Le 31 octobre 2023, un collectif de 85 personnalités juives réclamait dans le journal Libération :
- L’arrêt immédiat des bombardements israéliens et le retrait des forces armées israéliennes de Gaza
- La levée du blocus et du siège de Gaza
- Des négociations pour la libération des otages et des prisonniers politiques
- Des sanctions internationales contre l’État israélien
52 535 morts et 118 491 blessés plus tard (décompte au 4 mai 2025), deux autres personnalités plus médiatiques que n'importe lequel de ces 85 signataires faisaient moins que se rallier à leurs vues : Delphine Horvilleur et Joann Sfar osaient certes enfin refuser l'annihilation d'un peuple ("mon amour de ce pays", Israël, "est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser", écrivait la première, approuvée par le second) mais se montraient toujours incapables, plus d'un an et demi après la tribune de Libération, de formuler la moindre demande de mise sous pression d'Israël.
En cela, ils en restaient l'un et l'autre à leur habitude des vœux pieux. Pour eux tout semble être affaire de parole mais une parole qui ne va pas au fond des choses. Il ne faut pas parler d'apartheid ni de génocide, pas même à titre d'hypothèse (on ne les a pas encore entendu bouger là-dessus), mais de dialogue et de refus des extrêmes : des propos lénifiants, qui ne servent à rien sinon à noyer les responsabilités. Daniel Schneidermann rappelait ci-dessous
https://www.arretsurimages.net/chroniques/obsessions/le-horvilleur-comme-on-le-parle
combien Horvilleur disait en mars 2024 (période à laquelle un nombre conséquent de Gazaouis avaient déjà été massacrés) être "très en colère" contre ceux qui estimaient qu'il y avait dans cette affaire "des forts et des faibles".
Voilà pourquoi il faut se méfier de ceux qui revendiquent d'approcher les choses avec un abord (strictement) humaniste : l'humanisme se passe de contextualisation, il permet de noyer dans un nuage de vertu toute appréhension précise d'une situation, révélatrice des rapports de force à l'œuvre et donc, également, des responsabilités engagées.
Alors, sans honte, on trouvera honteux que certains veuillent voir "des forts et des faibles" au Proche-Orient, surtout, tiens, que le fort, porteur des plus lourdes responsabilités, est précisément celui auquel l'on est attaché. On s'efforcera de nourrir la fiction de la symétrie : si chacun y mettait du sien, ça irait mieux. Ah là là, si les hommes savaient se parler.
La sagesse, ce serait donc d'énoncer ce genre d'inepties tandis que les forts bombardent et affament les faibles. Qu'ils se parlent, bon Dieu !
N'en déplaise à nos humanistes, ce n'est pas seulement ridicule parce qu'évidemment stupide : c'est profondément obscène. Horvilleur, rappelait encore Schneidermann, poussait très loin cette appréhension hors-sol qui n'est possible qu'à ceux qui ne sont pas exposés : "Je ne crois pas que la paix viendra des politiques ni des militaires, ni des historiens. Elle viendra des poètes". Aborder le monde à travers une conversation de salon. On pourrait en rire, à gorge déployée même, si ce n'était si funeste.
Or rien ne nous dit encore que Joann Sfar et Delphine Horvilleur soient aujourd'hui prêts à délaisser leur vain bavardage pour réclamer qu'Israël soit empêché de poursuivre sa politique d'"annihilation d'un autre peuple". Pour l'heure, ils paraissent surtout occupés à justifier leur "rupture de silence extrêmement tardive, ou plutôt [leur] changement de position", comme le dit Rony Brauman qui, ne se contentant pas comme eux de déplorer qu'il y ait du malheur, se mobilisa et fut en conséquence attaqué.
Alors que les faux-semblants cessent pour de bon : nos deux retardataires vont-ils enfin s'engager contre le massacre en réclamant comme l'avaient fait des personnalités israéliennes le 18 octobre 2024 une pression internationale contre Israël ?
Ou ont-ils pour projet de nous entretenir de leur "humanisme" jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'anéantissement complet de la population palestinienne de Gaza ?
Car comme l'affirment des experts de l'ONU, c'est maintenant et cela fait même un moment que c'est maintenant. Écoutons-les, avec à l'esprit que toute personne disposant comme Delphine Horvilleur et Joann Sfar d'un accès privilégié aux médias peut se faire l'écho efficace de cette alarme (toute la suite du texte est signée de ces experts) :
Les atrocités croissantes à Gaza représentent un tournant moral à prendre d’urgence et les États doivent agir maintenant pour mettre fin à la violence, sans quoi ils seront témoins de l’anéantissement de la population palestinienne de Gaza, une issue qui aurait des conséquences irréversibles pour notre humanité commune et l’ordre multilatéral, ont averti aujourd’hui des experts de l’ONU, qui ont exigé une intervention internationale immédiate.
