Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

109 Billets

1 Éditions

Billet de blog 9 mai 2024

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Israël-Palestine : ce que disent les ONG de défense des droits humains

L'écart entre les préoccupations des ONG de défense des droits humains (faire pression sur Israël) et les préoccupations de nombreux commentateurs publics (traquer l'antisémite chez à peu près tout opposant à la politique meurtrière de cet État) est frappant.

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On ne comptera pas parmi ceux qui se sont préoccupés des Palestiniens en ce moment tragique les intervenants au débat public qui se contentent, à peu près, d'un "Bien sûr, nous sommes pour les droits des Palestiniens" ou d'un "Bien sûr, nous ne souhaitons pas que les Palestiniens meurent" pour ensuite ne jamais parvenir à formuler une critique digne de ce nom de la politique meurtrière de l'État d'Israël tout en enchaînant par contre volontiers sur la dénonciation de l'antisémitisme supposé d'à peu près tous ceux que le massacre en cours ne laisse pas indifférents (ce qui ne revient pas à dire, même si ces gens vont finir par rendre cette précision inaudible, que l'antisémitisme n'existe pas).

En certains contextes, les positions faussement non-partisanes, prises sous couvert d'humanité mais en se gardant bien d'aller là où l'on n'est pas certain de trouver un consensus malgré l'urgence à dire, sont tout simplement coupables car personne n'oblige la plupart de ces voix qui s'expriment actuellement à se faire entendre : si elles ne sont pas capables, dans un moment d'atrocités, de dire leur refus absolu de ces atrocités et leur condamnation claire des responsables de ces atrocités, la décence voudrait qu'elles se taisent. On ne confondra pas cependant les profils conformistes auxquels je viens de faire allusion avec d'autres profils au parti-pris marqué, ceux de ces derniers qui prennent la peine de dire leur préoccupation des Palestiniens ne la manifestant que...très sobrement.

Loin de ce festival de lâchetés et de compromission, les organisations de défense de droits humains s'expriment sur le dossier en cours. Que disent-elles ?

Erika Guevara-Rosas, directrice générale des recherches, du travail de plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International, d'abord, a évoqué le 7 mai l'offensive israélienne à Rafah, "qui ne fera qu’aggraver les terribles souffrances des Palestinien·ne·s à Gaza." Elle ajoutait :

"Dans un déplacement cruel et inhumain qui illustre déjà l’impact désastreux d’une telle opération sur la population civile, des chars israéliens ont lancé une incursion terrestre côté palestinien du point de passage de Rafah, bloquant un lien vital pour l’aide humanitaire destinée à une population déjà confrontée à la famine et au risque de génocide.

Tous les États doivent faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses opérations terrestres à Rafah et garantisse le libre accès de l’aide humanitaire, conformément à leur obligation de prévenir le génocide, comme l’a rappelé la Cour internationale de justice le 28 mars dernier.

L’armée israélienne doit aussi annuler l’ordre donné aux civil·e·s d’évacuer l’est de Rafah, sauf si elle peut garantir la sécurité de la population, ce qui est fort peu probable vu les attaques militaires intenses qu’Israël mène sans relâche depuis sept mois dans toute la bande de Gaza.

Les « zones sûres » élargies, proposées dans les tracts de l’armée pour réinstaller les civil·e·s, ne remplissent pas les critères standards élémentaires pour vivre en sécurité et avec dignité. Certaines zones à Khan Younis, où les habitants ont reçu l’ordre de se rendre, ont déjà subi une destruction massive du fait des bombardements israéliens, et sont à présent inhabitables. La plupart des habitants qui ont reçu l’ordre – une nouvelle fois – d’« évacuer » ont déjà été déplacés à plusieurs reprises depuis octobre 2023.

Les civil·e·s palestiniens à Gaza sont des êtres humains, pas des pions que l’on peut déplacer sur un échiquier au bon vouloir des autorités israéliennes. L’idée que des civils déplacés puissent être en sécurité quelque part à Gaza s’est plusieurs fois avérée illusoire, l’armée israélienne ayant attaqué des zones qu’elle avait précédemment désignées comme sûres.

