"Nous, socialistes et ami·e·s d’Israël, sonnons l’alarme : un Parti socialiste qui ne soutient pas clairement Israël se trahit". Pour ces militants socialistes regroupés en un "Cercle socialiste des ami·e·s d’Israël", appeler à un cessez-le-feu revenait à proposer de reproduire "la même erreur que furent les Accords de Munich". Il était "évident pour chaque Français et chaque Israélien qui [connaissait] son histoire" que "soutenir Israël" - c'est-à-dire, à la date où ce texte était écrit, la politique génocidaire du gouvernement de Benyamin Nétanyahou - était la condition "de la survie du monde démocratique". Car s'il était "normal de ressentir de l’émotion face au drame des Gazaouis, la guerre étant toujours à éviter", il n'était pas question pour "les Amis d'Israël" de "[remettre] en cause [leur] soutien à Israël dans sa guerre contre le Hamas. Une organisation terroriste ne [devait] pas pouvoir compter sur la pression de la communauté internationale pour survivre à une guerre qu’elle [avait] commencée."
En somme, les auteurs et signataires de ce texte étaient conscients des souffrances infligées aux civils gazaouis mais estimaient que cela devait être considéré comme secondaire tant que le Hamas ne serait pas vaincu. Nous étions le 4 mai 2025, c'est-à-dire en un moment où des dizaines de milliers de Gazaouis avaient déjà péri, l'écrasante majorité d'entre eux non parce qu'ils étaient des combattants mais parce qu'ils étaient visés en tant que civils.
Ce texte immonde ne s'arrêtait pas là, versant dans la propagande la plus décomplexée : "Nous, les Amis d’Israël, connaissons les mesures absolument uniques qu’Israël met en place pour limiter les pertes civiles et alléger la souffrance des populations. Israël utilise des bombes ultra-précises capables de frapper un seul étage, émet des avertissements avant certaines attaques et permet aux civils d’évacuer les zones de combat. Ces trois exemples, parmi tant d’autres, vont bien au-delà des exigences du droit international. Israël a des règles d’engagement structurées, et les risques de pertes civiles doivent toujours être proportionnels aux objectifs militaires, comme requis par les Conventions de Genève. Malgré des précautions qu’aucune autre armée au monde ne prend, une guerre reste une horreur pour la population civile, surtout contre une organisation terroriste comme le Hamas qui utilise les civils comme un bouclier. Malgré toutes les précautions d’Israël, depuis le 8 octobre, la direction du Parti socialiste n’a cessé de critiquer Israël, comme si l’acte même de se défendre leur était intolérable."
"Se défendre" donnait donc un droit au massacre - aucun des signataires de ce texte ne pouvait ignorer à cette date que les civils tués n'étaient pas de simples victimes collatérales d'une guerre ne visant que le Hamas - et les données statistiques des renseignements militaires de l'armée israélienne, révélées depuis ce texte des "Amis d'Israël", ont amené cette précision : au moins 83% des Gazaouis tués étaient des civils. Parmi lesquels, on ne le rappellera jamais assez, des enfants visés à la tête ou à la poitrine par cette armée qui d'après ces membres du parti socialiste mettait en place des "mesures absolument uniques", allant "bien au-delà des exigences du droit international", pour "limiter les pertes civiles et alléger la souffrance des populations".
Soyons clairs : aucun des rédacteurs et signataires de ce texte ne peut ignorer, au moment où ce texte paraît, qu'il ment. Trop d'éléments sont sur la table - c'est aisément vérifiable - pour qu'il puisse s'agir d'une erreur d'appréciation de la situation. Il est possible en revanche que l'on ait eu à faire à un refus de la réalité. Mais cela ne saurait constituer une excuse tandis que, chaque jour, des civils étaient visés et tués non parce qu'ils avaient agressé de l'une ou l'autre manière le pays voisin mais simplement parce qu'ils étaient Gazaouis et Palestiniens.
La négation du crime était alors devenue si peu soutenable que trois jours après la publication de ce texte Delphine Horvilleur, qui avait jusque-là estimé "légitime" la réaction du gouvernement israélien aux crimes du "7 octobre", évoquait dans un texte appelant commentaires (voir - entre autres - certains de mes billets précédents) "l’annihilation" en cours des Palestiniens, comprenant que "sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en [aurait] aucun pour le peuple israélien" (Tenoua, le 7 mai 2025).
Cette entreprise de désinformation n'est donc pas pardonnable. Elle n'est pas davantage isolée : pendant deux ans (deux ans à supposer que l'horreur s'arrête là et sans oublier le sort des Palestiniens encore détenus par Israël), beaucoup d'intervenants au débat public se sont compromis par des prises de position qui, dans un monde caractérisé par plus qu'un vernis humaniste, leur vaudraient d'être jugés infréquentables. Parmi eux des juifs comme des non-juifs : nulle place ici pour les antisémites d'autant que les voix juives critiques de la politique d'Israël ont moins manqué qu'été silenciés par nos "grands" - je préfère "gros" - médias.
