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Billet de blog 9 juin 2022

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La voiture, cette pute de luxe qui se croît redevenue vierge.

Je devrais m'en réjouir, mais non. En réalité, avec le vote du Parlement européen, rien ne change. Le problème de la voiture n'est pas tant son moteur : c'est elle-même. La façon dont on l'utilise, ce qui fait qu'on doit l'utiliser. En 2035, nous aurons des bouchons silencieux, c'est tout ce que nous aurons gagné.

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Illustration 1
Quelque part dans le Nord © FD

La voiture qui pollue le moins est paradoxalement celle qu'on utilise le plus. Un taxi, une voiture de location ou une auto partagée en diesel qui roulent chaque jour avec du monde dedans émettront toujours moins par km parcouru et kg transporté, dans leur cycle de vie, qu'une bagnole électrique qui passera, comme n'importe quel autre véhicule particulier, 94 % de son temps au garage et sera changée au bout de huit ans. Et même moins vu que la logique du téléphone portable s'applique désormais à l'auto, condamnée par le tout-électronique à devoir être "updatée" régulièrement.

Illustration 2
Quelque part à Biarritz © FD

La voiture qui pollue le moins est aussi celle qu'on n'a pas à utiliser. Parce que l'aménagement du territoire moins étalé et le prix décent du logement feraient qu'on puisse habiter près des centres-villes ou des arrêts de transport public. N'avoir besoin de voiture qu'à l'occasion. En louer ou en partager une pour les vacances et le déménagement. C'est moins facile dans les campagnes, mais les dieux vivants des Gafam ont sans doute des idées pour mettre en relation les voitures de gens, mutualiser l'effort financier qu'est le transport, optimiser le temps immense où l'auto ne roule pas. La logistique sait le faire.

Là, avec ce vote, après avoir soutenu sur fonds publics l'industrie de la bagnole thermique, l'État et l'Europe vont soutenir sur fonds publics l'industrie chinoise de la batterie et les mines de métaux rares creusées dans des pays merdiques.

Demain, il y aura donc toujours autant de voitures, car les conditions sociales, économiques et affectives qui expliquent notre besoin de voitures n'auront pas été poussées à changer ; demain nous continuerons à nous entasser dans des bouchons, mais ils seront silencieux.

Demain, nos villes seront moins polluées, mais elles le seront toujours par les microparticules crachées par les pneus et les plaquettes de frein, tandis que les régions du monde où l'on fabriquera ces bagnoles, et leurs batteries, qui ne seront pas en France vu que l'arrêt de mort de l'industrie automobile a été signé il y a déjà longtemps, elles, le seront bien plus.

Demain, la voiture restera le produit de luxe le plus vendu au monde (le coût total de possession d'une voiture neuve de type Clio ou 308 est de 7000 à 8000 euros par an !), auquel les gens seront toujours autant attachés par le marketing et le crédit, parce qu'ils ne pourront pas faire autrement. Les gens continueront d'habiter loin parce qu'ils n'auront toujours pas les moyens d'habiter près, ils se ruineront en électricité parce que la transition énergétique étant à peine lancée en Europe, l'explosion de la demande générée par celle du marché de la bagnole électrique ne pourra que faire exploser les prix, qui plus est pour une électricité au charbon parce qu'on n'aura pas assez d'éoliennes et de nucléaire en bon état et que lorsque tout le monde voudra faire le plein d'électrons en même temps, il n'y aura toujours que les centrales thermiques qui seront en capacité de fournir vite et sans faiblir.

Demain, on continuera de construire des routes et des parkings et des bretelles d'accès, on continuera de déconstruire le réseau ferré pour justifier la construction de routes, de parkings et de bretelles d'accès, la nature continuera d'être fragmentée, les sols d'être artificialisés, les paysages de se ressembler.

Demain on continuera à se mettre le doigt dans le nez au feu rouge et à vouloir tuer l'abruti qui ne démarre jamais assez vite.

La voiture est une pute de luxe, l'État est son maquereau, ses clients sont des millions à croire qu'en ne pétant plus elle sera devenue aussi vierge qu'un fœtus.

En attendant, un conseil : ne changez pas votre bagnole. Avant d'émettre moins de carbone que la vôtre, pour tenir compte du bilan invraisemblable de sa naissance, il faudra que votre nouvelle voiture électrique à 30 000 balles ait roulé entre 50 000 et 100 000 km avant d'être réellement zéro émission (de carbone). Vous faites combien de km par an ?

FD

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