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Billet de blog 6 mai 2024

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Quand France Inter se préoccupe de la dignité de Netanyahou

L'humoriste Guillaume Meurice a été suspendu de France Inter pour une plaisanterie sur Benjamin Netanyahou. La dignité d'un homme déjà responsable de la mort de plus de 35 000 Palestiniens doit-elle être la préoccupation d'une radio publique ?

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Benjamin Netanyahou, une "sorte de nazi, mais sans prépuce".

Dans le fond, que disait la blague de l'humoriste de France Inter Guillaume Meurice ? Que le premier ministre israélien était un type affreux - il me semble difficile de ne pas en convenir - et qu'être juif, ou israélien, ne garantissait pas une protection contre l'inhumanité qu'avaient incarné les nazis. Sans doute est-ce ce qui a choqué certains, qui y ont vu de l'antisémitisme. Je ne crois pas, pour ma part, qu'il y ait à attendre des juifs, ou des Israéliens, qu'ils soient d'une plus grande ou d'une moins grande humanité que le reste des hommes : il y a à les considérer comme des humains semblables aux autres humains, donc capables du meilleur comme du pire, et point barre. Refuser l'antisémitisme, c'est notamment refuser l'essentialisme. Dans la mesure où rien dans la plaisanterie de Meurice n'associe les juifs ou les Israéliens au nazisme, il n'y a pas de problème : Meurice ne vise que l'individu Netanyahou, il n'entend pas essentialiser et déprécier une quelconque communauté.

En outre, Meurice ne disait pas réellement que Netanyahou était un nazi : il usait de cette outrance que l'on est en droit d'attendre d'un humoriste, dès lors qu'elle n'alimente pas une logique de haine (pour ça, mieux vaut se pencher sur des dessins de Coco : https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/130424/defendre-la-liberte-dexpression-sans-y-sacrifier-lanalyse-dun-dessin)

Enfin, la justice s'est prononcée sur cette plaisanterie de l'humoriste puisqu'une plainte pénale avait été déposée contre Meurice, qui a été classée sans suite. La direction de France Inter fait donc du zèle. Faire taire les voix critiques (on se rappelle d'autres évictions, sous d'autres directions), est-ce une spécialité de cette radio ?

La direction actuelle de France Inter n'a-t-elle vraiment rien de mieux à faire que de se préoccuper de la dignité de Benjamin Netanyahou, premier responsable de l'assassinat de plus de 35 000 Palestiniens ?

La dignité, hier, avait le visage d'un humoriste, Djamil Le Shlag, qui annonçait en direct quitter France Inter suite à la suspension de son collègue.

Ressurgissent dès lors des propos de la directrice de la radio, Adèle Van Reeth : "France Inter est une radio progressiste et elle l'assume".

J'ai bien peur que le mot "progressisme" ne soit aussi malmené que d'autres (humanisme, universalisme, république, laïcité, pour ne citer que les premiers qui me viennent à l'esprit). La direction de France Inter souhaite visiblement accompagner le glissement autoritaire auquel nous avons droit depuis un moment, révélant au passage combien la concorde autour de l'attachement à la liberté d'expression à laquelle nous assistons depuis l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo n'était qu'une plaisanterie (pas drôle celle-là) : nombre de ceux qui avaient en janvier 2015 le cœur sur la main n'ont jamais été prêts à tolérer le moindre propos véritablement progressiste et aujourd'hui leurs coutures craquent. Il est grandement ironique que ce soit sur une radio réputée de gauche (voir à ce propos l'article du Monde diplomatique sur France Inter) que l'arbitrage entre la dignité de Benjamin Netanyaou et celle de Guillaume Meurice se fasse au détriment de ce dernier.

La démocratie, il faut y insister, n'est pas mise en péril que par l'extrême-droite : on ne saurait minorer combien l'inconséquence de gens qui se paient de mots favorise le glissement autoritaire auquel nous assistons.

Alors citons de nouveau Adèle Van Reeth, qui déclarait en février 2023 : "C’est vraiment une soupape formidable d’avoir des humoristes qui sont irrévérencieux, qui n’ont aucune notion du respect, du sacré. Ça fait un bien fou."

Cela aussi devait être une plaisanterie.

Frédéric Debomy

P.S. S'agissant de la direction de France Inter, un épisode à ne pas oublier non plus, preuve que ce qui arrive à Guillaume Meurice n'est pas un accident : https://www.huffingtonpost.fr/medias/article/affaire-nassira-el-moaddem-le-communique-de-france-inter-sur-le-racisme-modifie-a-deux-reprises-et-ce-n-est-pas-anodin_233491.html

Sources des propos de Adèle Van Reeth:

https://www.lefigaro.fr/medias/adele-van-reeth-france-inter-est-une-radio-progressiste-et-elle-l-assume-20240328

https://snjcgt.fr/2024/05/05/soutien-indefectible-a-guillaume-meurice-et-a-charline-vanhoenacker-une-onde-de-choc-qui-doit-etre-entendue/

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