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Billet de blog 18 septembre 2014

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Transition énergétique (4) : la dictature du CO2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre société ne sait plus quoi faire, parce qu’elle sait quoi faire tout en ne le voulant pas. Ne rien changer, parce que changer serait tout changer. Alors faisons comme si : un coup à gauche, un coup à droite, tout et son contraire, histoire de voir où nous portera le courant. Donnons des gages aux deux mondes, celui d’avant et celui de demain, et le destin décidera. Donc, ne décidons pas.

Ainsi, l’écotaxe.

Ainsi, l’énergie.

Le charbon !

Nouvelle énergie d’avenir ! Son prix chute, à cause de la transition énergétique américaine vers le gaz (de schiste). Il s’en exporte, et les énergéticiens européens achètent car cela leur coûte moins cher que le gaz russe. Ils ferment leurs récentes centrales à gaz, rouvrent des centrales à charbon, aussi rustiques que bon marché. Surtout en Allemagne, dont la vertu écologique se paie au prix d’une augmentation lente et sûre de la part du charbon dans son mix énergétique : elle en est à 41 % ; elle sera avant la fin de la décennie à plus de 50 %. Hourra.

Le charbon, mais aussi le pétrole. Les États-Unis n’en importent plus que 40 %. C’était 60 % il y a quelques années. Ce sera une vingtaine de pour cent dans une génération. Mais puisque leur consommation ne baisse pas, les Américains exploitent de plus en plus de pétrole non conventionnel. Extra-profond, extra-loin, extra-lourd, extra-sale. Plus le gaz de schiste. Plus, encore, le charbon que l’US Air force, comme d’autres forces aériennes d’ailleurs, se fait fort de transformer en kérosène grâce au bon vieux procédé Fischer-Tropsch qui avait permis à l’Allemagne nazie d’assurer la moitié de ses besoins en carburant.

Procédé de gazéification-liquéfaction du charbon très polluant et dispendieux… en énergie. Peu importe. L’important c’est d’être moins dépendant de la péninsule arabique.

Procédé qui s’apparente à celui permettant la transformation de la biomasse en essence, via la gazéification, c’est-à-dire la méthanisation. Le cochon allemand et les Mille-vaches de Picardie ont de l’avenir !

Or, la Commission européenne souhaite renforcer sa directive sur l’air…

 … notamment en ciblant la biomasse. Car les unités de production d’énergie à base de bois, par exemple, émettent beaucoup de polluants. En particulier les petites, celles qui ne tournent pas à plein régime. Encore le paradoxe de l’incinérateur, ou celui de la voiture diesel : les petits foyers n’ont pas le rendement suffisant permettant aux équipements antipollution de fonctionner efficacement. Alors, un jour, comme le moteur diesel, l’Europe interdira les petits foyers qui remettent dans l’air des villes les polluants qu’elle avait bannis dès les années 1960.

En France, l’État instaure une vignette intelligente, à vertu pédagogique. Votre auto sera rouge, orange ou verte en fonction de son âge, c’est-à-dire selon sa classification Euro (qui définit les normes d’émission. On est parti de 0, on est à Euro 5, bientôt 6). Quand je vous disais que le diesel était mort, et que PSA n’a plus que des soucis à se faire…

Bref, notre monde brûle plus que jamais des combustibles fossiles, preuve que la transition (de la production) énergétique est une supercherie ; tout en renforçant les réglementations sur la pollution de l’air !

Signe des temps, signe d’un temps où les choses se mettent en place pour, demain, à la bonne occasion, basculer. En espérant du bon côté. En attendant, il serait peut-être bon de s'interroger calmement sur la sortie du nucléaire, comme je le fais dans mon livre, car :

  • il a fallu 12 ans pour construire nos 59 tranches ;
  • il faut aujourd’hui 8 ans pour ériger la moindre éolienne (2 à 3 en Allemagne) ;
  • et 10 ans pour faire passer une ligne THT ;
  • or, dans 8 ans, nous perdrons 30 % de notre production électrique nucléaire pour cause de mise à la retraite de 20 tranches ;
  • alors que notre consommation augmente ;
  • que faisons-nous pour combler le trou ? Rien ! Ni nouvelles centrales (la filière thorium a été presque abandonnée, la quatrième génération peine à trouver des financements de recherche), ni développement des ENR, ni, surtout, mise en place d’une politique culturelle de l’énergie (j’y reviendrai).
  • donc, nous allons laisser le destin décider pour nous. Et ce sera le charbon car il est le moins cher…

Bon, mais que ça ne vous empêche pas de brûler vos bûches. Si elles sont bien sèches, bien entendu !

