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Billet de blog 25 mai 2025

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Analyse d'une accusation de "cultiver l'antisémitisme"

L'antisémitisme étant un véritable fléau, peut-être certains devraient-ils faire preuve sur le sujet de davantage de rigueur. Raisonner comme Manuel Valls ("expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser") ne mène nulle part.

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"Ma réaction, c'est qu'il faut très rapidement que s'arrête le génocide en cours à Gaza, voilà ce que je veux dire. Parce qu'il est évident qu'à partir du moment où vous avez un tel déchaînement de haine, de violence, ça déchaîne la haine de tous les côtés", déclarait le député insoumis Éric Coquerel (que pour le reste je ne suis pas particulièrement) ce mercredi 21 mai sur RTL. Il commentait là une actualité : l'assassinat de deux employés de l'ambassade d'Israël aux États-Unis par un homme ayant justifié son action par son soutien à la Palestine (il aurait dit, selon un témoin de la scène, "je l’ai fait pour Gaza" et une vidéo le montre s’écrier "Free, free Palestine !"). Cet effet en retour de la situation au Proche-Orient sur deux Israéliens établis aux États-Unis, Coquerel précisait le condamner.

Sur X le 22 mai, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Yonathan Arfi, accusait pourtant Coquerel de "cultiver l'antisémitisme". "Il y a", écrivait-il, "mille manières de cultiver l’antisémitisme. La plus sournoise est sans doute celle employée par Eric Coquerel ce matin : au lieu d'exprimer sa compassion après l'attaque antisémite de Washington, il choisit de trouver une justification [c’est moi qui souligne] à la mort d'innocents par un conflit à des milliers de kilomètres. Non, Eric Coquerel, rien ne justifie l'antisémitisme, pas même votre obsession sur Gaza. Dénoncez l'antisémitisme au lieu de lui trouver des excuses !"

Reprenons.

1) Ce n'est pas Coquerel qui établit un lien entre la situation à Gaza et ce double assassinat : c'est le meurtrier lui-même qui a indiqué avoir agi par solidarité avec la Palestine. Coquerel ne peut donc que constater - comme nous tous - que ce lien existe bien. Partant de là, il "condamne" cet acte.

2) Yonathan Arfi accuse pourtant Coquerel d'avoir "choisi[...] de trouver une justification à la mort d'innocents par un conflit à des milliers de kilomètres." Question : qu'est-ce que Coquerel a choisi puisqu'il se contente de se référer à l'information, en l'occurrence publique, selon laquelle le tueur aurait agi en réaction audit conflit ?

3) Mais ce qu'Arfi dit surtout, c'est que Coquerel a justifié le double assassinat. Or nous avons vu qu’il l'a, en fait, condamné. Où Arfi va-t-il donc chercher cette soi-disant justification ?

Elle n'est en vérité trouvable nulle part à moins de penser avec Manuel Valls qu'"expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser". Mais on a là à faire à de la bêtise ou à de la mauvaise foi : expliquer n'est pas excuser, souhaiter comprendre n'est pas se rendre coupable d'une quelconque complaisance.

Poursuivons avec les commentaires d'un autre représentant du CRIF, Philippe Meyer. Ce dernier juge sur BFMTV la réaction de Coquerel "juste ignoble. Il n'y a pas d'autre mot." 

Seulement, la journaliste de BFMTV semble, elle, apte à, ou désireuse de, distinguer explication et justification : "Sur le fond [...] est-ce qu'il n'a pas tort de dire qu'un tel déchaînement de violence à Gaza ça génère en retour de la violence ?"

Meyer : "C'est terrible de dire ça."

La journaliste : "C'est terrible, mais c'est pas ce qui se passe ?"

Meyer : "Non parce que c'est terrible parce que ça légitime les choses. Ce qui se passe à Gaza ne peut en aucun cas, sous aucune exception, légitimer..."

La journaliste : "Oui mais c'est pas légitimer."

Mais Meyer n'en démord pas, et affirme : "il y a cette petite musique dans les propos d'Éric Coquerel".

La preuve donc que le député insoumis justifie l’assassinat des deux employés d’ambassade serait une "petite musique" que l'on n’entend pas mais dont il faudrait malgré tout supposer qu’elle est jouée.

Pour les représentants du CRIF, l’affaire est entendue : mentionner le lien, revendiqué par le meurtrier, entre son acte criminel et la situation en Palestine, c’est excuser cet acte. La "démonstration", si l’on peut dire, est d’une absurdité complète.

