Le spectacle est atterrant.
L'équipage du Madleen, particulièrement ses figures les plus connues, aurait agi par narcissisme et non par solidarité envers les Palestiniens. Ou bien par calcul politique : sans crainte du ridicule, Franz-Olivier Giesbert expliquait avant-hier sur Europe 1 que l'initiative de Greta Thunberg, de Rima Hassan et de leurs compagnons de diverses nationalités (une moitié de Français, l'autre pas) serait une manœuvre de La France insoumise visant à "attirer les électeurs islamistes bien sûr mais aussi musulmans". Son intervieweuse ne le reprenait pas, sans doute satisfaite de ce brillant exposé.
Il n'y aurait que Giesbert, ou Christophe Barbier, ça irait encore. Mais non, ce type de commentateurs qui se trouvent du côté du manche ne manquent pas, qui doivent toujours tout ramener à la politique intérieure et à leur difficulté à s'endormir sans penser à Jean-Luc Mélenchon. Ou à cette observation peu originale et peu pertinente selon laquelle il y aurait toujours un loup derrière la capacité de certains à faire preuve d'empathie et à se mobiliser.
Ces commentateurs finalement ne parlent que d'eux-mêmes, de leur incapacité à un peu de hauteur et de retenue. Même la gravité de ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie ne les incite pas à un minimum de modération. On les voit, sans honte, s'en prendre à des activistes en un moment où ces derniers sont encore détenus par Israël. De façon illégale mais qu'importe : ils s'en foutent.
Seule compte pour eux la défense de l'ordre établi : haro donc sur une militante de la gauche et qu'importe son courage. Et qu'importe même comment elle va présentement, ce que nous, individus occupés à autre chose qu'à vomir ceux qui tentent d'améliorer ce monde, l'on aimerait bien savoir. Comment va Rima Hassan, comment vont ses compagnons ?
À les voir en plateau, tous les Giesbert et Barbier de France, ou à les lire, on se demande : sont-ils dupes d'eux-mêmes, avec leurs airs de grand sérieux, ou s'emploient-ils seulement à duper la galerie pour s'assurer une éternelle place au soleil ? Car s'ils ne sont pas dupes de leurs inepties, n'éprouvent-ils jamais de gêne devant leurs grotesques performances?
On s'en fout. Ce qui est pénible, c'est que l'on sait qu'ils continueront. Occupés d'eux-mêmes, ils dénonceront l'autocentrisme supposé des autres. Retors, c'est chez ces mêmes autres, selon le même mécanisme de transfert, qu'ils iront toujours débusquer d'imaginaires manœuvres.
Sans doute n'avons-nous pas, pour la plupart d'entre nous, nos ronds de serviettes à la télévision ou nos espaces à la radio ou dans la presse écrite. Reste que l'on possède pour beaucoup quelque chose d'infiniment plus précieux : on sait que l'empathie non feinte existe et qu'elle peut appeler le courage.
Cela vaut bien le sentiment d'importance illusoire d'une ribambelle de commentateurs qui ne brillent ni sur le plan intellectuel ni sur le plan moral.
Frédéric Debomy
P. S. Un rapport d'une dizaine d'ONG, apprend-t-on alors que je viens de rédiger ce court texte, affirme que la France, malgré ses démentis, livre depuis octobre 2023 "un flux ininterrompu" d'armes à Israël. Cela glace le sang. Mais gageons que nos commentateurs publics trouveront globalement en eux moins de ressources pour exiger la lumière sur ce point que pour s'en prendre aux membres de l'équipage du Madleen qui auraient été, d'après le témoignage de l'un d'entre eux (le médecin français Baptiste André), objets de maltraitance de la part des autorités israéliennes : "Dès [que Greta Thunberg] s'endormait, les services de l'immigration venaient la réveiller", raconte-t-il entre autres choses au micro de France Inter. Or ce n'est pas de cela que Thunberg, occupée d'après nos brillants commentateurs à occasionner sa propre publicité, a parlé lors de ses premiers échanges avec la presse à l'arrivée de son avion : c'est de la situation des Palestiniens ("l'important c'est qu'il y a un génocide en cours à Gaza, une famine provoquée"). La malhonnêteté des bavards de plateaux et des rédacteurs fielleux n'y changera rien : cette jeune femme regarde au bon endroit et agit justement. C'est aux autorités françaises qu'il convient de demander urgemment et fermement des explications : qu'est-il exactement fait en notre nom ?