"Alors que les États débattent de la terminologie (s’agit-il ou non d’un génocide ?), Israël poursuit sa destruction implacable de la vie à Gaza, par des attaques terrestres, aériennes et maritimes, déplaçant et massacrant en toute impunité la population restante", ont déclaré les experts.
"Personne n’est épargné, que ce soient les enfants, les personnes handicapées, les mères allaitantes, les journalistes, les professionnels de la santé, les travailleurs humanitaires ou les otages. Depuis la rupture du cessez-le-feu, Israël a tué des centaines de Palestiniens, souvent quotidiennement, le pire ayant eu lieu le 18 mars 2025, date à laquelle 600 victimes ont été dénombrées en 24 heures, dont 400 enfants."
"Il s’agit de l’une des manifestations les plus ostentatoires et les plus impitoyables de la profanation de la vie et de la dignité humaines", ont affirmé les experts.
Cette agression a transformé Gaza en un paysage de désolation, où près de la moitié des victimes sont des enfants et où des milliers de personnes sont encore déplacées. Le groupe d’experts a recensé plus de 52 535 morts, dont 70 % sont des femmes et des enfants, et 118 491 blessés en date du 4 mai 2025.
Depuis mars 2025, date qui coïncide avec la fin du cessez-le-feu, Israël a rétabli un blocus encore plus strict sur Gaza, enfermant de fait sa population dans la misère, la faim et la maladie. "Sous les bombardements constants, au milieu de logements en ruines, de rues transformées en zones de terreur et d’un paysage dévasté, 2,1 millions de survivants sont confrontés à une crise humanitaire extrêmement grave", ont déclaré les experts. "La nourriture et l’eau sont coupées depuis des mois, provoquant la famine, la déshydratation et des maladies, ce qui entraînera de nouveaux décès qui deviendront la réalité quotidienne pour beaucoup, en particulier les plus vulnérables."
Au milieu de ce carnage, les déclarations israéliennes qui oscillent entre le blocage pur et simple de l’aide et les déblocages dépendant d’autres objectifs stratégiques, témoignent d’une intention claire de faire de la famine une arme de guerre, et de faire régner l’incertitude chez la population face à ses besoins fondamentaux, ce qui augmente le risque de traumatisme et de problèmes de santé mentale, ont-ils averti.
"Non seulement l’acheminement de l’aide humanitaire est l’une des obligations les plus importantes d’Israël en tant que puissance occupante, mais l’épuisement délibéré des produits de première nécessité, la destruction des ressources naturelles et la volonté calculée de conduire Gaza au bord de l’effondrement corroborent sa responsabilité criminelle", ont déclaré les experts.
"Ces actes, outre le fait qu’ils constituent des crimes internationaux graves, s’inscrivent dans des schémas alarmants et avérés de conduite génocidaire."
Les experts ont appelé les États à dépasser la rhétorique et à prendre des mesures concrètes pour mettre fin immédiatement au carnage et faire en sorte que les auteurs de ces actes répondent de leurs actes.
"Le monde entier est attentif. Les États Membres respecteront-ils leurs obligations et interviendront-ils pour mettre fin aux massacres, à la faim, aux maladies et aux autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour en toute impunité ?"
"Les normes internationales ont été établies précisément pour prévenir de telles horreurs. Pourtant, alors que des millions de personnes manifestent dans le monde entier pour la justice et l’humanité, leurs appels sont étouffés. Cette situation envoie un message funeste : les vies palestiniennes sont superflues et le droit international, s’il n’est pas appliqué, ne veut rien dire", ont indiqué les experts.
Ils ont rappelé que le droit des Palestiniens à l’autodétermination est irrévocable. "Les États doivent agir rapidement pour mettre fin au génocide en cours, démanteler l’apartheid et garantir un avenir dans lequel les Palestiniens et les Israéliens coexisteront dans la liberté et la dignité."
"Les mandats d'arrêt de la CIJ contre les dirigeants israéliens pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité nécessitent une action et un respect immédiats. L’avis consultatif de la CIJ impose la fin de l’occupation prolongée et l’Assemblée générale a fixé la date limite au 17 septembre 2025", ont spécifié les experts.
Ils ont par ailleurs averti qu’en continuant à soutenir Israël matériellement ou politiquement, notamment par des transferts d’armes et la fourniture de services militaires et de sécurité privés, les États risquaient de se rendre complices d’un génocide et d’autres crimes internationaux graves.
"Le choix est grave : rester passifs et assister au massacre d’innocents ou participer à l’élaboration d’une résolution juste. La conscience mondiale se réveille. Si elle s’affirme, malgré le gouffre moral dans lequel nous nous enfonçons, la justice finira par triompher", ont-ils déclaré.
Sources
https://tenoua.org/2025/05/08/gaza-israel-aimer-vraiment-son-prochain-ne-plus-se-taire/