Il y a ce penchant humain à s'en prendre à plus faible que soi plutôt qu'aux puissants éventuellement responsables de nos malheurs. Un penchant qui a été encouragé ces dernières années par un discours public tendant à faire des partisans du Front national puis du Rassemblement national, et plus largement de l'extrême-droite, des électeurs comme les autres. Or il y a une différence entre le fait de souligner que des individus ne se résument pas à leur choix de bulletin, aussi détestable soit-il, et le fait de "passer" sur ce que peut signifier ce vote et ce qu'il peut entraîner.
C'est considérer que ces électeurs ne sont pas capables de mieux et, tiens, ça arrange tout un petit monde appartenant au bloc bourgeois, qui les méprise lorsqu'ils sont prolétaires, est pourvu de préjugés racistes et préfèrera toujours Hitler au Front populaire, maintien des privilèges oblige (même si, il y a quelques années, le souvenir de la seconde guerre mondiale faisant encore son effet, il ne se l'avouait pas).
Que tout un petit monde politico-médiatique ait encouragé et encourage encore ceux qui pourraient lui en vouloir à regarder ailleurs et particulièrement à l'endroit d'oppressions imaginaires n'excuse en rien ceux qui choisissent (oui, choisissent) de croire lâchement à ces oppressions imaginaires que seraient la dictature des minorités ou autres fadaises puis de s'en prendre à des gens (pas plus faibles en soi, puisque j'ai utilisé ce terme, mais plus exposés). C'est tellement plus facile que de se dire : s'agissant des injustices de ce monde, il faut que je regarde du côté des puissants.
On me dira que ceux dont je parle à l'instant sont les plus sophistiqués des racistes n'appartenant pas au monde des dominants : ceux qui peuvent mentionner un prétexte, "grand remplacement" ou je ne sais quoi. Peut-être. Mais l'on ne soulignera jamais assez cet encouragement à la lâcheté, à la bassesse, venue d'un bloc bourgeois ayant un accès privilégié à la parole publique pour expliquer non seulement des votes déplorables mais aussi que des gens inexcusables osent commettre des actes inexcusables, d'une récente chasse à l'homme noir dans la Creuse à cette agression de trois artistes.
Le racisme est encouragé par une élite économique (pas intellectuelle ni morale) qui nous a longtemps entretenus dans l'idée que le racisme c'était la plèbe et qu'elle était, elle, imperméable à cette vulgarité. Ses préjugés, en vérité, sont à la fois prégnants et l'arrangent : il est de son intérêt qu'ils soient partagés.
Sans dire non plus que le racisme, encouragé d'en haut, ne viendrait que d'en haut. Lorsque l'on voit, et ce n'est qu'un exemple, combien la mobilisation populaire demeure modeste face aux violences policières dont sont victimes les personnes racisées, alors qu'il y a des morts, lorsque l'on prend la mesure de ce à quoi sont confrontées les musulmanes voilées en France ou lorsque, de façon générale, l'on a conscience de tout ce qui atteste de la réalité d'un racisme systémique dans ce pays, on ne peut que jeter aux orties le fantasme d'une France civilisée et tolérante. Cette France n'existe qu'en partie tant est prégnante une barbarie de la pensée et des actes, de haut en bas de l'échelle sociale.
Et c'est à vomir.
Frédéric Debomy
P. S. S'ils étaient un peu courageux, au lieu de se laisser aller au pire d'eux-mêmes, ceux qui, n'appartenant pas au monde des dominants, se laissent séduire par les idées de l'extrême-droite et veulent croire que le Rassemblement national porte un projet de rupture avec l'existant qui serait à leur avantage pourraient facilement constater que l'incarnation du monde bourgeois qu'est la "Macronie" et le Rassemblement national trouvent parfaitement à s'entendre tandis que c'est la France insoumise que ce monde bourgeois s'emploie à faire passer pour le plus grand des dangers. C'est même si évident que je redis ce que j'écrivais plus haut : l'adhésion aux contre-vérités portées par l'extrême-droite est certainement plus affaire de lâcheté, sous la forme de l'aveuglement volontaire, que d'aveuglement réel.
Plutôt que contribuer à bâtir un monde plus juste, exercer son ressentiment. À la grande satisfaction de ceux qui tiennent les rênes, ravis de voir des gens qu'ils méprisent épouser les vues qu'ils s'emploient à promouvoir, d'un plateau de télévision d'une chaîne appartenant à un ultra-riche désireux que son camp gagne toujours plus d'argent tandis que les précaires gardent la tête sous l'eau à une parole de politicien sans scrupule parmi tant de politiciens sans scrupule, du "centre" à l'extrême-droite en passant par la "gauche" de droite et même, tant le paysage est dégradé, d'extrême-droite.