Qu’on mette un bonnet rouge ou qu’on ne s’inscrive pas sur les listes électorales, c’est pareil. L’écotaxe est un bâton-totem sur lequel on tape pour vomir sa frustration. Il est plus facile de déchausser un portique que de balancer du lisier sur ceux et celles qui ont ruiné la région à chapeau rond, à tous les sens du terme. De même qu’il est plus simple de taper comme un sourd sur Monsanto, et sur Areva, que de remettre à plat sereinement la philosophie agricole et notre culture énergétique.
Il n’y a ni bien ni mal dans ces questions. Ni méchant, ni gentil. Il y a, avec l’écotaxe, une tentative de changer notre vision de la valeur des choses. C’est justement cela qui gêne, car cela nous heurte, parce que cela remet en cause le fonctionnement du monde d’hier tout en nous faisant entrevoir ce que pourrait être le monde d’après. C’est trop perturbant, car cela jette une lumière trop crue sur notre mode de vie.
Nous sommes dans l’entre-deux. Notre société est coincée entre ce qu’elle ne veut plus, qui l’a mise au pied du mur, et ce qu’elle aimerait… sans trop savoir ce qu’elle aimerait. Alors elle se replie sur elle-même, elle fait le gros dos. Elle gueule et elle se trouve toutes les raisons pour ne pas se hisser au-dessus du mur. Cela dit, comment en vouloir aux Bonnets rouges : ils manifestent leur écœurement de l'abandon réel qu'ils ressentent de la part des élites, en particulier celles, condescendantes et aveuglées, de gauche.
À quand une vraie discussion sur l’écotaxe ? Le modèle économique breton ? La « pensée » agricole productiviste ? Le « modèle » allemand ! ?
Car si le cochon breton ne se vend plus, ce n’est pas à cause de l’écotaxe. Celle-ci ne fera que rendre encore moins rentable un mammifère qui ne l’est plus, depuis longtemps. À cause, en particulier, de l’Allemagne : outre-Rhin, le cochon vaut bien moins que le breton, car :
- il est découpé par des « travailleurs délocalisés » venus de l’Est, considérés, par les syndicats locaux, comme des « esclaves ». Rien moins ;
- çà et là, le cochon sert moins à faire le saucisson que le lisier, dont ont besoin d’énormes unités de méthanisation qui ont poussé grâce à un généreux tarif de rachat du kilowattheure produit. C’est le paradoxe de l’incinérateur : pour qu’il tourne à plein rendement, il faut remplir le four en permanence. Au besoin, dans le cas de la méthanisation, en lui destinant exclusivement du lisier ou du maïs… *
- puisque le transport routier ne coûte pas grand-chose, il est des fabricants de cochons bretons qui trouvent plus avantageux d’envoyer leurs produits se faire estourbir par des Bulgares sous-payés, de l’autre côté du Rhin, que par des Bretons.
C’est bien cela qui gêne dans l’écotaxe : elle est le vilain petit canard qui dit brutalement, au cours du banquet, l’histoire vraie de la famille. Allez, va-t’en ! L’écotaxe appuie là où ça fait mal.
La perspective de l’écotaxe, pourtant, n’effraie pas tout le monde… même les livreurs en 3,5 t. Comme me l’a écrit un mien ami, grand connaisseur du transport routier, "Certains pensent que c’est une reconnaissance de l’activité de transport de marchandises, et quelle apportera une professionnalisation des entreprises en particulier par la lutte contre l’exercice illégal de la profession ». Lequel représenterait jusqu’à 30 % des colis livrés à Paris ! Mais, ajoute cet excellent garçon, « des grands messagers qui ont recours aux transports lourds pensent qu’on se tire une balle dans le pied ».
Quoi qu’il en soit, l’écotaxe est une façon comme une autre de rationnaliser le monde du transport et de la logistique et d’afficher la réalité du modèle économique de l’agro-alimentaire. D’où son rejet par ceux qui subissent et n’osent pas espérer que ça change.
(*) Stupidité qui verra sa réalisation française dans cet élevage hors-sol aux mille vaches qui est promis pour la Somme, près d’Abbeville. J’y reviendrai.
Pourquoi taxer les camionettes ?
Pour atteindre son objectif originel d’inciter le transport de marchandises sur courtes distances, et ainsi, favoriser la proximité, l'écotaxe allait affliger les camionnettes de 3,5 t, celles, justement, de la proximité. Quel paradoxe !
En fait, pas tant que cela.
L’objectif premier de notre affaire est de diminuer les émissions de CO2, de HAP, de microparticules et d’oxydes d’azote. Tout ce qui menace nos bronches et nos climats. Or, plus la distance est courte, moins le moteur (diesel) a le temps d’être au régime suffisant exigé par les mécanismes antipollution : un petit diesel en agglomération polluera toujours plus qu’un semi-remorque sur autoroute. Au kilogramme transporté par kilomètre, et c’est le deuxième point du raisonnement : moins plein est le camion, plus les émissions par kilogramme sont importantes.
Conclusion : le « localisme », si l’on ne tient compte que des paramètres physicochimiques, dans notre société vouée au culte du chiffre et aux critères de performance, est une hérésie. Qui peut être légitimement taxée. En proportion, beaucoup plus que le commerce lointain. Un agneau néozélandais importé par cargo et semi-remorque émet près de dix fois moins de CO2 que le même descendu de la colline pour être vendu sur le marché !
