Il n'est pas question ici de relativiser l'horreur des attaques du 7 octobre 2023 en Israël. L'UNICEF en fait le bilan : 1200 personnes tuées dont 37 enfants.
En revanche, il n'est pas inintéressant, en un moment où le même UNICEF parle de 13900 enfants tués sur un nombre total de 34262 personnes tuées par Israël depuis le même 7 octobre, de revenir sur la façon dont certains commentateurs que ce carnage de mineurs n'a pas convaincu de lâcher Israël ont réagi aux fake news relatives à des bébés que le Hamas aurait décapités ou mis à mort dans un four.
Ces histoires me parurent immédiatement trop horrifiques pour que leur véracité ne puisse pas être questionnée. L'histoire, tout le monde le sait ou devrait le savoir, est pleine de ces faux récits permettant de dépeindre celui que l'on veut tuer comme s'excluant de l'humanité par son degré spectaculaire de barbarie.
Le 30 octobre 2023, Caroline Fourest écrivait ainsi sur X : "Je maintiens, malgré la meute, qu'il existe une différence d'intention fondamentale entre cibler des enfants pour les décapiter et perdre la tête au point de bombarder le Hamas au milieu d'enfants."
Ici, deux gros problèmes : 1) Cette histoire d'enfants décapités est, c'est avéré, une invention 2) Fourest explique arbitrairement le bombardement des enfants palestiniens par le fait que les autorités israéliennes, éprouvées par les attaques du 7 octobre 2023, auraient "perdu la tête". On a donc, dans un cas, une imputation de barbarie diffusée par Israël et reprise par Fourest et dans l'autre l'évocation d'une circonstance atténuante supposée par la journaliste à la barbarie avérée d'Israël.
Si ce n'est pas là un cas de traitement partisan de l'information, je ne sais pas ce que c'est.
Guère mieux du côté de Rachel Khan, une humaniste autoproclamée incapable d'attribuer à Israël la responsabilité des conséquences de ses bombardements, comme je le remarquais dans mon billet intitulé Professer des valeurs que l'on trahit (Rachel Khan, Israël et la Palestine). Le 25 octobre 2023, elle évoquait sur X "les bébés égorgés".
Quant à Raphaël Enthoven, il a, certes, supprimé ses tweets du 30 octobre 2023 relatifs à ce bébé israélien qui aurait été mis à mort dans un four mais le journal Libération en a conservé la trace. Enthoven expliquait ainsi la différence entre "le génocide du 7 octobre et les bombardements israéliens qui ont suivi ce massacre" par "la différence entre une armée qui réplique à une agression et tente de détruire militairement son ennemi, et des gens qui enferment un bébé dans un four avant de violer sa mère."
Le 7 novembre 2023, précisait Libération, le quotidien israélien Haaretz qualifiait cette histoire de fausse information.
Mais ce qui est à retenir est sans doute l'affirmation par Enthoven qu'un "génocide" aurait eu lieu le 7 octobre 2023. Si une attaque terroriste occasionnant 1200 morts est un "génocide" (une hypothèse que ne retient absolument aucun juriste), pourquoi un massacre très supérieur et tout aussi volontaire ne mériterait-il pas, lui, d'être qualifié de génocide ? "Les mots ont un sens", écrit Enthoven sur X le 17 novembre 2023. "Il n'y a pas, et il n'y a jamais eu de génocide palestinien." Pourquoi cette attention au sens des mots dans un cas et non dans l'autre ? Rappelons que si personne n'a sérieusement songé (à part Enthoven et peut-être d'autres commentateurs de son acabit) à confondre une attaque terroriste avec un génocide, une rapporteure de l'ONU a constaté "des actes de génocide" commis par Israël à Gaza.
Précisément, la rapporteure constatait dans son rapport du 25 mars 2024 que "la nature et l'ampleur écrasante de l'assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu'il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe". Ce qu'Enthoven refuse d'envisager : selon lui, les bombardements israéliens "tuent des innocents sans les viser" (c'est du moins ce qu'il écrivait dans l'hebdomadaire Franc Tireur le 18 octobre 2023).