CO2 et Euro, deux monnaies uniques, deux échecs

Comme je l’ai précédemment démontré dans un livre génial qu’un odieux complot médiatique n’a pas fait connaître au public le plus immense (La Dictature du carbone, Fayard, 2011), le carbone est non seulement le nouveau PIB, indicateur dictateur monomaniaque, il est aussi une nouvelle monnaie. C’est l’euro, sous une forme évanescente. Devant lequel l’essentiel des cerveaux français se prosterne. Un genou posé face à chaque icône, les rhumatismes menacent.

Le CO2, une monnaie ?

Oui, car il s'échange au sein d’un marché parfaitement inefficace, très complexe, perclus de chausse-trappes, perverti qu’il est par l’idée que tout se compte et se mesure, affligé par la tare de naissance d'une allocation trop généreuses de quotas à des pays (de l’Est) souffreteux et des industries lourdes fragiles face aux fluctuations économiques et agitant chaque matin la menace de la délocalisation,

Aujourd’hui, après l’effondrement des pays de l’est et la crise, les émissions ont assez baissé pour que le marché soit gavé de quotas invendus qui tirent les prix vers le ridicule. Du coup, il faudrait que les prix remontent sérieusement pour que les industries soient incités à faire des efforts d’efficacité énergétique. Mais pour que ces prix remontent, il faudrait aussi que le nombre de quotas baisse, et donc que beaucoup de quotas soient achetés… par des industries qui émettraient trop !

Conclusion : avec le marché du carbone, pour espérer moins émettre demain, il faut plus émettre aujourd'hui. La valeur de la monnaie-carbone dépend de sa rareté. Il ne faut pas d’inflation !

Le CO2 est une monnaie, également parce que les systèmes de compensation l’ont transformé en ligne comptable. "J’émets trop, je finance un four à bois au Bénin, ça m’avale des quotas qui sont déduits de mon passif". Et cela je peux le faire car l’ONU estime que le CO2 est le même partout, vu qu’il est partout. Or, le CO2 émis au Bénin revient plus cher qu’en Europe, car l’énergie est pus chère en Afrique que chez nous. Les systèmes économiques et culturels ne sont pas partout les mêmes. De même que les pays européens n’étaient pas tous les mêmes quand ils se sont imposés l’Euro. Le coût de l’argent est plus élevé dans le sud de l’Europe qu’en Allemagne. Comme celui du CO2 à l’échelle du monde.

Nouveaux étalons or, CO2 et Euro ont été contaminés dans leur berceau par le virus de l’universalisme.

Ce ne serait pas un problème si on ne les considérait comme des totems, auxquels il faut se soumettre. La « transition énergétique », supercherie sémantique (il ne peut y avoir de transition que dans la consommation), est ainsi orientée uniquement vers le bas-carbone. La déflation. Pour assurer notre avenir, il s’agit de réduire notre déficit. Comment ?

  1. En émettant un max en ce moment, grâce au charbon qui ne vaut rien, de façon à diminuer progressivement le nombre de quotas sur le marché,
  2. En utilisant du gaz de schiste, parce qu’il fait baisser le prix du charbon, et que son contenu en carbone est 30 % inférieur à celui-ci,
  3. Voire, mais ça coûte cher en investissement, par des centrales nucléaires dont les émissions sont proches de zéro,
  4. Évidemment, on investit sur l’isolation des logements, mais qui peut assurer que les économies seront au rendez-vous ? Qu'i n’y aura pas d'effet rebond ? Et cela coûte bien plus cher que d’imposer une réduction de la vitesse sur autoroute, pour un bilan énergétique pourtant supérieur. Mais là, c’est une autre affaire…

Notre économie, comme notre politique énergétique, crèvent de devoir rendre des comptes à des veaux d’or. Abolissons le marché du carbone, utilisons des indicateurs multiples afin de guider nos choix, bref, sortons de ces deux monnaies uniques !

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