Portrait du colonisé et portrait du colonisateur : je n'ai pas relu ces textes d'Albert Memmi, et cette lecture remonte à loin.
Mais je me suis toujours rappelé d'une observation que j'y trouvais, et qui me parut essentielle : le colonisateur ne se réforme pas car s'il se réforme il disparaît.
L'histoire de l'Algérie (notamment) peut sembler donner raison à cette observation : certains avaient pensé que l'occupant pouvait s'ouvrir. Il a fallu le chasser.
Sans donc confondre une histoire avec une autre, mais en s'autorisant à penser les rapprochements, on peut se demander : y a-t-il la moindre surprise à ce que l'histoire des relations entre Israël et la Palestine aboutisse à l'horreur actuelle ?
La lecture du livre de Monique Chemillier-Gendreau récemment paru chez Textuel, "Rendre impossible un État palestinien", sous-titré "L'objectif d'Israël depuis sa création", dont je veux bien qu'il soit discuté s'il est possible de le discuter sérieusement, n'incite pas à penser que cette histoire aurait pu tourner autrement.
Il me paraît en outre certain que la colonisation décivilise. L'inhumanité totale, et souvent revendiquée, de nombre des défenseurs d'Israël, qu'ils soient israéliens ou simplement très liés à ce pays, me paraît confirmer ce point de vue. Les atermoiements de quelques-uns, que j'ai eu l'occasion d'évoquer ici et qui ne font que se débattre avec leur (peu de) conscience morale, n'y changent pas grand-chose. Contre tout essentialisme, en revanche, il faut souligner qu'il existe en Israël des non-aliénés prenant courageusement les positions que dicte tout semblant de conscience et qu'on aurait tort de croire avec les juifs non-israéliens qui veulent qu'un juif soutienne inconditionnellement Israël que c'est là le cas de tous les juifs du monde (ou, en ce qui nous concerne, de tous les juifs de France). Ce qui se passe est simplement que certains juifs ont décidé de silencier d'autres juifs, n'en déplaise aux antisémites qui voudraient profiter de cette affaire en tordant et amalgamant ce qu'il faut pour servir leurs propres objectifs.
Il y a assurément dans cette affaire des réflexions à mener et des tabous à faire sauter. Il est pour commencer profondément dérangeant que l'on pose le droit à l'existence d'Israël comme un principe sacro-saint alors que c'est le droit à l'existence de la Palestine qui doit être l'exigence première. Israël ne saurait avoir de légitimité en refusant l'existence de la Palestine ou celle d'un État binational ou chacun bénéficierait de droits égaux. Cela ne concerne pas seulement Nétanyahou, Ben-Gvir, Smotrich ou tous les responsables israéliens qui leur ressemblent : cela concerne chaque Israélien, à commencer par tous ceux que le sort de leurs voisins n'a jamais trop dérangé et dont la conscience morale est tellement atrophiée que même lorsqu'on leur parle de génocide elle ne se réveille pas.
Leurs soutiens à l'étranger, juifs ou non (là encore, pas de place aux antisémites et à leur réductionnisme essentialiste et dépréciatif), ne valent évidemment pas mieux qu'eux. Ce sont des salauds, qui ont chez nous accès à bien des micros et qui, ironie sinistre, n'ont cessé de fustiger en toute impunité la supposée barbarie des autres.
Frédéric Debomy
P. S. S'agissant de ceux qui ont voulu très tardivement nous entretenir de leur conscience morale et dont j'ai abondamment parlé lors de billets précédents : quel contraste entre leur manière de bondir parfois pour des choses relevant d'un antisémitisme imaginaire (qui n'annule pas la réalité, par ailleurs, de l'antisémitisme) et leur silence devant les propos d'autres pro-Israéliens jugeant justifié et nécessaire d'exterminer des enfants !