Manuel Valls ne mâche pas ses mots : ce vote est à ses yeux "une trahison de la diplomatie française", "une nouvelle ligne rouge qui vient d’être franchie", "une très mauvaise manière", une "politique inacceptable", "une faute grave", l'expression d'"une faiblesse de plus" et d’"une politique étrangère indigne d’un grand pays" relevant de "gesticulations diplomatiques [...] d’un cynisme abject et irresponsable."
Bref, Valls tire la sonnette d'alarme : la diplomatie française aurait totalement perdu le sens commun.
L'une des explications proposées par notre ex-chef de gouvernement mérite d'être citée en premier : nos diplomates, chapeautés par notre exécutif, auraient souhaité complaire à la France insoumise ("des gesticulations diplomatiques destinées à plaire à quelques amis arabes et à quelques militants de La France Insoumise"). Je dois ici confesser combien Manuel Valls avait raison d'affirmer, il y a quelque temps déjà, que la France avait besoin de lui : je n'aurai pu, sans lui, soupçonner cette explication. Jusque-là, je croyais naïvement que l'exécutif ne montrait vraiment aucune sympathie envers les militants de la France insoumise et même que les convocations de Mathilde Panot et Rima Hassan par la police, pour "apologie du terrorisme", pouvaient être liées à une circulaire liberticide du ministre de la justice actuel. Je n'étais d'ailleurs pas seul à ne rien comprendre. Dans le journal Le Monde, l'avocat Vincent Brengarth s'inquiétait d'une instrumentalisation de la notion d'apologie du terrorisme : "Normalement, ce délit doit viser les cas les plus graves, comme les encouragements à une action terroriste. Là, on est plutôt sur des propos critiques à l’égard de la position d’Israël, qui ne sont, en soi, pas constitutifs d’une apologie ou d’une légitimation des attaques du 7 octobre." Mais nul doute que Valls saura ramener l'avocat de Rima Hassan ainsi que la rédaction du Monde (et l'ONG Amnesty International) dans le droit chemin, et qu'il saura me faire regretter d'avoir signé après d'autres égarés ce texte toujours ouvert à la signature : https://www.politis.fr/articles/2024/04/stop-a-la-criminalisation-du-soutien-a-la-palestine/
Valls estime en outre que la volonté de "reconnaître de manière unilatérale un État de Palestine, hors d’une négociation avec Israël" est problématique. Nul doute que Benjamin Netanyahou, si on le lui demande gentiment, s'empressera de reconnaître cet État. Mais ce que Valls trouve particulièrement insensé est que l'on puisse envisager de reconnaître l'État de Palestine alors que le Hamas détient encore 134 otages. Jusque-là, j'avais pensé que le sort de ces otages risquait peu de s'améliorer tant que durerait la situation décrite par la rapporteure spéciale des Nations unies pour les Territoires palestiniens occupés il y a près d'un mois : des civils "pris pour cibles à un niveau sans précédent" par un État d'Israël qui "organise également la famine", la destruction de "tout ce qui permet de survivre – les infrastructures, les terres arables" et le fait de cibler les convois humanitaires. Mais j'avais tort, à l'évidence : si Israël avait déjà tué 34262 personnes dont 13900 enfants comme l'affirme l'UNICEF, nul doute que Manuel Valls ne se serait pas contenté de mentionner les 134 otages israéliens comme seules victimes de ce conflit et aurait admis l'urgence d'opposer à la volonté d'éradication d'Israël un soutien à la Palestine.
Ces victimes palestiniennes n'existant sans doute pas, l'ancien premier ministre ne peut que s'offusquer de voir la France marquer "une véritable hostilité à l’égard d’Israël, pays ami et allié, et une indifférence au sort des juifs dans le monde qui sont attaqués lâchement par les soi-disant supporters de la "cause palestinienne", dont chacun depuis le 7 octobre a vu le véritable visage." Non, décidément, les 34262 personnes qu'Israël aurait tuées doivent être toujours vivantes ou n'avoir jamais existé : en cas contraire, comment l'un de nos anciens chefs de gouvernement pourrait-il encore parler d'un "pays ami" ? Toute cette histoire ne peut donc être, une fois de plus, qu'une expression de l'antisémitisme. J'avais pensé, pour ma part, que la plaisanterie israélienne selon laquelle "Autrefois, un "antisémite" était quelqu'un qui détestait les juifs, aujourd'hui, un "antisémite" est quelqu'un que les juifs détestent", rapportée par l'historien israélien Shlomo Sand dans "Une race imaginaire. Courte histoire de la judéophobie" (Seuil, 2020), avait sa part de vérité malgré la réalité persistante d'un véritable antisémitisme. Mais non puisque Valls l'affirme : ceux qui supportent les Palestiniens sont ceux qui attaquent (lâchement) les juifs et puis c'est tout. Valls, lui, a su voir leur "vrai visage". À tous.
C'est vrai, pourquoi soutenir les Palestiniens si ce n'est par haine des juifs ? Valls a d'autant plus certainement raison de l'affirmer qu'il n'est pas le seul à présenter les choses de cette façon. Dès lors, notre éclaireur sait se positionner : "J’avais déjà dénoncé les demandes de cessez-le-feu de la France et la menace de sanctions à l’égard d’Israël de la part du Ministre des Affaires étrangères." Bravo. On ne va quand même pas "nourrir l’action des islamistes qui menacent toutes les démocraties, et dont la cause palestinienne est le cheval de Troie." Car ça aussi, Valls n'est pas seul à le penser : ce qui se passe actuellement n'a rien à voir avec ce que la rapporteure spéciale des Nations unies pour les Territoires palestiniens occupés qualifiait, on ne sait pourquoi, de "conditions d’oppression et de répression des Palestiniens" par l'État d'Israël. Dès lors, tout ne s'explique que par l'antisémitisme et l'islamisme. J'en viens même à me demander si les Palestiniens existent.
Alors, à Manuel Valls, je dis merci : il est toujours rassurant de voir quelles grandes personnalités, dotées d'une grande clairvoyance, peuvent parfois gouverner notre pays. Je le prierai de ne plus disparaître à Barcelone : nous avons besoin de lui.
Ce qui m'avait empêché de le comprendre, c'est peut-être sa stigmatisation des Roms lorsqu'il était ministre de l'intérieur, qui avait vu Le Monde lui reprocher de "renoncer aux principes républicains d'accueil, d'intégration et de solidarité." Mais là encore, ce n'est pas possible : "la République", Manuel Valls n'a que ça à la bouche. Et il nous rappelle aujourd'hui solennellement que lorsque l'heure est grave, "il appartient [...] à chacun de prendre ses responsabilités." J'ai dû rêver.
Mais tiens, sans ironie cette fois : tout mon soutien à la famille d'Angelo Garand.
Frédéric Debomy
Sources :
https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2013/09/25/roms-la-faute-de-manuel-valls_3484159_3208.html