Il existe assurément un discours anti-médias très répandu permettant à ceux qui le tiennent de justifier de ne pas s'informer (ou de ne pas le faire sérieusement) mais aussi de jouer aux esprits lucides. Ce discours, qui néglige l'existence d'une presse s'essayant à bien faire son travail, n'est pas recevable.
Il n'en reste pas moins que les orientations et la frilosité d'un certain nombre des médias les plus influents posent un grave problème à notre vie démocratique.
J'évoquais dans quelques textes publiés ici depuis le début de l'offensive israélienne à Gaza ma conviction que nous informer n'était pas le souci exclusif de rédactions non occupées à une franche désinformation, ces rédactions ayant aussi comme préoccupation - et probablement comme préoccupation première - d'être à peu près au diapason d'une humeur nationale supposée (qu'elles contribuent du reste à définir).
Bref, le souci d'image avant l'information : on choisira ses invités non en fonction de leur pertinence mais de l'adéquation entre leurs discours et l'air du temps politico-médiatique. Et cela, même lorsqu'un massacre de l'ampleur de ce qui est commis à Gaza a lieu.
Dès lors, comme je le relevais précédemment, des personnalités singeant l'équilibre (l'équilibre supposé du moment) seront des invités parfaits. Ceux que l'on sait susceptibles de dire des choses exactes mais jugées encore non audibles seront en revanche écartés. Dans le contexte qui est ici en question, c'est un choix des rédactions particulièrement grave puisque, on l'a bien vu, le gouvernement français est incapable d'agir à la mesure de la situation sans qu'un consensus public se fasse au préalable sur l'urgence à mettre le gouvernement israélien sous pression.
On observe maintenant, sans surprise, un changement d'orientation chez des journalistes ou rédactions qui jusque là ne s'étaient pas montrés très émus par le sort fait aux Palestiniens. Nul doute que s'il faut encore changer d'orientation, ils le feront, éventuellement avec la morgue de ceux qui poussent dans ses retranchements un invité dont ils partageaient pourtant, la veille encore, les vues. Cela pour les plus vulgaires.
Mais quid des plus pondérés, moins outranciers et moins détectables ? Il y a moins d'une dizaine de jours Rony Brauman était invité à s'exprimer dans l'émission C ce soir. Auparavant, explique-t-il à Acrimed, il y fut "invité 5 ou 6 fois en quelques mois, et « désinvité » à chaque fois". Brauman précise : "Il y a pourtant des gens dont je me sens proche qui s’y expriment, on y voit des débats pluralistes, mais je n’y suis pas convié, ou plutôt j’en suis exclu après y avoir été convié."
Donc, pas la pire des émissions mais tout de même. Brauman fut certainement jugé trop clivant. On y préféra Delphine Horvilleur ou Joann Sfar, dont j'ai déjà largement évoqué les peu rigoureuses et très orientées contributions à l'évocation de cette actualité (deux personnalités qui à ce jour n'ont toujours pas appelé à la mise sous pression d'Israël, réclamée en revanche par Brauman dès le mois d'octobre 2023).
Il ne faisait en somme pas bon, il n'y a pas si longtemps, rappeler "qu’il y avait des êtres humains sous le tapis de bombes israéliennes" (Brauman toujours) tandis que la reprise de "tous les thèmes de la propagande israélienne" (ibid.) allait souvent bon train : outre Brauman, d'autres "experts reconnus du Proche-Orient et d’Israël", Alain Gresh et Sylvain Cypel, ont été en effet selon lui "blacklistés" par les médias mainstream. Quant au collectif juif décolonial Tsedek!, résolument engagé contre l'action meurtrière d'Israël, l'ancien président de Médecins sans frontières n'est pas étonné qu'on ne l'ait pas sollicité puisque "la gauche radicale n’a quasiment aucun accès aux médias mainstream." Être clairement de gauche c'est coupable, même si vous dénoncez justement une atrocité.
Il faut donc mesurer où nous en sommes : des médias mainstream qui hésitent à dire les choses - ou à les dire jusqu'au bout - dans un contexte d'éradication de milliers d'enfants, malgré les prises de position préalables, parfaitement claires et documentées, de responsables de l'ONU, d'organisations de défense des droits humains, d'universitaires et d'autres personnalités et organisations encore.
Voilà comment nous sommes "informés".
Frédéric Debomy
Source
https://www.acrimed.org/Israel-Palestine-Le-plus-revoltant-c-est-la