En tant que puissance occupante, Israël est tenu d’assurer la sécurité des Palestinien·ne·s dans la bande de Gaza occupée, qui sont protégés au titre du droit international humanitaire, et doit notamment fournir des services et des vivres nécessaires à leur survie. Non seulement Israël ne l’a pas fait, mais il a continué d’entraver la fourniture de ces services à la population civile de Gaza par les agences humanitaires des Nations unies et les organisations internationales d’aide depuis 2007.

En l’absence de garanties quant à la sécurité des habitants et à leur retour en toute sécurité chez eux, notamment au nord de Wadi Gaza, comme le prévoit le droit international humanitaire, les ordres d’évacuation répétés sont illégaux au regard du droit international et peuvent constituer un transfert forcé. Seul un cessez-le-feu immédiat et durable impliquant toutes les parties pourra mettre fin aux souffrances civiles et rétablir une certaine confiance dans la valeur universelle du droit international."

Voilà pour Amnesty. Ce même 7 mai, Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch (HRW) déclarait : "Bien que des enfants soient en train de mourir de faim à Gaza, les autorités israéliennes continuent de bloquer l’aide essentielle à la survie de la population de Gaza". HRW précisait en outre que "faire obstacle aux services de base et à l’entrée du carburant et de l’aide vitale", c'est-à-dire recourir à la famine des civils, est se rendre coupable de "crimes de guerre".

Des crimes de guerre qui ne sauraient surprendre : "Suite à l’attaque menée par des combattants du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, de hauts responsables israéliens ont fait des déclarations publiques exprimant leur objectif de priver les civils de Gaza de nourriture, d’eau et de carburant – politique concrétisée par les forces israéliennes. D’autres responsables israéliens ont déclaré publiquement que l’aide humanitaire à Gaza serait conditionnée soit à la libération des otages illégalement détenus par le Hamas, soit à la destruction du Hamas." Les civils palestiniens, donc, ne comptent guère.

La FIDH ne saurait en être surprise, qui écrivait déjà le 8 avril que "les Forces d’occupation israéliennes [continuaient] d’exercer un pouvoir assassin, tuant des Palestinien⋅nes en toute impunité." Pour l'ONG, la période actuelle est "la plus dévastatrice et la plus violente vécue par le peuple palestinien depuis la Nakba de 1948. Des deux côtés de la ligne verte, Israël persiste dans sa violation systématique des droits inaliénables du peuple palestinien, se rendant coupable de graves crimes internationaux, parmi eux, les crimes contre l’humanité d’apartheid et de génocide."

On mesure ainsi, à lire des gens doués d'un peu de sérieux, combien les propos lénifiants relatifs aux souffrances actuelles des Palestiniens (éventuellement accompagnés d'une à-peine-critique d'Israël prononcée du bout des lèvres) sont déplacés.

"Tous les États doivent faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses opérations terrestres à Rafah et garantisse le libre accès de l’aide humanitaire, conformément à leur obligation de prévenir le génocide", déclare Erika Guevara-Rosas. Mais plutôt que relayer ce message, des commentateurs publics jugent urgent d'accuser la militante franco-palestinienne Rima Hassan, l'humoriste Guillaume Meurice ou les étudiants mobilisés contre la politique meurtrière d'Israël d'être antisémites.

Ou l'on voit de quelle obscénité sont capables les pseudo-humanistes.

Frédéric Debomy

Sources :

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/05/israel-opt-israeli-military-must-guarantee-civilians-safety-as-ground-operation-gets-underway-in-eastern-rafah/

https://www.hrw.org/fr/news/2024/05/07/gaza-israel-bafoue-les-ordonnances-de-la-cour-internationale-de-justice

https://www.hrw.org/fr/news/2024/05/08/israel-affame-gaza

https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/israel-palestine/le-genocide-et-l-occupation-par-israel-menacent-irremediablement-l

Une précision : l'ordre de citation des ONG mentionnées est arbitraire. Il ne reflète pas une quelconque préférence.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.