L'interviewer de The Conversation interroge le chercheur Franck Frégosi sur le rapport "choc" (dixit Le Figaro) du gouvernement français sur la menace que ferait planer sur la France "l'entrisme" des Frères musulmans :
"Le rapport souligne que les Frères musulmans sont une confrérie secrète. La démarche de respectabilité ou d’institutionnalisation est soupçonnée d’être une stratégie de dissimulation. Le but final serait toujours d’instaurer un califat."
Réponse du chercheur :
"Les rapporteurs évoquent un projet secret, mais finalement ils n’avancent aucun élément sérieux pour le démontrer. Ils ne font que leur prêter des intentions sans être en mesure de les raccorder à des faits ou à des comportements délictueux. La confrérie secrète des origines est-elle toujours opérationnelle ? En France, l’appartenance à la « mouvance » n’est plus subordonnée à une prestation de serment au guide. Il y a à la fois, d’un côté, le mythe de la confrérie et de son cercle restreint qui tirait les ficelles de l’histoire et, de l’autre, la réalité de terrain. Ce que j’ai pu observer, depuis des décennies, ce sont des acteurs communautaires qui communiquent beaucoup, y compris sur leurs propres désaccords – cela ne ressemble pas aux pratiques d’une confrérie secrète. L’idée d’un double agenda ne tient pas véritablement la route à mon sens."
Nul doute que la mise à l'index permanente des musulmans de France par des politiciens de bas étage et des commentateurs de l'actualité qui ne valent pas mieux, les uns et les autres prétendant toujours ne pas vouloir mettre l'ensemble des musulmans dans le même sac, permet d'évacuer des questions sociales et politiques que ces mêmes politiciens et commentateurs ne souhaitent pas nécessairement voir débattues. Mais il est probable que cette stigmatisation soit également le fruit de préjugés (il faudrait en fait distinguer entre les prises de position pour identifier, ici et là, la part de calcul et la part d'authentique rejet, les deux pouvant très bien être mêlées) : l'islam c'est l'obscurantisme et donc un musulman qui n'apparaît pas comme obscurantiste a forcément un agenda caché qui le fait pratiquer un double langage.
Ce à quoi l'on assiste ces jours-ci est typique de notre débat public dégradé : en somme, d'un côté des chercheurs qui ne jugent pas ce rapport alarmiste d'un grand sérieux et de l'autre des commentateurs aux qualités moins évidentes qui s'en emparent comme d'une preuve que le danger est à nos portes.
Double langage : prétendre ne pas en vouloir aux musulmans en tant que tels tout en cultivant l’idée que le musulman (sinon l’Arabe) est fourbe (barbare et dissimulé).
Agenda caché : prétendre vouloir la cohésion nationale tout en pointant du doigt un supposé ennemi intérieur.
Frédéric Debomy
L'article de The Conversation :