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Billet de blog 12 mai 2024

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Malgré les instrumentalisations, ne pas minorer la réalité de l'antisémitisme

Ne jamais tolérer que l'on déduise de l'appartenance d'un individu à un groupe son degré supposé d'infâmie, si ce groupe n'est pas un groupe politique.

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On peut en avoir assez, bien sûr, de voir certains vouloir mettre la souffrance juive au cœur des débats lorsque ce sont des Palestiniens qui sont massacrés. On peut ne plus supporter les accusations d'antisémitisme à tout va, surtout lorsqu'elles ont pour objectif de délégitimer toute critique de la politique d'un État meurtrier. On peut déplorer la décontextualisation de ce qui se passe à laquelle on assiste par endroits, comme si le massacre de civils israéliens par le Hamas le 7 octobre 2023 n'avait d'autre explication que la barbarie humaine et la permanence de l'antisémitisme. On peut estimer sortis de l'humanité les commentateurs publics qui au diapason d'un gouvernement criminel, celui de Benjamin Netanyahou, s'en prennent à tout individu ou organisation qui manifeste son souci des civils palestiniens, jusqu'à l'agence des Nations unies la mieux à même de porter assistance à ces derniers en un moment tragique.

Je fais ainsi partie de ceux que révulsent notamment ces pseudo-voix de la paix qui s'emploient à qualifier de haineux tous ceux qui critiquent l'action meurtrière d'Israël mais se gardent bien de dire quoi que ce soit des dispositions haineuses d'un autre camp, pourtant marquées.

Cela m'agace aussi que l'on tente maintenant de disqualifier les étudiants que le sort des Palestiniens ne laisse pas indifférents en leur faisant remarquer qu'on les entend moins ou pas sur d'autres causes. Oui, moi aussi cela me déplaît que les Ouïghours ne soient pas l'objet de plus de solidarité mais enfin ce qu'il faut éventuellement dire aux étudiants c'est "faites-en plus, élargissez" et non pas "faites-en moins". Se servir des Ouïghours pour délégitimer la mobilisation envers les Palestiniens, c'est dégueulasse.

En bref, l'on assiste à de "belles" démonstrations d'inhumanité et l'obscénité atteint des sommets quand cette inhumanité se présente, chez certains, sous les dehors de l'humanité : on prétend avoir le souci de chacun mais on ne manifeste véritablement que le souci de certains et l'on cache cette disposition partisane sous une revendication d'humanisme.

Mais.

Mais il n'y a pas à considérer sans importance le fait que des juifs, aujourd'hui, en France, puissent avoir peur.

Certes, je fais partie de ceux qui jugent insupportable que dans notre espace politique et médiatique les données qui rendent compte de l'hostilité envers les musulmans soient toujours mises en question et ceux qui les rapportent combattus, comme si le scandale n'était pas cette islamophobie si prégnante qu'elle pousse des musulmans français à s'exiler mais le fait d'en rendre compte. Et j'observe, comme d'autres, que l'hostilité envers les juifs bénéficie dans ce même espace d'un traitement différent. À cela, il n'est qu'une chose à répondre : que l'hostilité envers les uns et les autres est également scandaleuse. On a vu de sinistres personnages dénoncer un "deux poids deux mesures" pour justifier la haine des juifs : ce sont des personnages parfaitement infréquentables, que je ne souhaite même pas nommer tant je suis heureux qu'on les entende moins. Ils me révulsent.

Qu'ils existent nous rappelle cependant que l'antisémitisme n'est pas, malgré la longue histoire de la persécution des juifs et cette monstruosité absolue que fut la Shoah, une chose du passé. C'est pourquoi il faut entendre, il me semble, l'inquiétude d'une partie des juifs de France (tous ne la manifestent pas) même lorsqu'elle est infondée : si certains interprètent certaines manifestations de solidarité envers les Palestiniens comme une agression même lorsqu'aucun propos antisémite ne s'y fait jour, ce n'est sans doute pas par simple mauvaise foi mais en raison d'une angoisse profonde que les horreurs du 7 octobre 2023 ont fait remonter. Cette angoisse ne surgit pas du néant mais de l'histoire : il faut l'entendre si l'on souhaite un dépassement de la logique des camps qui permette que chacun puisse, en France, se sentir bien.

