Un bon copain, toujours près de ses sous et pour tout dire avec des tendances certaines à une authentique avarice, a décidé une fois pour toutes de ne jamais franchir le seuil d'une salle de cinéma tant il a peur de ne pas en avoir pour son argent.
En d'autres circonstances, il évite même de prendre un autobus, se contentant de l'attendre à l'arrêt, puis de lui courir après pour faire l'économie du billet. Mais ceci est une autre histoire, que je vous raconterai un autre jour.
Une première méthode consiste à lire les critiques qui précèdent ou entourent la sortie d'un film en salle. L'offre précède alors la demande, elle est censée la stimuler et elle s'inscrit par conséquent dans un programme de promotion du...produit qu'en d'autres circonstances on appelle prosaïquement une campagne publicitaire. Il est alors hors de question d'émettre la moindre réserve sur le film, tout au plus peut-on envisager de feindre quelques interrogations de bon aloi, elle-mêmes autant d'incitations à aller se rendre compte par soi-même.
Une autre démarche consiste à prendre simplement connaissance d'un des ingrédients du film et à en faire son critère déterminant : le réalisateur, le synopsis, le genre, la tête d'affiche. Le joueur et le parieur peuvent même spéculer sur un second rôle qui leur paraîtrait prometteur ou sur un vague figurant de ses connaissances qui lui a fait savoir qu'à la dix-septième minute il apparaîtra à la sortie d'une boutique en ouvrant son parapluie ou qu'à la trente et unième, il fera une brève apparition comme passant demandant l'heure au personnage principal du film. Un autre ingrédient et non le moindre pour guider votre choix pourrait être la contrée ou le paysage qui a offert son décor.
Les amateurs de traction avant noire Citroën, de fleurets mouchetés ou de moto Harley Davidson pourraient faire d'un de ces accessoires le critère déterminant pour s'installer dans une salle obscure. Le Paris des années 40 ou le Marseille de Carbone et Spirito, Une affaire d'honneur,Easy rider et la mythique route 66 ou Johnny Halliday et sa moto qui se volent sans cesse la vedette l'un l'autre, peuvent également faire l'affaire.
5 hectares d'Emilie Deleuze réunit trois ingrédients qui peuvent être déterminants : le Limousin pour lequel j'entretiens une douce affection prête au film ses décors champêtres ; Marina Hands en hôtesse de l'air aux jambes interminables surmontant des escapins à talons aiguilles tout-terrain nous offre ses fréquentes absences et Lambert Wilson en beau gosse au jeu toujours délicatement indolent comme s'il avait peur de trop en faire y promène une nonchalance qu'il veut lent cheminement vers...on ne sait pas trop quoi. Mais pour moi c'est le tracteur dont Franck (Lambert Wilson justement) envisage de faire l'acquisition toute affaire cessante qui a aiguisé ma curiosité. Il est un accessoire absolument nécessaire dans la panoplie de tous ceux qui vivent de la terre ou envisagent d'y retourner.
Si c'est le style qui fait l'homme, c'est le tracteur qui fait le paysan. Trouver et acheter un tracteur quand on n'y connait pas grand chose en mécanique et que même sa conduite peut devenir une véritable aventure n'est pas une mince affaire et n'est pas à la portée de chacun.
Emilie Deleuze a construit son scénario sans queue ni tête sur la difficile recherche d'un tracteur. Une quête qui refuse de choisir entre l'antique petit gris TE.20LI00332 de Ferguson-Brown Company et le rutilant nouveau modèle MS 6S 200 ch de chez Massey-Ferguson au profit d'un obscur modèle intermédiaire. Le voyage du lieu d'acquisition du nouveau fétiche de Franck à son nouveau domicile en terre limousine lui fait parcourir une centaine de kilomètres à travers une campagne aux doux vallonnements malheureusement invisibles pour avoir choisi la saison des herbes hautes qui masquent toutes les lignes de force du paysage.
5 hectares comme son titre le suggère est un film sur la ruralité ce qui laisse la porte ouverte au meilleur comme au pire. L'option retenue est celle du pire. On y effleure avec retenue des thèmes qui y ont trait : la délicate question des baux ruraux, la méfiance à l'encontre des nouveaux arrivants perçus tantôt comme une menace, tantôt comme autant de vaches à lait ( ce qui ne dépare pas vraiment à la campagne).
On effleure en laissant entendre qu'on est au courant et qu'on n'en pense pas moins, mais on se garde d'approfondir car ce n'est pas le sujet, semble-t-il ! Mais alors quel est l'argument du film sinon de nous dire que parfois quelques citadins, un peu blasés et revenus de tout se précipitent sur la bonne masure un peu abandonnée à la campagne et se rêve métamorphosés en paysans dont on ignore tout et qui sont pour eux de très caricaturaux accessoires de décor.
Pour en revenir à mon propos premier, à savoir comment choisir un film, mais surtout comment faire pour ne pas passer pour un imbécile d'avoir été voir le film d'Emilie Deleuze, suivez ma méthode : faites un retour sur vous-même en mettant en scène vos interrogations avant le film, n'hésitez pas à parsemer votre propos de menues digressions sur les comportements humains en général, pensez à documenter sérieusement vos tours et détours, vos parenthèses et vos petits écarts. Et surtout, placez subrepticement votre propos au centre comme le point de mire en place et lieu du film dont vous parlez. Avec un peu d'adresse vous pourriez même réunir le tour de force de parler longuement et généreusement du film sans l'avoir vu et rendre perplexes vos lecteurs les plus fidèles.
J'y ai cependant appris qu'aux champs l'improbable peut arriver sans que l'on s'y attende : une énorme roue très crantée de tracteur et dont la gomme à plusieurs centimètres d'épaisseur peut crever comme un vulgaire pneu de Twingo et que pour réparer cette improbable crevaison, il n'est pas nécessaire d'enlever la roue de son disque support et qu'il est tout à fait envisageable de déjanter l'énorme pneu d'un petit coup de démonte-pneu et même que cela était susceptible d' ouvrir l'appétit sexuel si on sait bien s'y prendre..