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Billet de blog 22 septembre 2025

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Vingt "personnalités" au diapason d'un exécutif génocidaire

Coïncidence éclairante : le 19 septembre ont paru deux textes relatifs à la reconnaissance d'un État palestinien. Le premier, favorable à cette reconnaissance, émane de militants de la paix israéliens dont des membres de familles de victimes du "7 octobre". Le second, aligné sur la position du gouvernement génocidaire israélien, est signé de vingt "personnalités" françaises.

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L'information figure dans l'article ci-dessous :

https://fr.timesofisrael.com/9-000-israeliens-signent-une-petition-pour-reconnaitre-letat-palestinien-avant-le-sommet-de-lonu/

Zazim, une organisation israélienne réunissant juifs et arabes dans un objectif de droits égaux pour les Israéliens et les Palestiniens, a initié une pétition rendue publique ce 19 septembre. Parmi les signataires figurent des membres de familles de victimes du "7 octobre", tel Yonatan Zeigen, dont la mère a été assassinée dans un kibboutz. Il déclare : "Le 7 octobre prouve que la politique de ‘gestion’ du conflit et de fermeture de tous les autres horizons pour les Palestiniens n’en finit pas de nous exploser à la figure". Il est donc, comme tous les signataires de la pétition, pour la reconnaissance d'un État palestinien : "Nous appelons les pays du monde entiers à reconnaître la Palestine au moment de l’Assemblée générale des Nations Unies", peut-on lire dans la pétition. Car pour les signataires, c'est clair : "Nous devons choisir entre nous ranger aux côtés du reste du monde [la majorité des pays soutient en effet cette reconnaissance] ou du Premier ministre Benjamin Netanyahu [et] du ministre des Finances Bezalel Smotrich".

Le même jour dans Le Figaro, vingt personnalités françaises se réclamant de la paix (Yonathan Arfi, Yvan Attal, Michel Boujenah, Pascal Bruckner, Patrick Desbois, Raphaël Enthoven, Arthur Essebag, Charlotte Gainsbourg, Ariel Goldmann, Simone Harari-Beaulieu, Mona Jafarian, Elie Korchia, Haïm Korsia, Mathieu Laine, Bernard-Henri Lévy, Jean Madar, Alain Minc, Dominique Reynié, Joann Sfar et Philippe Torreton) entendent mettre des conditions à la reconnaissance par l'État français d'un État palestinien.

"Nous devons choisir entre nous ranger aux côtés du reste du monde ou du Premier ministre Benjamin Netanyahu [et] du ministre des Finances Bezalel Smotrich", écrivent donc les signataires de la pétition initiée par Zazim. Car l'exécutif israélien voit en cette initiative une "récompense pour le terrorisme" dont le "seul bénéficiaire" serait - dixit l'ambassadeur d'Israël à l'ONU - "le Hamas". "Lorsque ce sont les terroristes qui applaudissent, vous ne faites pas avancer la paix ; vous faites avancer le terrorisme", expliquait le diplomate une semaine plus tôt.

Les signataires de la pétition parue dans Le Figaro ont semble-t-il pris bonne note des propos de l'ambassadeur israélien. Ils écrivent au président français qu'ils sont mobilisés pour la paix mais que reconnaître aujourd'hui un État palestinien serait "une victoire symbolique pour le Hamas", "une capitulation morale face au terrorisme".

https://www.crif.org/fr/content/monsieur-le-president-vous-ne-pouvez-pas-reconnaitre-un-etat-palestinien-sans-conditions

De la "capitulation morale" d'un État génocidaire, auquel nos "personnalités" françaises semblent emprunter leurs mots, il n'est en revanche pas davantage question que de son terrorisme d'État.

Aligner ses positions sur celles d'un gouvernement n'éprouvant aucun scrupule à faire affamer, bombarder et abattre des enfants et prétendre simultanément "[appeler] de toutes [ses] forces à la paix au Proche-Orient" : nos signataires français méritent au moins le prix de l'audace.

