Lorsqu'un homme ou un mouvement politique se déclare "ni de droite ni de gauche", on sait d'emblée qu'il se situe à la droite de l'échiquier politique (quand bien même lui-même l'ignore) pour la simple raison qu'être de gauche c'est ne pas juger indifférent que le racisme perdure ou que le droit à l'avortement soit acquis, par exemple : c'est ressentir la nécessité de certaines victoires et les deux combats que je viens de nommer ont toujours été historiquement portés par la gauche, comme à peu près tous les combats nécessaires. Pour estimer que gauche et droite c'est kif-kif il faut donc être à côté de la plaque ou indifférent à des choses essentielles - à des souffrances qui, parce qu'elles ne sont pas les nôtres, nous indiffèrent au moins relativement.
Certes on peut et on doit aussi ne pas simplifier le réel jusqu'à la caricature : il y a des salauds à gauche et des gens plus fréquentables que ces salauds-là à droite. Le choix du bulletin mis dans l'urne et la conduite personnelle peuvent différer et souvent diffèrent (l'écart entre ce que l'on revendique être et la manière dont on se conduit est tout simplement très partagé d'un bout à l'autre du spectre politique).
On peut même aller plus loin et déplorer l'attachement fétichiste aux notions de droite et de gauche, qui peut empêcher de penser.
On peut en outre considérer que ladite démocratie représentative a des limites et plus que ça des travers et que n'ont pas tout à fait tort ceux qui disent "élections piège à cons". On peut se rappeler que pour le dictionnaire "République" et "démocratie" ne sont pas synonymes etc.
Mais.
Mais il y a le court-terme, le moyen-terme et le long-terme et puis il y a tout simplement le fait que j'en ai croisé plus d'un, à longueur d'années, de ces non-électeurs qui s'estiment de gauche et ne participent pas d'une quelconque réflexion un tant soit peu sérieuse, quand ce n'est pas tout court, sur la nécessité d'une refondation - ou meilleure fondation - de notre vie démocratique.
Pour eux être de gauche c'est quelque chose comme un sentiment, des préférences, une sensibilité mais ce n'est nullement un engagement.
Alors, loin d'articuler le court, le moyen et le long-terme en usant de cet outil qu'est le vote tout en le questionnant, ils agissent comme si l'arrivée au pouvoir d'une force de gauche ou celle de l'extrême-droite n'entraînait aucune altération du réel, n'ouvrait ou ne fermait aucun champ des possibles.
Si les pires malades de l'extrême-droite, plus décomplexés que jamais par une possible victoire, s'en prennent à des gens qui, le plus souvent, n'auront pas la couleur de peau de ces non-électeurs ou seront d'une confession qui leur est étrangère, ces derniers trouveront ça regrettable mais jugeront n'y être pour rien puisque dans leur for intérieur ils ne l'auront pas souhaité.
Ils l'auront pourtant permis, ce qui montre qu'ils ne sont pas de gauche : ce sont juste des individus comme en produisent à la pelle le capitalisme et le libéralisme, peut-être moins hargneux que d'autres mais à peine moins indifférents.
Être de gauche c'est estimer que certaines choses sont intolérables et ne doivent pas se produire et que cela est l'affaire de tous. Le reste, ce sont des gesticulations devant le miroir, par lesquelles on s'attribue des valeurs que l'on n'incarne pas, pas même par un mouvement du bassin qui consiste à se déplacer jusqu'au bureau de vote le plus proche.
Frédéric Debomy