 800 g de poireau, un kg de carottes, 500 g de navet, 600 g de pommes de terre (cuite à l'eau et à part par manque de place), deux oignons piqués de clous de girofle,un bouquet garni, gros sel, poivre. Un demi chou blanc. Un rameau de céleri-branche. Quelques os à moelle à cuire avec le bouillon. Prévoir 3 ou 4 os à moelle supplémentaire dont extrait la moelle crue,à réserver pour les quenelles.
Commencez par éplucher et nettoyer les légumes. Selon leurs tailles, laissez carottes et navets entiers ou coupés en deux.
Découpez votre boule de céleri. S'il y a un enfant dans les parages, profitez de l'occasion pour des travaux pratiques de géométrie dans l'espace et le maniement des fractions, vous contribuerez ainsi à l'élévation de son niveau en mathématiques : savoir comment obtenir huit quarts de sphère de céleri peut être déterminant pour son avenir. Deux huitièmes de votre boule de céleri participeront à la cuisson, le reste sera réservé dans un peu d'eau citronnée en vue d'être râpé pour servir d'ingrédient de base à votre salade de céleri en sauce rémoulade.
Préparez deux poireaux fendus dans le sens de la longueur et noués pour que leurs feuilles ne se dispersent pas.
N'oubliez pas le demi-chou blanc, soigneusement lavé puis coupé en deux, ou plus selon sa taille.
Piquez enfin deux oignons coupés en deux de clous de girofle (quatre à six par demi-oignon
Combinez vos viandes en équilibrant selon la nature des morceaux( je suis très jarret, paleron et macreuse).
Dans un grand faitout, versez cinq litres d'eau froide ( l'eau doit couvrir vos ingrédients). Plongez vos morceaux de viande dans l'eau.
Ajoutez les poireaux liés en botte, l'oignon bardé de clous de girofle, deux ou trois feuilles de laurier-sauce, un bouquet garni, complétez avec un rameau de céleri-branche. Couvrez et faites cuire à feu moyen pendant deux heures. En cours de cuisson, vous pouvez écumer de temps à autre pour vous débarrasser de l'écume graisseuse qui se forme peu à peu.
Après deux heures de cuisson, le moment est venu d'ajouter carottes, navets, chou, céleri. Puis laissez mijoter à feu doux pendant une heure de plus. Vous saurez que la cuisson est achevée quand la lame de votre couteau fétiche percera facilement carotte et navet.
Si vous optez pour une cuisson en auto-cuiseur, vous mélangez immédiatement tous les ingrédients et vous laissez cuire à feu moyen dès le chuchotement de votre cocotte pendant une heure et demie. Vous gagnez du temps, mais votre bouillon sera moins clair. Personnellement, je trouve qu'en cocotte il y a gain de goût pour les légumes, dont certains comme le navet ne brillent vraiment pas par leurs saveurs en général.
D'où probablement, son champ sémantique élargi au cinéma et une partie de production. Curieusement, j'ai réhabilité le navet légume que ce soit par la lacto-fermentation, dans le couscous et le pot-au-feu mais n'arrive toujours pas à lui trouver la moindre lettre de noblesse au cinéma. Mais revenons en à nos moutons et surtout à notre cher bœuf en pot-au feu.
Je considère que la viande en pot-au-feu est cuite quand ses fibres se détachent facilement ou quand celle à fibre courte fond sur la langue sans qu'il soit nécessaire de la mastiquer longuement comme du chewing-gum. Bien que désormais votre cuisine baigne dans d'agréables effluves qui conduiraient même un saint à se faire damner, Il serait hérétique de vous jeter sur votre pot-au-feu sans plus attendre. Ses nombreux accompagnements doivent être préparés avec soin et vous demanderont un peu de patience.
Nous avions l'habitude dans ma famille de commencer par le bouillon avec sa tranche de pain grillé et ses quenelles de moelle. En un second temps, la viande, ses légumes chauds et tous ses accompagnements froids. Le lendemain, nous remettions cela.
S'il restait de la viande et plus particulièrement celle à fibres longues comme la macreuse, un accommodement en salade avec de l'échalote et un filet de vinaigre blanc ou de cidre vous fera rêver une fois encore. Le bouillon pourra être resservi ...tant qu'il en reste avec des vermicelles pour lui donner consistance. Evitez les petites pâtes en lettres de l'alphabet si vous conviez vos enfants aux dernière agapes, ils ne mangeront pas leur soupe et passeront leur temps à écrire leur nom sur les bords de l'assiette ou alors servez-leur le bouillon dans un bol aux parois vertigineuses pour les en empêcher. Il faut être plus malin qu'eux car un enfant c'est toujours un peu retors ; en ma qualité d'ancien enfant je sais de quoi je parle !
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Fortsetzung folgt...
A suivre...
To be continued...