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Billet de blog 18 avril 2024

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L'Occident aveugle

Certains commentateurs pensent que l'intérêt de l'Occident est de soutenir Israël. Vraiment ?

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Il est des Occidentaux agaçants, toujours occupés à critiquer un Occident auquel ils appartiennent d'une façon qui révèle leur narcissisme : leur auto-détestation est une forme d'auto-adoration car ils ne parlent jamais d'autre chose que d'eux-mêmes. Il en est d'autres, plus bêtes encore, qui pensent peu ou prou qu'Occidental rime avec "camp du bien". Parmi ces benêts, certains vont jusqu'à l'exprimer publiquement. Furetant un peu parmi la pluie de propos aussi révulsants qu'atterrants auxquels l'actualité nous donne droit, je tombe sur des déclarations comme "Israël est la pointe de l'Occident" ou son "rempart", autrement dit sur l'affirmation par certains débatteurs que l'intérêt dudit Occident serait d'accompagner Israël jusqu'au bout de sa folie meurtrière (et je retire le mot "folie" qui pourrait suggérer l'irresponsabilité).

Outre que la question de l'intérêt ne me semble pas ici prioritaire (quid des valeurs ?) et en précisant que je ne me fais pas une idée précise du nombre de débatteurs et de citoyens qui peuvent partager cette idée, je tiens pour spectaculairement aveugle un tel point de vue. Pour le tenir (si du moins on le tient sincèrement), il faut n'être absolument pas décentré. Il est vrai que ce n'est pas rare.

Ne sont pas décentrés d'ailleurs ceux qui pensent que "oui ça ne va pas nous rendre populaires auprès du reste du monde" mais que "c'est quand même nous qui avons raison".

Soyons un peu sérieux. Quand il s'agit de la dictature en Birmanie - et je sais de quoi je parle - il y a des critiques à faire à l'Occident - je ne m'en suis pas privé - mais ce sont les droits de veto chinois et russe qui sont à l'avantage d'un régime atroce.

S'agissant d'Israël, la situation est différente s'agissant des soutiens mais non des atrocités. L'ONU nous informait notamment il y a quelques semaines que le nombre d'enfants tués en un peu plus de quatre mois à Gaza était plus élevé que le nombre d'enfants tués en quatre ans de guerre dans le monde entier. "Nous appelons le monde à ne pas détourner le regard. Il est temps que l'humanité l'emporte", précisait l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).

La prétention des Occidentaux à incarner la moralité du monde n'agace pas de date récente. En 2008 déjà, Jean Ziegler rapportait dans son livre "La Haine de l'Occident" (éditions Albin Michel), l'indignation de Sarala Fernando, l'ambassadrice du Sri Lanka auprès des Nations unies, devant cette arrogance de l'Occident au vu de son passé récent. "Et les Allemands, qu'ont-ils fait il n'y a pas si longtemps ?". Elle ajoutait : "Et les Anglais ? Vous souvenez-vous ce qu'ils ont fait aux tisserands indiens ? Pour détruire l'industrie textile de l'Inde et imposer leur monopole, ils ont coupé les doigts des tisserands, hommes, femmes et enfants... Et chez nous, au Sri Lanka, quand ils sont arrivés, les Anglais ont déclaré [...] terres sans maître [...] des centaines de milliers d'hectares de terres vivrières où travaillaient et vivaient nos paysans. Les paysans ont été chassés. La famine a exterminé des centaines de milliers de villageois. Les Anglais ont établi leurs plantations de thé sur des charniers remplis des cadavres de nos paysans."

On pourrait bien évidemment multiplier les exemples (ceux-là, je ne les connaissais pas) et cela durerait un long moment. Entre autres choses, il n'échappe souvent qu'aux Occidentaux que la Shoah, c'est la seule responsabilité de l'Occident. On vient par ailleurs de reparler du génocide des Tutsi du Rwanda à l'occasion des trente ans de l'événement. Quel pays plus que la France avait alors soutenu ceux qui commettaient ce génocide ?

L'Occident peut aussi être audible pour le mieux. Mais pour cela, il lui faudrait se départir enfin de son arrogance et de son manque de cohérence. On voit se multiplier dernièrement les signes d'une bascule de sa capacité à être entendu, qui n'est pas sans lien avec ses travers. 

Que des commentateurs puissent ne pas voir, dans un tel contexte, que l'intérêt de cette partie du monde n'est certainement pas d'appuyer le carnage d'Israël interroge leurs priorités ou leur lucidité.

Frédéric Debomy 

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