L'historien et ancien ambassadeur d'Israël Élie Barnavi a eu, sur France Inter ce 4 juin 2025, des propos nets : "Si on n'arrête pas Benyamin Nétanhayou", "on se sera rendu coupable d'un crime de guerre et d'un crime contre l'humanité massif".
Contrairement à d'autres personnalités que j'ai eu l'occasion d'évoquer ici - des personnalités éprouvant un inconfort moral face à l'ampleur des crimes commis mais incapables d'aller jusqu'à parler comme Barnavi d'arrêter Nétanyahou - l'ancien ambassadeur n'éprouve pas de difficulté à évoquer "un assaut barbare contre une population civile".
Il évoque en outre la nécessité d'une "pression internationale" pour mettre fin au "problème israélo-palestinien", pas vraiment le genre de propos que l'on entendra chez ceux qui même dans les circonstances actuelles peinent à critiquer la politique israélienne (on a ainsi vu la commentatrice Rachel Khan plaider pour une refonte d'un droit international qui ne serait plus en phase avec la réalité - Benyamin Nétanyahou comme Vladimir Poutine adoreraient).
Mais Barnavi estime cependant qu'"il y a eu une guerre juste [...] deux-trois mois et c'est tout, après il aurait dû [Nétanyahou] l'arrêter."
Or cette histoire de "guerre juste", il faut y revenir, de même que l'idée formulée par Barnavi que cette guerre s'est au terme de ces deux-trois mois "muée en opération purement politique de survie de la coalition de monsieur Nétanyahou et de Nétanyahou lui-même".
La "guerre juste" d'abord. J'ai envie de citer une fois de plus la tribune Frappes sur Gaza : «Vous n’aurez pas le silence des juifs de France», où l'on pouvait lire que l'horreur du "7 octobre", bien réelle, "ne saurait justifier un nettoyage ethnique à Gaza. La poursuite de la guerre et de l’occupation n’amènera ni la paix ni le retour des otages." Les signataires écrivaient :
"En tant que juifs et juives, nous sommes horrifié·es par les violations du droit international que l’Etat d’Israël mène à Gaza en toute impunité et nous refusons que ce massacre ait lieu en notre nom. [...]
Gaza subit une crise humanitaire sans précédent. Suite aux attaques du 7 octobre, faisant 1 400 morts israéliens et au moins 4 600 blessés, Israël a imposé un siège total de la bande de Gaza, une forme de punition collective contraire au droit international. 200 Israélien·nes demeurent pris·es en otages à Gaza, et leur sort importe moins au gouvernement israélien que l’écrasement des Palestinien·nes.
Deux millions de Gazaouis se trouvent privé·es d’eau, de nourriture, et d’électricité. Des organisations de défense des droits humains ont documenté l’utilisation de phosphore blanc. Des hôpitaux, mais aussi des lieux de culte où se réfugient des Gazaouis, ont été bombardés.
A l’heure où nous écrivons, au moins 8 000 Palestinien·nes y ont été tué·es, dont près de 3 000 enfants. La répression à l’égard des Palestinien·nes en Cisjordanie s’est également intensifiée ces deux dernières semaines, avec plus de 100 personnes tué·es par des colons ou l’armée israélienne. Plus de 13 000 Gazaouis ont été blessé·es par les frappes aériennes israéliennes et plus d’un million de personnes déplacées.
Cette violence punitive et ces crimes de guerre ont été annoncés par les officiels du gouvernement israélien par le biais de déclarations déshumanisantes".
Ces "déclarations déshumanisantes" mentionnées dans cette tribune publiée dans Libération le 31 octobre 2023 ont retenu l'attention de l'Afrique du sud qui le 29 décembre 2023 déposait une plainte contre Israël pour génocide devant la Cour internationale de justice : voilà où nous en étions pendant les "deux-trois mois" où, selon Barnavi, aurait eu lieu une "guerre juste" qui n'aurait pas encore "mué". L'ex-ambassadeur n'a sans doute, comme il l'affirme (toujours ce 4 juin 2025 sur France Inter), "absolument rien [en] commun" avec Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, il n'en reste pas moins que des personnalités juives françaises avaient su dès octobre 2023 voir et dénoncer "une forme de punition collective contraire au droit international" et même un "massacre".
Affirmer que la réponse israélienne aux attentats du 7 octobre 2023 a "mué" me paraît en outre d'autant plus discutable que ce qui se passe, à lire les spécialistes du dossier israélo-palestinien, s'inscrit dans la droite ligne de ce qu'a toujours voulu Nétanyahou.
Le journaliste Charles Enderlin écrivait ainsi en février 2023 dans Le Monde diplomatique que Nétanyahou avait un "grand projet : instaurer en Israël un nouveau régime fondé sur un nationalisme juif autoritaire, religieux". Il s'agissait pour lui "de faire avancer l’annexion de la Cisjordanie et de poursuivre la neutralisation de l’Autorité palestinienne."
Car Nétanyahou, précise encore Enderlin, est "annexionniste, selon l’idéologie de son père Bension qui refusait tout accord avec les Arabes." Ce qui expliquerait sa politique vis à vis du Hamas : "Afin d’affaiblir l’OLP de Yasser Arafat et diviser les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, les Israéliens ont favorisé dès les années 70 le développement à Gaza de l’organisation d’Ahmed Yassine – devenue le Hamas en 1988 – qui venait de la branche la plus radicale des Frères musulmans, celle de Saïd Qutb, théologien dont les écrits ont inspiré al-Qaïda et Daesh. À son retour au pouvoir, en 2009, Benjamin Netanyahou a poursuivi la stratégie d’Ariel Sharon de favoriser le Hamas au détriment de l’Autorité autonome de Mahmoud Abbas. Dès 2012, il a interdit au département du Mossad chargé de la lutte contre l’argent du terrorisme, de s’attaquer aux énormes finances du Hamas. Cela a permis à ce dernier de construire 500 km de tunnels avec des véritables usines d’armement mais aussi de payer ses combattants 500 à 700$ par mois." Une stratégie "visant à renforcer le Hamas pour rendre impossible la cohabitation de deux états".
Le "7 octobre" dû à ce même Hamas permet aujourd'hui au premier ministre israélien d'aller au bout de sa logique de refus d'un règlement politique permettant la cohabitation de deux états. Les derniers développements de la situation donnent à observer la logique annexionniste qu'évoquait Enderlin plusieurs mois avant les attentats du Hamas.
Il y a donc toutes les raisons de penser que la réponse de Nétanyahou aux attentats du Hamas était dès le départ davantage qu' une "guerre [soi-disant] juste" et même qu'une "opération purement politique de survie de [sa] coalition" et de sa propre survie : la continuité d'une politique visant à rendre impossible l'existence d'un État palestinien.
Frédéric Debomy
P. S. On apprécie à sa juste mesure, dans ce contexte, l'affirmation du CRIF que reconnaître un État palestinien serait desservir la paix :
Comme l'on apprécie, également à leur juste valeur, les prises de position de tous ceux qui, depuis plus d'un an et demi, ont estimé inévitable cette réponse du gouvernement israélien aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023 que les auteurs de la tribune Frappes sur Gaza : «Vous n’aurez pas le silence des juifs de France» ont su très tôt critiquer.
Sources
Charles Enderlin, "Israël, le coup d’État identitaire", Le Monde diplomatique, février 2023.
Entretien du journaliste Pierre Challier avec Charles Enderlin, La Dépêche, 3 juin 2025.