Avec le conflit d’Air France nous touchons aux racines de crise sociale. La crise financière est reléguée au second plan, l’immigration a disparu des débats tel un écran de fumée dissipé par l’orage et la religion est renvoyée à ses limbes ésotériques d’opium du peuple. Il ne reste que la réalité crue des rapports sociaux, mise à nu par la violence des conditions d’exploitation capitaliste, un affrontement séculaire entre salariés et patrons, autrement dit, la lutte de classe.
D’un côté, 2.900 salariés licenciés (5000 suppressions d’emplois supplémentaires après 2017 d’après le Canard Enchainé) tandis que le chômage fait rage et tue 14.000 français par ans [1], mais détruit aussi des familles, des couples, des vies... Une étude précise littéralement que « tuer des emplois signifie tuer des gens, au sens figuré comme au sens propre ».
De l’autre côté, un patron émargeant à 645 000 € par an (6° patron le plus augmenté en 2014) qui se répand en sarcasmes (dans une vidéo sur le web) sur "l’irréversibilité" des acquis sociaux, sur l’âge légal du travail des enfants et souligne au passage que les grévistes, dans d’autres pays, finissent en prison. Comme le déclarait le fondateur de la Sécurité sociale, Ambroise Croizat, « ne parlez pas d’acquis sociaux mais de conquis sociaux, car le patronat ne désarme jamais ».
Ce n’est certes pas le patron d’Air France qui est allé négocier avec les grévistes. Il a envoyé ses DRH faire la sale besogne. La tension était à son comble et le désespoir à cette particularité de pousser à bout ceux qui en sont victimes. Quand on n’a plus rien à perdre, le lien de subordination entre patron et employés se rompt pour laisser place à la colère, à l’affrontement brutal entre le capital et le travail. Un affrontement de classe qui ne tolère qu’un seul gagnant. Pour l’instant, les DRH et leurs comparses en ont fait les frais. Ils sont repartis sans chemise. Un vigile est s'est évanoui dans la mêlée. Le rapport de force est posé. Ce sera à la guerre comme à la guerre : « leurs vies contre les nôtres » pourrait dire les grévistes. Les beaux discours sur le « dialogue social » ont fait long feu, il ne reste plus que l’injustice, criante, obscène, dramatique. Le traitement unilatéral de l’information dénonçant « l’agression » des cadres de la direction n’y changera rien, un sondage IFOP montre que la majorité des Français « comprennent » les violences survenues à Air France.
La radicalisation des conflits sociaux dévoile aussi la vraie nature du pouvoir politique. Exactement comme durant la crise grecque où est apparu le vrai visage des institutions européennes (inflexibles, anti-démocratiques et asservies à la finance), nous découvrons, sans fard, le vrai visage du gouvernement qui dirige la France depuis trois ans. Elu sur un programme de gauche, Hollande n’a cessé de trahir ses électeurs et sa famille politique au nom de l’efficacité économique et de la responsabilité budgétaire. Mais cette fois, une nouvelle étape est franchie. En qualifiant, sans aucune compassion, «d'inacceptables» les violences contre des membres de la direction d’Air France, n'envisageant que les «conséquences sur l’image, sur l’attractivité» de la France, Hollande se déclare ouvertement l’ennemi des luttes sociales. Son premier ministre Manuel Valls, qui n’a recueilli que 5 % des voix aux primaires socialistes – rappelons sans cesse ce déni de légitimité – a lui qualifié les grévistes de « voyous » exigeant des sanctions qui débouchent aujourd’hui sur de la répression policière avec interpellation au petit matin et garde à vue prolongée. Stéphane Le Foll ose prétendre par la suite que « le gouvernement n'est en rien concerné par la procédure qui a été suivie », et, dit-il,« nous ne donnons plus d'instruction ni nous ne faisons d'injonctions » alors que Valls a appelé à que soient « lourdement sanctionnés les grévistes ». Ce dernier est allé jusqu’à déplorer notre climat social auprès d’investisseurs saoudiens à Ryad, dans un pays qui bafoue ouvertement les droits de l’homme. Sarkozy n’aurait pas fait mieux, seulement, celui-ci ayant toujours milité du côté des puissants, cela aurait été dans l’ordre des choses.
Avec le conflit d’Air France, François Hollande et Manuel Valls ont définitivement déserté le camp de la classe ouvrière pour rejoindre celui des patrons. Nous sommes clairement face à la trahison des élites du PS, qui conduisent les affaires du pays en piétinant leur héritage politique. Hollande, Valls, Macron, Rebsamen, Sapin… sans oublier Cambadélis, patron de Solférino, qui souhaite imposer « l’union de la gauche et des écologistes » aux forceps afin d’endiguer sa déroute électorale, bref, ils ont tous franchi la ligne rouge depuis longtemps, mais certaines décisions font basculer dans l’abjection, impriment pour toujours, dans l’histoire, la marque de l’infamie. Après Tony Blair en Angleterre et Gerhard Schröder en Allemagne, nous assistons à une nouvelle offensive contre les salariés d’un pays riche orchestrée par ceux-là même qui sont censés les défendre. La gauche française doit faire le ménage dans ses rangs au plus vite. Les militants sincères du Parti socialiste doivent réagir avant qu’il ne soit trop tard. Les masques sont tombés.
[1] Unenmployment is associated with high cardiovascular event rate and increased all-cause mortality inmiddle-aged socially privileged individuals, Pierre Meneton, Serge Hercberg, Joël Ménard, Int Arch Occup Environ Health, janvier 2014.