Or je ne crois pas un instant qu'un monde médiatique auquel appartiennent ces commentateurs ou qui se reconnaît en eux ait pour projet de cesser de les promouvoir. Je parle d'un monde qui sans être marqué à l'extrême-droite comme CNews ou comprendre, bien évidemment et parmi d'autres, Mediapart, Blast ou Arrêt sur images, se donne à voir comme acquis à des valeurs essentielles et probablement, dans une large mesure au moins, se convainc qu'il y adhère.
À ceux qui s'indignent que les propos d'une Sophia Aram, d'un Raphaël Enthoven, d'un Enrico Macias ou d'une Bérengère Viennot, pour ne citer que ceux-là, n'aient à certains endroits aucune incidence sur la manière de les considérer, ce monde fort audible répondra par l'argument de la liberté d'expression qu'il sait très bien ne pas mobiliser en d'autres occasions. Or on peut, sans remettre en cause ce principe fondamental, estimer qu'un monde véritablement humain se caractériserait par l'absence de volonté de responsables de médias et d'événements culturels de choisir, parmi toutes les voix à potentiellement promouvoir dans le débat public, des voix si indignes.
L'un des signataires de ce texte des "Amis d'Israël", Ariel Weil, s'était indigné, lui, d'une action menée par des ONG à Paris en solidarité avec les Palestiniens. La fontaine des Innocents avait alors été teintée de rouge pour dénoncer la situation à Gaza. Ariel Weil, maire de l'arrondissement, réagissait sur X le 28 mai 2025, très remonté contre Amnesty France : "Nous portons plainte contre vous. Et je propose de supprimer vos subventions publiques puisque vous dégradez des bien publics."
Je me demande très sérieusement comment Ariel Weil peut encore s'estimer en droit de s'indigner de quoi que ce soit - et note que sa virulence envers une ONG de défense des droits humains n'a d'égale que sa complaisance envers un État génocidaire. Le problème est ici que de tels personnages n'appartiennent pas à une marge identifiée comme extrémiste : on parle d'un élu parisien, membre du parti socialiste.
Nous sommes dans un moment où les coutures craquent. Pas seulement sur Gaza mais de partout. La bourgeoisie (soi-disant) humaniste se révèle pour ce qu'elle est : essentiellement préoccupée d'elle-même, peu empathique voire bien pire que cela. Rien de nouveau certes et je ne pense pas faire partie de ceux qui étaient dupes des apparences (on peut être parfois surpris, simplement, par le fait que les choses sont encore pires que ce à quoi l'on s'attendait).
Prompte à fustiger la "violence" ouvrière et non celle du patronat et souvent plus émue de voir un président de la République condamné que de le savoir délinquant, entre bien d'autres choses, cette bourgeoisie qui est tant aux affaires, qui, largement, dirige le pays et nous (dés)informe, vient de nous montrer pendant deux ans que son vernis d'humanité était si fin que l'horreur à laquelle nous avons assisté à Gaza ne la bouleversait pas plus que ça, quand elle ne l'approuvait pas d'une manière plus ou moins assumée.
Ce n'est vraiment pas rien et il faut en tirer les leçons : ce vieux monde doit mourir pour céder la place à un monde où l'humanité n'est pas qu'un vernis.
Cela suppose déjà d'opposer à ces brutes, lorsqu'elles s'indignent d'être renvoyées à leurs propos et d'avoir à en assumer les conséquences, que chez les gens civilisés il y a des mots qui ne passent pas.
Frédéric Debomy
P. S. Dans sa dernière chronique Sophia Aram s'indigne que l'on puisse mettre sur le même plan les "otages" israéliens et les "prisonniers de droit commun" palestiniens. Or les informations sur les conditions d'arrestation et de détention des Palestiniens par Israël lui sont accessibles autant qu'à chacun d'entre nous. Cette façon de présenter les choses est dès lors une expression de mépris envers les souffrances des Palestiniens, délivrée sans vergogne sur un ton joyeux.
P. P. S. du 16 octobre. Dernières nouvelles : Israël continue à tuer, Caroline Fourest à désinformer en déplorant une "défaite du réel" s'agissant des commentaires de ceux qui n'ont pas partagé ses vues sur l'actualité du Proche-Orient ces deux dernières années (sur LCI hier, Donald Trump fustige bien les fake news alors pourquoi pas), la directrice de la rédaction nationale de France Télévisions Nathalie Saint-Cricq, s'associant au CRIF, regrette qu'Israël, qui n'aurait pas fait de propagande au cours des deux dernières années, ait mal communiqué auprès d'un public qui de toute façon ne voulait pas nécessairement le comprendre (un propos énoncé en présence de son "ami" Raphaël Enthoven) et un article de CNN évoque des cadavres de détenus palestiniens aux mains et aux pieds menottés, certains ayant les yeux bandés et présentant des signes de blessures par balle tandis que d'autres auraient été écrasés par des chars, ce qui certainement n'intéressera pas Sophia Aram. Entre autres choses certainement qui auraient mérité de figurer dans ce journal de l'infamie très incomplet que je tiens maintenant par intermittence depuis de très longs mois et qui met à l'honneur à la fois les pseudo-humanistes de type Joann Sfar et les personnages plus nettement partis en vrille, comme Rachel Khan, tous coupables de complaisance envers un État génocidaire.