Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

133 Billets

1 Éditions

Billet de blog 11 octobre 2025

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Deux ans d'horreur, quelques questions dont le commentariat débattra sans doute peu

Deux ans d'horreur à Gaza et tout un monde médiatique occupé aux apparences plutôt qu'à appeler à l'action, quand il ne penchait pas, si souvent, du côté des génocidaires plutôt que du côté de leurs victimes.

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1. Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice avait rendu une décision demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de "génocide". Cette décision, qui reconnaissait clairement le "risque de génocide" à Gaza, impliquait que tous les États parties à la Convention contre le génocide étaient juridiquement tenus de prévenir un potentiel génocide en prenant à cet effet des mesures concrètes et effectives. La France a dérogé à cette obligation, laissant en outre Benyamin Nétanyahou, objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale depuis le 21 novembre 2024, survoler son espace aérien à plusieurs reprises. Elle a donc, outre l'abandon des Palestiniens, pris la lourde responsabilité de mettre en péril le droit international. Quelles en seront les conséquences ?

2. Quel crédit reste-t-il à l'Occident relativement à ses valeurs déclarées après ces deux années et quelles pourront être les conséquences de sa visible duplicité (quand bien même l'Espagne ne fut pas l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France) sur nos vies à tous ?

3. On a vu un grand nombre de médias, du service public aux médias privés, incapables de distinguer guerre et génocide, combats et massacres. Quelle compétence ont ceux qui nous informent (ou nous désinforment), s'ils n'ont, pas plus qu'au moment du génocide des Tutsi du Rwanda, la maîtrise du vocabulaire qu'ils emploient ? Dans quelle mesure cependant n'a-t-on pas assisté de leur part à un choix de ne pas utiliser les mots appropriés ?

4. Que doit-on penser de la propension de ces mêmes médias à choisir pour leurs débats non des intervenants compétents à même de dire les choses telles qu'elles sont mais plutôt des personnalités adeptes de la fausse mesure ? Que cette tendance puisse être maintenue même lorsque des dizaines de milliers de personnes sont massacrées n'a-t-il pas quelque chose d'alarmant ? Et n'est-il pas plus alarmant encore que certains des profils invités à s'exprimer et présentés comme mesurés aient été des personnalités plus promptes à critiquer les opposants résolus au génocide que l'État commettant ce génocide ?

5. Quel impact aura sur la nécessaire lutte contre l'antisémitisme la promotion dans le débat public de voix et organisations amalgamant critique politique d'Israël et antisémitisme au détriment de voix juives engagées contre le génocide ?

6. Quelles leçons tirer de la réduction raciste et mensongère, par nombre de commentateurs publics dont des responsables politiques, d'une militante franco-palestinienne engagée contre le génocide à une personnalité obscurantiste, présentée maintes et maintes fois sans la moindre démonstration sérieuse ou administration de preuve comme partageant les vues du Hamas ?

7. Quelle confiance peut-on avoir en la justice française dès lors qu'une répression judiciaire s'est abattue non sur des personnalités promptes à défendre les actions d'un État génocidaire et à les justifier mais sur des personnes soucieuses du respect des droits humains et du droit international ?

8. De quelle moralité peut se réclamer un État qui se montre réticent et même hostile à protéger ses ressortissants engagés contre le blocus illégal d'un territoire par un État déjà responsable de l'assassinat de dizaines de milliers de civils sur ce même territoire ?

Quelques premières questions donc, dont il n'est évidemment pas certain que notre espace politico-médiatique dominant (il ne s'agit pas de mettre l'ensemble du monde politique ou de nos médias dans le même sac) s'en empare sérieusement.

À la fin du mois d'octobre 2023, un collectif de 85 personnalités juives dénonçait dans la tribune Frappes sur Gaza : "Vous n’aurez pas le silence des juifs de France" "les violations du droit international que l’État d’Israël mène à Gaza en toute impunité". Certes, il y avait eu les "crimes de guerre du Hamas" en Israël mais cela ne pouvait justifier la "violence punitive" et les "crimes de guerre" auxquels l'on assistait désormais. En cette même fin octobre 2023, nous rappelle Acrimed, Delphine Horvilleur évoquait une "guerre contre le Hamas" qu'elle jugeait "légitime" et c'est cette même Delphine Horvilleur qui est encore jugée légitime pour commenter l'actualité du Proche-Orient, du fait en particulier qu'elle fit publiquement part de son inconfort moral devant l'"annihilation" des Palestiniens... en mai 2025, sans demander pour autant qu'Israël soit sanctionné et alors que des dizaines de milliers de Gazaouis avaient déjà été tués. Sans revenir, non plus, sur ce que furent ses déclarations pendant un an et demi de génocide, révélatrices d'un ancrage partisan nullement à l'avantage des Palestiniens. Comme s'il suffisait de ne pas s'exprimer comme Enrico Macias affirmant que "Nétanyahou se défend contre les Palestiniens c'est tout" ou Julien Dray s'employant à nier "la fameuse famine à Gaza" pour que tout aille bien.

Pour tout un monde médiatique que ne caractérise pas le courage, quand il ne s'agit que de ça, et qui semble même avoir souvent beaucoup de mal avec l'idée que toutes les vies humaines se valent, la civilisation est visiblement affaire d'apparence. Elle se présente sous la forme d'une discussion de salon où l'on écoute Horvilleur se désoler que les gens ne s'écoutent plus plutôt qu'elle ne s'exprime par la volonté de voir un État monstrueusement meurtrier empêché de poursuivre son action. La conversation bourgeoise plutôt que l'action face au pire.

Une forme de barbarie feutrée.

Frédéric Debomy

Sources :

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/frappes-sur-gaza-vous-naurez-pas-le-silence-des-juifs-de-france-20231031_LJEAHTHDXNFPHJGGTG6NRHDHII/

https://www.acrimed.org/Les-resistants-de-la-25e-heure-au-chevet-de-l-ame

Sources des citations d'Enrico Macias et de Julien Dray : RTL le 15 septembre 2025 et CNews le 10 août 2025.

P. S. Horvilleur, le 7 octobre 2025 : "Il y a quelques jours, lors de Yom Kippour dans ma synagogue, j'ai invité une Israélienne et une Palestinienne, une Arabe israélienne, pour réciter ensemble une prière en hébreu et en arabe, pour les mères et pour la paix des enfants. Je ne vois rien de plus important, de plus sacré et de plus urgent à faire aujourd'hui." Pas même d'inciter la part de communauté juive qui l'écoute à réclamer publiquement que des mesures soient prises par l'État français contre ceux qui tuent lesdits enfants ou à profiter plus largement de son accès au journal télévisé de France 2 pour porter le même message. Que les enfants palestiniens assassinés soient contents, ils auront eu droit à une prière. L'indécence n'a parfois pas de limite.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.