De Marc Crépon, je ne sais pas grand-chose : qu'il existe, oui, mais pour le reste je n'ai jamais pris la peine de m'intéresser à sa réflexion.
Je ne me référerai donc ici, le concernant, qu'à un propos tenu par l'intéressé à la télévision. Invité de l'émission En société le 14 avril 2024, il déclare : "Ce qui se passe en Israël et à Gaza depuis maintenant six mois est exemplaire du consentement meurtrier. [...] Pour moi, persister encore à voir dans les attentats du 7 octobre l'acte de résistance d'un mouvement de résistance, c'est un consentement meurtrier parce que la résistance, c'est un très beau mot la résistance. La résistance n'est pas compatible avec des actes de barbarie comme ceux du 7 octobre. Ce n'est pas compatible avec le viol systématique des femmes. Ce n'est pas compatible avec le massacre de jeunes qui font la fête dans une rave party. Ce n'est pas compatible avec le massacre de femmes, d'enfants, de vieillards comme ça s'est produit dans les kibboutz. Mais de la même façon, refuser de se poser un certain nombre de questions parfaitement légitimes sur la riposte israélienne, refuser de poser la question des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre qui sont probablement perpétrés à Gaza depuis maintenant six mois, c'est un consentement meurtrier. Refuser de s'interroger sur la possibilité d'intention génocidaire de la part d'une partie de la classe politique israélienne, c'est-à-dire l'idée que dans le fond plus il y aura de Palestiniens morts, mieux ce sera, c'est aussi un consentement meurtrier."
Appuyons-nous sur ce propos pour faire quelques observations.
Deux militantes de la France insoumise, Mathilde Panot et Rima Hassan, ont été convoquées par la police pour "apologie du terrorisme", ce qu'un certain nombre de personnalités identifient à une "criminalisation du soutien à la Palestine" inacceptable en démocratie (voir au bas de mon texte l'appel signé par ces personnalités). Peut-on, sur la base des propos de Marc Crépon, clairs par leur refus de toute connivence avec la barbarie, reprocher à Panot et Hassan de pratiquer le consentement meurtrier ?
La convocation de Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise à l'Assemblée nationale, serait justifiée par un communiqué du groupe parlementaire daté du 7 octobre 2023.
Citons-le intégralement :
L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. Nos pensées vont à toutes les victimes. L’escalade actuelle risque d’entraîner un cycle de violences infernales. La France, l’Union européenne et la communauté internationale doivent agir sans délai pour empêcher cet engrenage.
Dans l’immédiat, il faut obtenir un cessez-le-feu et la protection des populations.
Toutes les parties doivent revenir à la table des négociations.
Pour qu’une paix juste et durable voie le jour, les résolutions de l’ONU, à commencer par la fin de la colonisation, doivent être activement mises en œuvre.
Nous devons tous et toutes œuvrer dans ce sens.
On ne trouve donc dans le texte du groupe parlementaire de la France insoumise aucune complaisance avec le Hamas, à moins d'appeler "complaisance avec le Hamas" tout rappel des circonstances dans lesquelles son attaque s'est produite. Il faudra, alors, s'en prendre également aux Nations unies (ce que, du reste, certains soutiens d'Israël n'hésitent pas à faire) qui ne disent pas autre chose que ce que dit la France insoumise. Loin de tout consentement meurtrier, le texte manifeste l'inquiétude de ses rédacteurs quant au risque d'un engrenage meurtrier et ce au désavantage de "toutes les victimes".
La question est dès lors posée : qu'est-ce qui justifie la convocation de Mathilde Panot pour "apologie du terrorisme" si ce n'est, en effet, une criminalisation du soutien à la Palestine ?
Candidate aux élections européennes sous la bannière de la France insoumise, Rima Hassan est quant à elle l'objet de nombreuses attaques dont il reste à démontrer qu'elles ne sont pas motivées en premier lieu par sa qualité de militante franco-palestinienne. Ces attaques vont toutes dans le même sens : Rima Hassan soutiendrait le Hamas. Ce qui reviendrait, pour toujours reprendre les mots de Marc Crépon, à pratiquer le consentement meurtrier. Les faits qui lui sont reprochés auraient été commis entre le 5 novembre et le 1er décembre 2023.
Que dit donc Rima Hassan du 7 octobre et du Hamas ? Si l'on prend l'entretien qu'elle accordait à Mediapart le 29 octobre 2023, il y est question, s'agissant du 7 octobre, "de vies civiles perdues", et ses propos sur le Hamas ne sont pas complaisants : "Ce n’est pas un conflit religieux. Même si l’on a au pouvoir des gens liés à une radicalité religieuse, du côté du pouvoir israélien comme du Hamas. On observe une dérive religieuse dans les extrêmes des deux sociétés." Le Hamas est donc pour Rima Hassan "l'extrême" de la société palestinienne. Et pour elle, "il est inconcevable de confisquer une souffrance palestinienne vieille de 75 ans avec la récupération qui est faite aujourd’hui par le Hamas. Pour nous, c’est la double peine." Et le Hamas est qualifié par elle de "monstre".
