Mon observation sera peu originale : éclairer le présent par le passé est chose délicate puisque l'histoire se prête à toutes les manipulations.
Pour un certain nombre d'entre nous pourtant, tout un petit monde politique et médiatique vautré dans son islamophobie rappelle fort la bourgeoisie antisémite d'il n'y a pas si longtemps (et dont il serait d'ailleurs prématuré, à lire les travaux de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de fêter la disparition). Simplement, l'abomination absolue que fut l'extermination des juifs d'Europe a laissé quelque trace (mais pour combien de temps ?) et cette nouvelle bourgeoisie a donc choisi de s'en prendre à une autre population en dissimulant la continuité de l'attitude des possédants sous son refus déclaré de l'antisémitisme. Des personnalités et organisations juives appartenant, pour ceux que l'on entend le mieux, à la bourgeoisie ont, à mon sens, le tort de jouer son jeu, oubliant sans doute que la condition de minorité est une éternelle condition de possible cible : un jour les juifs, un jour les musulmans, un jour peut-être de nouveau les juifs (et cela dit sans oublier que l'antisémitisme, atténué par rapport à d'autres époques, n'a pas disparu). La meilleure réponse à cet état des choses serait évidemment une solidarité entre minoritaires (le capitaine Dreyfus, que je sache, n'a pas été protégé de l'antisémitisme par sa condition d'officier).
S'agissant des mauvais usages de l'histoire, comment ne pas penser à l'usage que beaucoup de partisans d'Israël - juifs ou non - font de la Shoah pour dépeindre toute critique politique de cet État comme une manifestation d'antisémitisme ? Ces partisans trouvent en face, en toute logique, des gens assez décérébrés et inhumains pour passer de la solidarité envers les Palestiniens à la haine des juifs - si tant est que leur souci des Palestiniens ait jamais eu une autre racine que leur antisémitisme (mais contre une instrumentalisation courante il me faut immédiatement rappeler que la recherche ne situe pas le sentiment antisémite majoritairement à la gauche de l'échiquier politique, où l'on est généralement solidaire des Palestiniens, mais majoritairement à sa droite).
Bref, contre toutes les mises à l'index passées, présentes et à venir de minorités racisées ou religieuses par le monde, en gros, des "blancs" et des riches (c'est un raccourci), se rappeler malgré tout les leçons de l'histoire, ici par le biais de deux citations issues de l'important - du très important - Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1969), chronique de l'Occupation ces jours-ci en ligne sur le site de France TV :
Pierre Mendès France, homme politique et résistant : "La psychologie "Plutôt Hitler que Léon Blum !" [Blum étant un homme politique de gauche de confession juive] est une psychologie qui avait fait des ravages partout dans les milieux de la bourgeoisie". Mendès France précise ensuite que la défaite française face aux Allemands avait été une nouvelle occasion pour cette même bourgeoisie de s'en prendre à Blum et au gouvernement du Front populaire qu'il dirigea, accusés d'en être responsables.
Un ancien agent secret britannique en France occupée : "la bourgeoisie" était alors "très neutre" tandis que "les ouvriers français étaient formidables" ("les garçons de café, les vendeuses"). Il précise encore : "Parmi la bourgeoisie ils avaient peur, ils avaient plus à perdre". Et donc ils résistaient moins.
À l'heure où tout un petit monde politico-médiatique pas vraiment issu du prolétariat s'emploie à nous faire craindre la gauche plutôt que l'extrême-droite en nourrissant au diapason de cette dernière la peur des musulmans il est peut-être bon de garder certaines choses à l'esprit.
Frédéric Debomy