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Billet de blog 11 mai 2025

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Fausse ouverture au dialogue et massacre - Horvilleur et Sfar toujours

"Ouvrir des chemins de communication" n'arrêtera pas le massacre. Seule une mobilisation résolue contre Israël le permettra, encore faut-il la désirer.

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Il est une forme de discussion, la seule souhaitable, où l'on a le souci de la mesure, où l'on sait se retenir de parler afin que l'autre puisse déployer sa réflexion, où l'on a accepté comme préalable à l'échange que l'on ferait droit à la nuance et à la complexité. En somme, tout sauf une discussion de cow-boys et c'est de prime abord une discussion de cow-boys qu'une personnalité comme Delphine Horvilleur semble refuser :

"Je suis [...] en colère [...] parce que je vois autour de moi beaucoup de gens qui racontent ce drame du Proche-Orient comme si c'était un western, comme s'il y avait des cow-boys et des Indiens, et des gentils et des méchants et des forts et des faibles" (émission En société du 24 mars 2024 sur France 5).

Mais voilà : que tout manichéisme soit à proscrire est une chose, mais cela n'entraîne pas que l'établissement de fausses symétries soit le contraire du manichéisme. Car il y a bien dans ce dossier "des forts et des faibles" et nul doute que si quelqu'un, de l'Israélien ou du Palestinien, devait tenir dans cette affaire le rôle de l'Indien ce serait d'abord au Palestinien que l'on penserait.

Car il y a une caricature de la discussion nuancée et éclairée : c'est la conversation bourgeoise. Celle où l'on se garde certes de parler fort et de couper la parole à l'interlocuteur mais où peut cependant sourdre la violence : la violence de ce qui est dit sans être crié (une horreur qui passe) comme celle surtout de ce qui est tu.

La règle implicite de cette forme de discussion c'est que des choses resteront sous le tapis, et l'on jugera inconvenant l'oubli de cette règle.

C'est, me semble-t-il, la forme de discussion à laquelle Delphine Horvilleur nous appelle lorsqu'elle parle de dialogue ou de conversation : le 30 janvier 2023, invitée de l'émission télévisée C Ce Soir, elle reprochait à Rima Hassan d'utiliser le mot "apartheid" pour qualifier le régime d'oppression et de domination imposé aux Palestiniens par Israël dans toutes les zones sous son contrôle. Son argument était qu'il fallait éviter "d'utiliser des mots qui nous enferment un peu plus", en somme des mots qui fâchent. L'argument de Rima Hassan était le droit (d'autres juristes qu'elle-même estimant le mot approprié), celui d'Horvilleur la volonté "d'ouvrir des chemins de communication".

Discuter sans heurter était donc plus important qu'une analyse précise de la situation.

C'est peut-être, pour Delphine Horvilleur, cela être subtil, humain et mesuré : en rester à la discussion bourgeoise, éviter les mots qui fâchent.

Mais qui fâchent qui ? Un Palestinien risquerait-il d'être heurté par une description précise des contraintes imposées à son quotidien ?

Où l'on voit comment l'on peut dissimuler son refus d'écouter et de donner à entendre - Horvilleur a exprimé plusieurs fois son peu d'envie que l'on parle d'apartheid - sous les formes trompeuses de la discussion respectueuse et ouverte.

Or Delphine Horvilleur et Joann Sfar se désolent beaucoup que sur la situation au Proche-Orient le fil des discussions soit rompu. Ils y reviennent fréquemment. À croire qu'il s'agirait là du problème le plus urgent.

Nul doute, certes, qu'il faudra discuter : je ne fais pas ici l'apologie de la force contre la diplomatie, pas plus que je ne suis amateur des logiques de camp. Mais, à l'évidence, une discussion où il ne faudrait pas dire les choses ne risquerait pas de nous mener bien loin. La manière de discuter qu'affectionnent Sfar et Horvilleur, on a eu largement le temps de l'observer, consiste à définir seuls le périmètre de la discussion acceptable (on ne parlera pas d'apartheid, on ne parlera pas de génocide...) - c'est donc une escroquerie.

Nous avons là, il me semble, des amateurs de faux-semblant. Sfar, par exemple, manifeste fréquemment son regret qu'on n'écoute pas les voix israéliennes et palestiniennes, les voix de là-bas. Mais est-il, lui, prêt à toujours les écouter ? S'il s'agit de simplement parler de paix, sans rentrer davantage dans le cœur des choses, je me doute que ça lui conviendra toujours, mais qu'en est-il lorsque des personnalités israéliennes, ici

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/citoyens-israeliens-nous-appelons-a-une-pression-internationale-pour-quisrael-cesse-le-massacre-20241018_A5BW2UKEJBETPMQ5IU74JWKSTU/

appellent "à une pression internationale pour qu'Israël cesse le massacre" ? Je n'ai pas remarqué que Sfar se soit fait le relais de ces voix.

Et j'en viens donc à la nécessité de faire plus que discuter et commenter, c'est-à-dire à la nécessité de soutenir les appels à des mesures concrètes : s'il est certain qu'il faudra en revenir, au Proche-Orient, au dialogue, il faudrait être sot ou hypocrite pour ne pas voir que la partie au conflit qui s'emploie aujourd'hui à annihiler une population est actuellement inaccessible audit dialogue. Que ce soit regrettable est certain mais lorsque les choses se présentent ainsi il n'est qu'une chose à faire : établir le rapport de force permettant que le crime cesse.

Or sur ce point Delphine Horvilleur et Joann Sfar, volontiers prodigues de leur sagesse, sont pour le moins peu bavards.

Peut-être pensent-ils que discuter poliment de la situation au Proche-Orient, en prenant bien soin de ne pas utiliser des mots qui pourraient leur déplaire, aura un effet sur la volonté de Benyamin Nétanyahou, de Bezalel Smotrich ou d'Itamar Ben Gvir de poursuivre ou non le massacre ?

Frédéric Debomy

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