En outre, et il faut le souligner, la crainte de juifs de France de se trouver confrontés à l'antisémitisme n'est pas le seul fruit d'inquiétudes liées à l'histoire : elle trouve également ses racines dans le présent. Ainsi ces personnes ne fantasment-elles pas une judéophobie qui n'existerait que dans leurs esprits : les données à disposition montrent que depuis le 7 octobre 2023, les propos et les actes antisémites ont connu une forte hausse et c'est insupportable.

Alors disons-le simplement : tout individu solidaire des Palestiniens qui juge la haine des juifs justifiée ou acceptable est une ordure. Certes, c'est, ou ça devrait être, une évidence mais cela va toujours mieux en le disant. La chercheuse Nonna Mayer a relevé il y a déjà des années la corrélation entre hausse des actes et propos antisémites et évolutions du conflit israélo-palestinien. On ne peut pas à la fois tenir l'ensemble des juifs comptables de ce que fait Israël et reprocher à des et non les juifs de se montrer solidaires de cet État aujourd'hui criminel. Les juifs sont des individus et ils ne doivent être critiqués, si la critique est légitime, qu'en tant qu'individus et non en raison de leur appartenance à un groupe. Comme tout le monde. Ils n'ont en outre pas à être insultés et encore moins agressés. Comme chacun. Ceux qui ne le comprennent pas et justifient d'inqualifiables débordements par des indignations qui peuvent être par ailleurs légitimes s'ôtent à mes yeux tout droit à l'indignation.

Mais le présent oblige à apporter simultanément d'autres précisions : 

Accuser injustement d'antisémitisme des gens qui se mobilisent contre un massacre, quand ils ne sont coupables d'aucun préjugé anti-juif, est à la fois peu moral et dangereux dans la mesure où l'on risque d'interpréter la blague israélienne rapportée par l'historien Shlomo Sand, qui veut qu'un antisémite ne soit plus quelqu'un qui n'aime pas les juifs mais quelqu'un que les juifs n'aiment pas, comme une parfaite réalité. Or la plaisanterie appelle correction, d'abord parce que tous les juifs ne manifestent pas cette propension à lancer d'injustes accusations d'antisémitisme mais aussi parce que l'antisémitisme, encore une fois, n'est pas une réalité du passé. On combattra d'autant mieux ce fléau qu'on sera rigoureux dans nos indignations. Cela ne vaut pas que pour les juifs mais aussi pour tous les non-juifs qui prennent part au débat.

Tolérer la réduction raciste de la militante franco-palestinienne Rima Hassan à une figure de l'infâmie n'est pas acceptable si l'on ne tolère pas l'antisémitisme. L'essentialisme dépréciatif au cœur de tous les racismes ne peut en effet être toléré pour personne. Ainsi, tant qu' Hassan maintient son cap de ne jamais glisser de la critique politique à l'assignation identitaire (et je n'ai pas à soupçonner à ce stade qu'elle ne le maintienne pas), cessons d'interpréter ses propos dans le sens d'une réduction Rima Hassan = Palestinienne = antisémite et pro-Hamas. Je ne vois vraiment pas comment l'on pourrait être qualifié pour dénoncer l'antisémitisme si l'on se permet de déduire ce que Rima Hassan pense non pas de ce qu'elle dit mais de son appartenance à un groupe - les Palestiniens - dont les caractéristiques seraient entièrement négatives, et ce qui plus est à un moment où ledit groupe est victime d'un massacre.

En bref, à chacun d'être conséquent. 

Frédéric Debomy

P.S. Rima Hassan : "Je ne confonds pas Israël avec les juifs. Et je ne confonds pas les Israéliens avec le gouvernement israélien." https://www.politis.fr/articles/2024/04/rima-hassan-le-gouvernement-israelien-ne-veut-pas-la-paix/

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