Frédéric Debomy

Post-scriptum du 24 septembre : le texte des vingt "personnalités" françaises est l'expression d'un déni persistant : il s'agit de toujours tout expliquer par l'antisémitisme et de ne voir que ça. Un refus donc du constat lucide de Yonatan Zeigen : le "7 octobre" s'explique par la longue oppression d'un peuple et c'est à cette longue oppression qu'il convient de mettre un terme. Pour des raisons de morale et d'humanité élémentaires mais aussi par intelligence. Nos signataires français veulent, eux, continuer à vivre dans le déni, visiblement incapables de regarder l' histoire israélienne en face, dans sa vérité (et même chose pour son présent, rappelons-nous Joann Sfar affirmant le 10 octobre 2023 dans Télérama que le gouvernement d'extrême-droite israélien ne reflète pas la société israélienne : élu, il la reflète pourtant en partie), et essaient encore de nous entraîner tous dans ce déni. C'est du moins la meilleure des explications et sans doute ne vaut-elle pas pour tous. L'autre explication c'est un alignement lucide (si l'on peut dire) mais qui ne dit pas son nom sur le gouvernement Nétanyahou (avec dénégations) dans l'espoir qu'il parvienne à ses fins. Dans tous les cas ce sont des gens qui font bien peu de cas des Palestiniens, malgré là encore les dénégations. Dans le contexte de l'horreur actuelle leur volonté d'entretenir une forme de réalité parallèle, quelle qu'en soient les ressorts intimes, n'est pas excusable. Un Joann Sfar perpétuellement préoccupé de lui-même peut bien continuer à s'employer à convaincre ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux qu'il est un homme de paix et d'équilibre auquel s'en prendraient les extrémistes de tous bords (un juste en somme), la somme de ses prises de position depuis le mois d'octobre 2023 est accablante (entre autres : "Parler de génocide 24h sur 24, c'est une terreur langagière qui est l'ennemi de la paix, qui empêche la paix", Radio J, le 20 janvier 2025) et le fait qu'il insiste aujourd'hui plus qu'auparavant sur sa distance d'avec Nétanyahou n'y changera pas grand-chose dès lors qu'on l'entend affirmer quand ça l'arrange que nos prises de position et l'action française ne pourront rien changer à la situation sur le terrain ("Quoi qu'on dise ou fasse depuis Paris, ça n'a plus la moindre influence" le 27 avril 2024 sur Instagram, entre de nombreuses autres occurrences dont les dernières sont toutes récentes) tandis qu'il peut à un autre moment signer un texte comme celui dont il est question ci-dessus, parfaitement aligné sur les déclarations du gouvernement massacreur (on le voit aujourd'hui tenter de se prévenir d'un retour de bâton en écrivant qu'il n'est sûr de rien et peut se tromper alors qu'il n'a cessé d'AFFIRMER des contre-vérités, par exemple en laissant entendre qu'il y avait en Israël égalité de droits entre Arabes et Juifs israéliens ou en osant affirmer que Gaza n'était plus depuis 2005 un territoire occupé par Israël, le tout dans un entretien accordé au Soir le 27 avril 2024 : de la pure et simple désinformation). Quant à un Yvan Attal ou un Raphaël Enthoven, pour ne citer que ces deux-là, on ne saurait non plus être surpris de cet alignement tant certaines de leurs déclarations relèvent - il n'y a là nul excès de langage - de la plus parfaite abjection (le choix des individus et organisations avec qui Sfar a choisi de s'associer - ou non - depuis octobre 2023 suffirait d'ailleurs à faire voler en éclats cette image d'humaniste qu'il s'emploie à cultiver, dans laquelle il investit le temps et l'énergie que d'autres - qu'il s'est souvent employé à décrédibiliser ou passe sous silence - consacrent à l'arrêt des massacres). Espérons que notre société bien mal en point évolue de manière suffisamment civilisée pour qu'à un moment plus personne ne souhaite tendre un micro à ces gens. Car enfin quand Sfar affirme qu'on ne peut rien faire c'est qu'il ne souhaite pas que l'on fasse : l'Union européenne est le premier partenaire commercial d'Israël, il y a là un levier (parmi d'autres) que tout Français désireux que les massacres s'arrêtent souhaite voir utilisé. Mon opinion (qui n'a valeur que d'opinion et les ressorts intimes de cet individu sont de toute façon de peu d'importance) est cependant que ce qui anime Sfar n'est pas le désir que les Palestiniens soient tués mais le refus de voir Israël sanctionné. Le résultat est le même, à savoir le sacrifice d'êtres humains. Affirmer qu'un crime ne peut être empêché est à l'avantage des  criminels et non de leurs victimes : c'est choisir un camp. Prétendre avoir le souci des Palestiniens après ça ("je suis pro-israélien et pro-palestinien à la fois", Le Soir du 26 février 2025, entre autres), c'est ajouter l'indécence à la complicité. On ne joue pas décemment sur tous les tableaux lorsque des dizaines de milliers de civils (plus d’enfants tués qu'en quatre ans de guerres dans le monde entier) sont assassinés.

