Bien des acteurs et producteurs culturels savent raser les murs lorsqu'un sujet qui mériterait l'engagement n'est pas consensuel ou ne pas s'intéresser à des sujets d'importance lorsqu'ils ne sont pas jugés porteurs. Ils ne font pas exception : il est parfaitement exact que la mobilisation est souvent fonction de la lumière. Je l'avais constaté en 2007, lors de ces quelques semaines où la Birmanie, parce que des gens s'y mobilisaient contre la dictature et que cela était couvert par les médias du monde entier, était dans les esprits : soudain, nos manifestations comptaient davantage de monde. La lumière s'étant déplacée, la plupart de ces manifestants visiblement motivés ne refirent pas surface.
J'ai eu plus de succès ici en parlant de la Palestine qu'en tentant une fois - une malheureuse fois parce que je suis instruit par l'expérience - de ramener l'attention sur ce que vivent les Birmans, sur ce combat qui se poursuit, sur l'indifférence vis-à-vis des vies birmanes. On assiste à un spectacle écœurant : d'un côté, ceux qui se tiennent du côté d'Israël en un moment où c'est indéfendable s'emploient à disqualifier les opposants au massacre en affirmant que ceux qui se préoccupent des Palestiniens ne se préoccupent de personne d'autre, manière de suggérer (quand ils ne font que le suggérer) que leur mobilisation est en fait le fruit d'une haine d'Israël cachant mal une haine des juifs ; de l'autre, des activistes qui dénoncent, largement à bon droit, cette accusation sans vouloir admettre non plus que la solidarité est en effet souvent mal distribuée.
Mais voilà, au milieu de ce tableau décourageant, il y a Greta Thunberg, preuve que l'on peut à la fois être solidaire des Palestiniens et des Ukrainiens (tous ne semblent pas y arriver) mais également aussi des Soudanais ou des Birmans. Cette jeune femme apparaît comme une preuve : celle qu'il n'y a pas de fatalité aux logiques claniques, aux opportunismes (et que je m'empare de la cause qui me mettra en lumière et ne me vaudra aucun problème...) et à tout ce qui vient en permanence faire douter de la possibilité de rencontrer un sentiment d'humanité non frelaté.
J'exagère certes : il n'y a pas que "Greta". Il y a d'autres individus, j'en connais certains, mais il y a tant de déceptions. Tant de théâtre. Tant de lâcheté et tant de compromissions, pour ne même pas parler, entre autres, de ceux qui dans l'affaire de Gaza s'emploient à la fois à se tenir au plus près d'un État criminel et à revendiquer pour eux l'humanisme contre leurs adversaires justement révulsés que l'on puisse viser des gosses au visage et à la poitrine.
Mais donc, "Greta". Qui ne vaut pas mieux sans doute - ni moins - que d'autres jeunes femmes tout aussi engagées et courageuses, prises dans des contextes qui peuvent être plus difficiles mais ne bénéficient pas de la même lumière. Thunberg serait la première à dénoncer le racisme - et il faut le dénoncer ce racisme, pas seulement celui des racistes les plus spectaculaires et extravagants, parce que celui-là c'est facile, mais ce racisme qui veut que certain.e.s paraissent à peine réel.le.s aux yeux des Occidentaux, ces "autres" que ces mêmes Occidentaux ne regardent la plupart du temps que lorsqu'ils viennent renforcer, peu ou prou, leur conviction d'être supérieurs en leur disant, par exemple, "je me sens mieux chez vous" (et ce peut être vrai, bien sûr, tant nous vivons par rapport à la plus grande partie de la planète dans un contexte privilégié, même si en dégradation, et sans jamais minorer les souffrances importantes de nombre de nos compatriotes ; sans oublier, non plus, ce que ce contexte privilégié doit aux rapports de force, aux injustices voulues et programmées, par exemple à cette affreuse Françafrique, honte nationale).
Mais donc, "Greta". Thunberg qui sait rendre hommage aux Birmans presque totalement disparus de notre attention publique. Tels sont ses mots, traduits ici par Info Birmanie, et merci à elle.
[Le] peuple courageux du Myanmar qui, depuis près de cinq ans, depuis la tentative de coup d’État brutale de l’armée, s’oppose à la junte avec une résistance inébranlable, une grande dignité et d’immenses sacrifices.
Ce prix [un prix remis au collectif Justice for Myanmar] leur appartient. Il appartient aux jeunes qui défilent dans les rues, déterminés à construire un avenir sans tyrannie.
À ceux qui cherchent encore la justice après des décennies d’oppression. Aux lanceurs d’alerte qui risquent tout pour dire la vérité. À ceux qui ont donné leur vie pour que d’autres puissent vivre libres de la brutalité militaire, et aux innombrables personnes qui continuent de se battre pour une démocratie fédérale fondée sur la paix et la justice pour tous.
Nous nous tenons à leurs côtés.
Depuis la tentative de coup d’État illégale de 2021, l’armée a déclenché une campagne de terreur : massacres, torture, violences sexuelles, frappes aériennes et incendies de villages. Même les enfants ne sont pas épargnés. Ces crimes sont commis par les mêmes responsables du génocide contre les Rohingyas, dans une impunité totale. Pourtant, malgré l’horreur, le courage du peuple ne faiblit pas.
Notre mouvement ne s’oppose pas seulement aux généraux qui commettent ces crimes, mais aussi aux gouvernements, entreprises et banques qui financent et facilitent la violence de la junte — et à l’oppression des peuples du monde entier, de la Palestine à l’Ukraine, du Turkestan oriental au Soudan, avec lesquels nous sommes solidaires.
Le Right Livelihood Award confirme que la lutte du Myanmar s’inscrit dans un combat mondial pour la justice et la dignité humaine. Pour démanteler le cartel militaire, nous avons besoin de solidarité et d’action.
En décembre, la junte organisera de fausses élections.
Nous appelons les gouvernements à rejeter cette mascarade et à stopper les flux d’argent, d’armes, d’équipements et de carburant aéronautique qui alimentent la terreur.
Nous appelons les entreprises et les investisseurs : retirez votre argent de l’armée et de ses alliés. Mettez fin à cette complicité. Ne financez pas les atrocités.
[...] un message clair à la junte et à ses soutiens : le monde regarde. La révolution du peuple du Myanmar triomphera.
Frédéric Debomy