Au milieu des multiples accusations visant Hassan, on trouve également en octobre 2023 sa précision qu'il est "important et urgent de se désolidariser : 1. de toute essentialisation de la communauté juive à la politique israélienne 2. des raccourcis entre société israélienne et gouvernement israélien 3. des messages, actes et discours antisémites". Ce à quoi elle ajoute : "4. Je compte sur vous, tout ceci n'est pas acceptable et desservira toujours les perspectives de faire ponts avec tous ceux qui sont solidaires de cette cause".
Bien sûr, Rima Hassan pourrait tenir un double discours, dire une chose et son contraire suivant les circonstances et les interlocuteurs. Mais cela, il faut le prouver, autrement que par l'interprétation de ses déclarations et la mention d'un entretien dont elle n'a pu maîtriser le montage. Ce montage de quelques secondes du média Le Crayon laissait en effet penser qu'elle jugeait légitime l'attaque du Hamas du 7 octobre. Or le site Arrêt sur images lui a donné l'occasion de préciser sa pensée : "On peut dire que le Hamas a une légitimité dans un contexte de lutte pour l'autodétermination. C'est un parti politique qui a été élu. Mais quand ils commettent des crimes, ils sont en dehors du cadre prévu par les Nations unies." En bref, nulle tolérance pour les crimes du Hamas à moins que quelqu'un puisse prouver qu'elle les a approuvés, Hassan précisant encore qu'elle qualifie de "crimes de guerre" les attaques du 7 octobre, réalisées selon elle selon un "mode opératoire terroriste".
Difficile, en s'appuyant sur ces propos, de justifier une "convocation pour apologie du terrorisme" ni de reprocher à Hassan un "consentement meurtrier". Ce qui n'a pas empêché un torrent d'accusations nullement sérieusement argumentées.
On ne peut donc, à ce stade, que rester circonspect devant les convocations pour "apologie du terrorisme" visant Mathilde Panot et Rima Hassan.
Mais revenons-en à la seconde partie du propos de Marc Crépon : "refuser de se poser un certain nombre de questions parfaitement légitimes sur la riposte israélienne, refuser de poser la question des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre qui sont probablement perpétrés à Gaza depuis maintenant six mois, c'est un consentement meurtrier. Refuser de s'interroger sur la possibilité d'intention génocidaire de la part d'une partie de la classe politique israélienne, c'est-à-dire l'idée que dans le fond plus il y aura de Palestiniens morts, mieux ce sera, c'est aussi un consentement meurtrier."
Nous venons de voir que deux responsables politiques manifestant leur souci tant des Israéliens que des Palestiniens (sous réserve de véritables preuves du contraire) étaient accusées, même si cela est dit autrement, de consentement meurtrier, et que de cette accusation on ne pouvait dire à ce stade qu'une chose : qu'elle ne tient pas.
Portons maintenant notre regard du côté de certains de ceux dont j'ai parlé dans mes billets les plus récents, Raphaël Enthoven ou Rachel Khan, en ayant à l'esprit que "refuser de poser la question des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre qui sont probablement perpétrés à Gaza depuis maintenant six mois, [...] refuser de s'interroger sur la possibilité d'intention génocidaire de la part d'une partie de la classe politique israélienne, [...] c'est aussi un consentement meurtrier."
Je laisse le lecteur prendre connaissance de citations que je certifie non tronquées. Elles laissent, je crois, peu de doute sur le fait que les personnes qui devraient aujourd'hui avoir à rendre compte de leurs propos ne sont pas nécessairement celles que la police convoque.
Frédéric Debomy
Sources (outre celles auxquelles il est fait référence dans le corps du texte) :
https://www.politis.fr/articles/2024/04/stop-a-la-criminalisation-du-soutien-a-la-palestine/
https://twitter.com/RimaHas/status/1719367435822694563
Post-scriptum du 30 avril : sur X le 29 avril, Rachel Khan qualifie Rima Hassan de "Eva Peròn du Hamas" et affirme que si celle-ci utilise le terme de "génocide" pour qualifier la situation actuelle des Palestiniens, c'est par antisémitisme : "Scander "génocide, génocide, génocide"... Faut croire qu'elle l'espère pour mieux justifier la haine des juifs."
Sans doute est-ce là un exemple de cette maîtrise des mots à laquelle nous appelle Rachel Khan.
Source :
https://twitter.com/KhanNRachel/status/1785063563486257469