En fait, l’écotaxe, c'est un message simple ; que vous soyez gros ou petit, arrangez-vous pour limiter le nombre de camions sur la route, et remplissez-les puisque vous paierez toujours la même chose qu'ils soient vides ou pleins.
L’écotaxe, c’est aussi un autre message, que chacun de nous à du mal à comprendre :
Favoriser le commerce de proximité n’est pas un engagement écologique ou sanitaire, car la massification sur longues distances apporte plus de bénéfices. Résumée à des indicateurs chiffrés, l’écologie favorise le commerce international. Voilà pourquoi il faut considérer le commerce de proximité, notre camionnette de 3,5 t, pour l'engagement social et humain qu’il représente : la proximité est un élément essentiel de l’aménagement cohérent des territoires, autrement dit, du mieux vivre.
L’écotaxe, leitmotiv des marins et des fluviaux
Les acteurs du transport routier et de la logistique sont majoritairement pour. Je le répète, parce que c’est vous :
- ceux qui avaient anticipé l’écotaxe ont réalisé des économies de 2 à 5 %, d’après un rapport d'un cabinet d’études spécialisé. Plus, en réalité : j’estime, avec une marge d’erreur convenable, que parmi les plus gros du secteur, transporteurs et grands distributeurs, il en est qui en sont à 10-15 % de réduction de leur facture de gasoil et de camions ;
- par quel miracle ? Changement de modèles (vers l’Euro 5 ou 6), formation à l’écoconduite, refonte des schémas logistiques, incitations à la mutualisation etc. en résumé : massification, technologies, formation ;
- et c’est tant mieux pour ces perspicaces, car les autres pays de transit routier ont déjà leur écotaxe, ou sont près de l’avoir. Soit presque toute l’Europe centrale et de l’est. La France, cette péninsule, pays de transit par excellence, va donc se retrouver seule… avec un système de transport plus énergivore et moins performant que celui de ses voisins, dans un environnement réglementaire européen qui chasse pollution et CO2, et auquel sont toujours plus sensibles les chargeurs (les marques) et les distributeurs. Vers qui iront ceux-là, à votre avis ?
Le problème est en fait bien plus embêtant, car sans l’écotaxe, l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF, essayez de le dire en mangeant de la soupe) perd 20 % de son budget, soit près de 500 millions. Alors que les étrangers se plaignent déjà que les nationales et les départementales se dégradent.
Ce pourrait se révéler pire encore.
Les 2 et 3 avril derniers, au cours du Maritime Day et du River Morning, manifestations entièrement consacrées la première, au fret maritime, la seconde, au fret fluvial (Villepinte, durant la SITL), un mot est revenu très souvent : écotaxe. Rien de bien surprenant, car le 27 janvier, les présidents de l’Union des Transports Publics et ferroviaires (UTP), du Groupement national du transport Combiné (GNTC), des Armateurs de France, du Bureau de Promotion du Short Sea Shipping (BP2S, transport maritime sur courtes distances) et des Transporteurs fluviaux de France (TFF, qui regroupe notamment le Comité des armateurs fluviaux, le CAF), avaient déjà diffusé un manifeste pour l’écotaxe.
Pourquoi tant d’amour de ce patronat-là pour une taxe ! ? Parce que le transport maritime et ferroviaire va mal en France. La Crise, certes, le désintérêt de notre société pour les choses qui vont sur l’eau (nous sommes un pays de paysans, pas un pays de marins, en dépit de notre façade maritime : « il y a la carte, mais elle n’est pas le territoire », a joliment dit Raymond Vidil, le Président des Armateurs de France, en ouverture du Maritime Day), mais aussi un sous-investissement et des héritages du passé qui alourdissent les comptes d’exploitation.
Le vent de l’histoire va vers la massification, qui diminue les consommations et les émissions par kg et km transporté. Vers le report modal : le conteneur arrive au port maritime, une grue le place sur une barge ou un train, une autre le retire pour le poser sur un camion, ou bien, en ville, son contenu est réparti sur des moyens de transport « écolos ». Voilà pour la théorie. En pratique, c’est très compliqué. En France, Port2000 (Le Havre) n’est pas connecté à la Seine, et Fos (Marseille) pas plus au Rhône. Un chargeur paie toujours plus cher le transbordement de son conteneur sur une barge plutôt que sur un camion ou un train (pour ceux qui connaissent, le THC), ce qui rend peu bon marché le transport fluvial. L’État compense en partie ce surcoût au moyen d’une « aide au coup de pince », mais il a oublié de la verser en 2013, et la Commission européenne, qui la considère comme une subvention faussant la concurrence, risque de la fusiller.
Où va-t-on trouver les sous, alors ! ?
Ceux qui manquent encore pour relier nos ports à leurs fleuves ? Pour draguer les canaux ? Acheter du foncier dans les ports fluviaux urbains de façon à ce que les distributeurs et les changeurs puissent y placer leurs entrepôts (comme à Achères, 300 ha disponibles…) ? Développer des nouvelles barges ? Des conteneurs plus adaptés ? Creuser le canal Seine-Nord (pas si nécessaire, mais bon) ?
Ségolène Royal a bien dit que l’écotaxe pourrait être utile pour financer les infrastructures routières et ferrées. Pas les fluviales, ni les maritimes. Pour les élus de la République, la mer, par laquelle 80 % de nos marchandises nous parviennent ; le fleuve et les canaux, voies de transport massifié et d’optimisation logistique par excellence, ça n'existe pas.