Comme chez Caroline Fourest, on a donc un État d'Israël qui ne saurait vouloir s'en prendre aux civils : le Hamas seul serait visé et les civils palestiniens ne seraient donc que des victimes collatérales.
Tout cela appelle quelques commentaires.
Le premier : il fut un temps où l'on accusait les juifs de tuer des enfants non-juifs à des fins rituelles. Tirer les leçons de la longue histoire de l'antisémitisme c'est ne plus admettre que l'on prête aux juifs de tels actes mais c'est aussi ne jamais admettre que l'on prête à d'autres ce que l'on a prêté aux juifs. Or les fake news dont l'on vient de faire état ne peuvent pas ne pas rappeler ces allégations du passé à l'encontre des juifs.
Le second : quand bien même Israël n'aurait pas comme intention première de tuer des civils palestiniens, le simple fait qu'il commette le carnage en cours devrait lui avoir fait perdre tout soutien. Ou bien la notion de crime de guerre n'a plus de sens.
Le troisième : l'affirmation selon laquelle Israël ne s'en prend pas volontairement aux civils palestiniens est une fable à laquelle plus aucun observateur (je ne parle pas des commentateurs) ne croit. Dès lors, la soutenir au-delà du moment où elle pouvait relever de l'erreur d'interprétation est une forme de complicité, peut-être pas juridique (sur ce plan je ne suis pas compétent) mais au moins morale avec le massacre en cours.
La quatrième : si l'on est véritablement "universaliste", on n'est pas seulement horrifié à la perspective que quelques dizaines de bébés israéliens aient pu être assassinés de façon horrifique. On marque également la distance la plus absolue avec un État qui a déjà tué des milliers d'enfants palestiniens.
La cinquième : s'agissant de sujets d'une gravité certaine, on évite de s'exprimer à l'emporte-pièce et de se contenter, en terme "d'analyses", de ses opinions et de ses préférences. Quand on s'est laissé aller à relayer une énormité on le signale aussi, par honnêteté.
Je ne crois pas qu'il y ait, s'agissant des trois bavards que je viens de nommer et qui souvent ne sont pas avares de leurs leçons, grand-chose à ajouter sinon qu'ils ne sont pas seuls à maintenir à la manière de Bernard-Henri Lévy qu'"il n'y a pas de massacre délibéré des populations civiles à Gaza, tout cela est faux" (Lévy ose ajouter qu'Israël "fait tout ce qu'il peut pour qu'il y ait le moins possible de victimes civiles").
Je n'ai du moins pas trouvé de propos d'eux qui revienne sur cette présentation des choses, ce qui n'exclut pas absolument que de tels propos existent tant les endroits où s'exprimer sont désormais nombreux. Je ne peux qu'espérer découvrir de telles déclarations, quand bien même elles ne compenseraient que très modérément la grave inconséquence des déclarations antérieures.
Une dernière remarque : se désoler de la disparition des victimes civiles palestiniennes au lieu de dénoncer les circonstances de cette disparition (un État qui n'hésite pas à les tuer), c'est faire injure aux morts.
Frédéric Debomy
Sources :
https://www.unicef.fr/article/israel-palestine-les-enfants-paient-le-prix-de-la-guerre/
https://twitter.com/CarolineFourest/status/1718878528383361401
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/04/03/quarante-bebes-decapites-itineraire-d-une-rumeur-au-c-ur-de-la-bataille-de-l-information-entre-israel-et-le-hamas_6225805_4355770.html
https://twitter.com/KhanNRachel/status/1717162840044294514
https://www.liberation.fr/checknews/attaque-du-hamas-dou-vient-laffirmation-selon-laquelle-un-bebe-israelien-a-ete-mis-a-mort-dans-un-four-20231030_ZQZKBBCZPFF7RETIH32V54GWGE/
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/25/guerre-israel-hamas-jour-171-une-rapporteuse-de-l-onu-accuse-israel-de-commettre-plusieurs-actes-de-genocide-dans-la-bande-de-gaza_6224137_3210.html
https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/nice/entretien-bernard-henri-levy-il-n-y-a-pas-de-genocide-a-gaza-il-n-y-a-pas-de-massacre-delibere-des-populations-civiles-2949686.html