P. P. S. Sur l'affirmation de Sfar (et d'autres) selon laquelle parler de génocide n'aiderait pas à obtenir la paix, il faut d'abord relever l'absurdité d'une telle affirmation (quand un État s'emploie à massacrer des civils l'urgent est de l'arrêter et pas d'éviter de fâcher je ne sais qui en vue de je ne sais quelle discussion qui produirait je ne sais quoi) et ensuite remarquer qu'il est fait ici abstraction des raisons conduisant des juristes et des historiens rigoureux et prudents à recourir à ce terme. Une abstraction coupable. Pour ne pas discuter les arguments précis, sur cette question, d'individus compétents, une parade a été trouvée par les pro-Israéliens consistant à affirmer que l'emploi de ce terme était l'expression d'une volonté de "nazifier" Israël (sans que cette affirmation ne soit accompagnée d'une tentative de démonstration : diffamer plutôt qu'argumenter). Rappelons avec l'historien Vincent Lemire dans l'émission "À l’air libre" de Mediapart du 16 septembre 2025 qu'à Gaza au moins 83% des tués sont des civils selon les données statistiques des renseignements militaires de l'armée israélienne, "un chiffre absolument incomparable avec toutes les guerres récentes" : "le Soudan c'est 23% de morts civils, [...] l'Ukraine c'est 10% de morts civils, [...] l'Afghanistan 8% et même la Syrie [...] 29% de morts civils [...] Ça veut dire que c'est pas des victimes collatérales [...] c'est une guerre contre un peuple". Des précisions à mettre au regard de propos tenus par Raphaël Enthoven, le 31 mai 2024 sur X notamment : "il y a une différence à faire entre les bombardements d’une armée régulière (si tragiques en soient les conséquences) et le massacre de Juifs au hasard des rues par des tueurs fanatiques. Il y a une différence entre faire la guerre et conduire un pogrom. Autrement dit, s’il est monstrueux de faire une différence entre les victimes, il est fondamental de maintenir une différence entre les meurtriers. [...] D’un côté, des monstres qui brûlent des maisons et égorgent des juifs ; de l’autre une armée régulière en guerre, qui prévient les habitants avant de les bombarder. Ce n’est pas la même chose. L’enjeu n’est pas de dire que certaines morts comptent moins que d’autres, mais de maintenir le caractère génocidaire du Hamas, que d’autres voudraient voir comme un interlocuteur dans le cadre de négociations de paix entre belligérants." La fable d'une guerre israélienne visant à vaincre le Hamas et libérer les otages qu'il détient a vécu comme a vécu le mensonge des propagandistes pro-Israéliens selon lequel l'armée israélienne ne visait pas délibérément des civils. Les signataires de l'appel paru le 19 septembre dans Le Figaro font pourtant comme si ce n'était pas le cas.

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