Peut-être y a-t-il là, outre la mauvaise foi, l’expression d’un tabou : pour certains juifs vivant hors d’Israël mais profondément attachés à ce pays (ce qui est leur droit le plus strict), l’idée qu’Israël puisse, par ses actions, porter préjudice à des juifs est probablement intolérable sinon impensable. Le suggérer, ce serait manifester son antisémitisme.

Mais l’antisémitisme, ce n’est pas cela : il s’agit, pour ne prendre que la définition du Larousse, d’une "doctrine ou attitude systématique de ceux qui sont hostiles aux juifs et proposent contre eux des mesures discriminatoires."

Or relever, avec Éric Coquerel, le fait qu’il existe des individus prêts à rendre l’ensemble des juifs comptables de ce que fait l’État juif n’est pas approuver lesdits individus : c’est faire un constat. Et Philippe Meyer fait le même puisqu’il déclare sur BFMTV : "Ce qui se passe à Gaza ne peut en aucun cas, sous aucune exception, légitimer..." le meurtre de deux Israéliens. Ou de deux juifs suivant que l’on décide de mettre l’accent sur le fait qu’ils étaient des employés de l’ambassade d’Israël (le tueur le savait-il ?) ou sur le fait qu’ils ont été abattus près d’un musée juif.

Bref, sauf véritable démonstration du contraire, Éric Coquerel estime, comme les représentants du CRIF, que l’attachement à la cause palestinienne ne saurait justifier un meurtre.

Mais s’il est entendu que le massacre de près de 54 000 Palestiniens ne justifie pas le meurtre de deux Israéliens ou de deux juifs, il devrait être entendu également que le massacre d’environ 1200 Israéliens et la volonté (supposée ou réelle de la part du gouvernement Nétanyahou) de libérer des otages ne peut justifier de tuer des dizaines de milliers de Palestiniens pour la plupart nullement responsables de la mort de ces 1200 Israéliens ou des enlèvements opérés par le Hamas. Sans quoi l’on a, pour le moins, à faire à une humanité à deux vitesses.

Or Philippe Meyer, très indigné lorsqu’il s’agit d’évoquer l’assassinat des deux employés d’ambassade israéliens, montre sur BFMTV davantage de difficulté à dénoncer l’action d’Israël à Gaza.

Repartons du juste propos de Meyer : "Ce qui se passe à Gaza ne peut en aucun cas, sous aucune exception, légitimer..." le meurtre de deux Israéliens.

Et remarquons la réponse qu'il fait à la journaliste de BFMTV lorsqu'elle lui demande s'il "condamne [...] la guerre qui est menée par Benyamin Nétanyahou" : "On a toujours dit et écrit que chaque victime, et notamment les victimes civiles et palestiniennes, sont une tragédie."

La question était précise, la réponse est à côté. Et Meyer enchaîne en disant que "c'est bien de rappeler la responsabilité de ces victimes" (voulant dire par là : "rappeler qui porte la responsabilité de ces victimes"). Il évoque alors le Hamas, déclencheur de la situation actuelle par les massacres du 7 octobre 2023. Ce qui amène son interlocutrice à lui faire remarquer que "le blocus humanitaire et les bombes, en l'occurrence c'est pas le Hamas qui envoie les bombes et c'est pas le Hamas qui empêchait de rentrer l'aide humanitaire." Réponse, alors, de Meyer : "Les bombes, malheureusement, ça a un nom : c'est la guerre."

Résumons :

- d'un côté, Meyer estime que plusieurs dizaines de milliers de Gazaouis tués et une famine organisée ne sauraient justifier le meurtre de deux Israéliens - ou de deux juifs (une fois de plus, j'en suis d'accord).

- de l'autre, ces mêmes plusieurs dizaines de milliers de Gazaouis tués et cette même famine organisée ne décident pas Meyer à condamner l'action de Nétanyahou. Il faudrait en somme se contenter de trouver que la guerre, c'est malheureux.

Cela fait un an et demi à peu près que l'on passe au crible toutes les déclarations de l'un ou l'autre membre de la France insoumise (dont, parfois, des sorties mal contrôlées). Peut-être est-il temps de s’intéresser aussi à d’autres prises de parole ?

Frédéric Debomy

P. S. du 26 mai 2025 : je relève aujourd'hui cette déclaration du conseiller juridique du ministère israélien des Affaires étrangères relative à la "tragique souffrance des civils dans cette guerre, comme dans toutes les guerres". La communication de Meyer - usage du mot "guerre" plutôt, par exemple, que du mot "massacre" et simple déploration sans mention des responsabilités israéliennes - ressemble précisément à celle du gouvernement israélien. 

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