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Billet de blog 10 mai 2025

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La « faillite morale » de Delphine Horvilleur : admettre... mais persévérer

Dans un texte publié le 8 mai 2025, Delphine Horvilleur évoque, avec un retard considérable sur nombre de personnalités et d'organisations juives, la "faillite morale" d'Israël. Mais elle persiste aussi à dépeindre ceux qui se sont mobilisés en solidarité avec les Palestiniens comme des antisémites "convaincus d'être du bon côté de l'Histoire."

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Décidément, comment ne pas réagir ? J’avais à peine achevé un rappel partiel des partis pris de Joann Sfar pendant un an et demi d’ « annihilation » des Palestiniens, pour reprendre le terme soudainement employé par Delphine Horvilleur, que je découvrais que ladite Horvilleur, soutenue par lui, dénonçait enfin l’action d’Israël en expliquant que si elle s’était jusque-là « tue » (on y reviendra) c’était la faute des antisémites. Je cite :

« J’ai parfois bâillonné ma parole, pour éviter qu’elle ne nourrisse les immondices de ceux qui me menacent, ceux qui diabolisent et déshumanisent un peuple, et s’imaginent aider ainsi un autre. J’ai censuré mes mots face à ceux qui trouvent des excuses à une déferlante antisémite "ici" au nom d’une justice absente "là‐bas". J’ai entendu dans leur bouche les accords d’une haine ancestrale, la mélodie de ceux qui sont convaincus d’être du bon côté de l’Histoire. »

En somme, Horvilleur ne se contente pas d’ajouter infiniment tardivement sa voix aux voix de tous ceux qui ont le souci des Palestiniens. Non, ceux qui n’ont pas attendu comme elle plus d’un an et demi pour juger l’action d’Israël inhumaine, il faut encore qu’elle les diffame : ils croient être du bon côté de l’histoire mais ne sont mus que par la haine. C’est-à-dire qu’elle continue à faire ce qu’elle a fait pendant un an et demi : renvoyer ceux qui se montraient capables de faire ce qu’elle était incapable de faire à leur supposée propension aux « immondices ».

Et les voix juives qui se sont exprimées bien avant elle, qu’en fait-elle ? Et qu’en font tous ces médias qui rendent compte de la prise de conscience soudaine d’Horvilleur comme s’il s’agissait d’un exploit ? Sans doute bon nombre de ces organes de presse n’aimeraient-ils pas qu’on leur demande pourquoi ils ont tant promu, pendant un an et demi d’ « annihilation », la parole d’une femme dont ils admettent aujourd’hui qu’elle ne disait pas ce qu’il fallait dire. Car si sa parole était auparavant à la hauteur des événements, pourquoi saluer ce changement de cap ?

On lit ainsi dans Libération, sous la plume de Thomas Legrand, qu’Horvilleur (comme d’autres) ose « enfin critiquer publiquement Israël et dénoncer les crimes du gouvernement Nétanyahou. » Il s’agit, ajoute-t-il, « d’un début de prise en compte de la réalité de terrain, du crime de masse en cours à Gaza, des crimes de guerres, des crimes contre l’humanité au moment (avec l’utilisation de la famine) où les critères juridiques qui définissent le génocide sont sérieusement discutés par les juristes internationaux. » Un début de prise en compte, après un an et demi d’horreur, mais il faudrait selon Legrand se montrer clément avec la rabbine « progressiste et humaniste » (sic) qui « va recevoir nombre de messages méchamment ironiques en provenance de l’autre côté : "Trop tard, trop peu". » Il faudrait même « saluer » sa prise de parole.

N’en déplaise à Thomas Legrand, l’affaire est trop grave pour que nombre d’entre nous aient envie d’être « méchamment ironiques » : plus de 52 600 morts, cela m’ôte personnellement toute envie de faire de l’esprit.

Je ne sais pas si la capacité soudaine d’Horvilleur à dénoncer la « faillite morale d’Israël » est liée à la colère des familles des otages du Hamas devant la décision de cet État d’élargir l’offensive dans la bande de Gaza ou si véritablement le sort des Palestiniens compte quelque peu dans ce changement de cap, ou bien si la médiatique Horvilleur se préoccupe simplement de l’image qu’elle risque de laisser à persévérer à parler de « dialogue » et à déplorer toute forme « d’incapacité empathique pour l’autre » et d’enfermement identitaire sans être capable de son côté d’aller au-delà d’un ancrage partisan pour non seulement dire l’évidence de l’horreur (elle avait déjà par exemple regretté « ces enfants morts en Palestine » – Le Monde du 18 février 2024 – mais cela ne mène pas loin) mais aussi désigner les auteurs de l’horreur et ne plus leur trouver d’excuse.

Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de penser qu’une Delphine Horvilleur lisant ma dernière phrase y verra une forme de jouissance antisémite à désigner Israël comme un État coupable : c’est ainsi que raisonnent – ou font semblant de raisonner mais je crois que beaucoup sont sincères – nombre de ceux qui ont commenté l’actualité depuis le 7 octobre 2023, incapables de concevoir que l’on puisse critiquer Israël par solidarité avec les Palestiniens et non par haine des juifs, une haine dissimulée qui serait inséparable de cette solidarité. Si l’on prend le texte publié par Horvilleur sur le site Internet de La Règle du Jeu le 26 septembre 2024, il n’y apparaît pas la possibilité d’une solidarité résolue envers les Palestiniens qui ne soit consciemment ou inconsciemment antisémite. On y lit comme dans ce texte d’il y a deux jours que Thomas Legrand invite à saluer que « c’est très souvent au nom de l’amour du prochain [...] qu’on a détesté le Juif ». Nul doute qu’il existe maints exemples d’épisodes historiques détestables où l’on usa de justifications « vertueuses » : pour ne mentionner que ce qui me vient à l’esprit, le Ku Klux Klan justifia ses pendaisons d’hommes noirs par la nécessité de protéger les femmes blanches des appétits sexuels supposés de ces derniers, les antidreyfusards revendiquaient de protéger la nation, les maccarthystes parlaient de préserver les États-Unis de la subversion communiste et ceux qui en France s’en prirent à des femmes pour les tondre s’imaginaient peut-être être des résistants. Mais il est pervers d’user d’un rappel salutaire – se méfier de la vertu – pour laisser croire que toute critique d’Israël serait motivée par un antisémitisme repeint aux couleurs de cette vertu. Ce que fait Horvilleur dans son texte en n’entretenant pas le lecteur des raisons objectives d’éprouver de la colère envers Israël et en ne proposant pas de distinguer entre solidarité envers les Palestiniens non entachée d’antisémitisme et solidarité envers les Palestiniens aux soubassements douteux. C’est tout simplement d’une profonde malhonnêteté intellectuelle, à moins que cette personnalité en permanence présentée comme douée de qualité de réflexion ne fasse pas là que révéler sa mauvaise foi – ce qui voudrait dire qu’elle croit en ce qu’elle dit et vit donc complètement en-dehors du réel.

Ce qui semble être le cas d’un certain nombre de personnalités s’exprimant sur le dossier israélo-palestinien : la réitération de leurs propos laisse percevoir, outre une part évidente de mauvaise foi et une indifférence (absolue ou du moins marquée) envers le sort des Palestiniens (qui pose la question de leur racisme), une part – importante – de déconnexion du réel.

Peut-être croient-ils vraiment que la colère envers Israël s’explique toujours par la haine. Mais pour cela il faut vraiment ne pas voir ce que vivent les Palestiniens (pas seulement depuis octobre 2023 mais depuis bien longtemps), c’est-à-dire faire preuve d’un manque d’empathie obligeant à opposer à toutes leurs éventuelles prétentions à l’humanisme une fin de non-recevoir.

Il va de soi que ce n’est pas sur de tels profils, visiblement égarés dans un monde parallèle et peu (ou pas) enclins à réviser leurs vues qu’il faut compter pour parvenir à un débat public éclairé.

Tant que Delphine Horvilleur persistera à dépeindre ceux que les bombardements et la famine organisée révulsent comme des gens qui, au mieux, se trompent de combat – ils deviendraient antisémites en croyant faire le bien –, il sera clairement prématuré de saluer son changement de cap.

On ne salit pas ceux qui, avant soi et contre soi, ont su voir et dire l’horreur et s’y opposer.

Frédéric Debomy

Sources des citations

https://tenoua.org/2025/05/08/gaza-israel-aimer-vraiment-son-prochain-ne-plus-se-taire/

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/opinions/gaza-le-reveil-salutaire-danne-sinclair-et-delphine-horvilleur-20250509_FT6IZDA4DNAANFOGTXICVDQWOQ/

https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/delphine-horvilleur-et-kamel-daoud-en-parler-autrement/

https://laregledujeu.org/2024/09/26/40940/un-vent-de-menschitude/

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